Maquettes d'architecture
& baisse de volume
Après les bâtiments taillés dans la dentelle, la Maison de l'Architecture et de la Ville de Lille continue d'explorer la délicatesse en architecture. Jusqu'au 30 avril, l'exposition La troisième dimension - Architecture miniature dresse un panorama de la pratique contemporaine de la maquette, soucieuse d'en montrer "la typologie la plus large possible" selon la commissaire invitée Céline Saraiva. Façon Chéri, j'ai rétréci les gosses, les modèles réduits dessinent un autre rapport à la perspective et bouleversent les échelles.
Il faut légèrement bomber le dos, tordre le cou et plisser les paupières. Ils sont là, marchant, se tenant droit, montant dans leur voiture, cuisinant, tenant un arrosoir, ces petits bonshommes miniatures, hauts comme une queue de cerise, blancs ou gris, sans visage. Ils sont fixes, un morceau de glue au bout des pieds. Autour d'eux se déroulent des centimètres de mousse, plâtre, bois ou plastique, assemblés pour former un bâtiment qui fait parfois cinquante fois leur taille. De haut, des maquettes miniatures. De près, tout un monde de possibles qui se déploie, dans lequel des architectes-démiurges laissent courir leur imagination sans limite. Douze agences françaises et internationales ont ainsi été sollicitées pour prêter quelque quarante productions miniatures, afin de créer une mini-ville à l'intérieur de l'espace épuré de la MAV de Lille.
Longtemps réduits à la simple réalisation plastique de plans d'architecture, projections en trois dimension
a minima des dessins, les modèles réduits ne sont plus uniquement des maquettes d'étude, mais aussi et surtout de représentation. Les matériaux légers du papier et du carton ont fait place à d'autres plus sophistiqués et excentriques, comme le charbon (
Passé au black, Avignon-Clouet Architectes, 2001), le sac poubelle (
So DD, Edouard François, 2009), et les paillettes (
House of multiple dimension, Nabito, 2004). Céline Saraiva souligne bien une véritable évolution dans la manière dont la maquette intervient dans le processus de création : "A
ujourd'hui, elle est vue et assumée comme un terrain de jeu pour les architectes." Le diaporama
Modell d'Anne Frémy fait ainsi défiler sur grand écran des clichés d'architectes aux côtés de leurs maquettes, l'air fier. "
Quand ils les présentent, on dirait des enfants", souligne avec affection la commissaire. Et l'exposition à la Maison de l'Architecture et de la Ville revêt bien l'allure d'un parc d'attraction, où la discrétion des cartels et la quasi-absence de discours explicatif, mis à part dans le fascicule disponible à l'entrée, plaident en faveur d'un rapport brut aux matériaux et constructions, et du simple plaisir des yeux saisis par la technicité des créations, fourmillant de détails. Rien d'étonnant, pour renforcer la dimension enfantine, que le fond de l'espace d'exposition soit consacré à un atelier dans lequel légos et maisons de poupée sont à disposition du jeune public.
Contre l'idée reçue selon laquelle les simulations animées sur ordinateur ont remplacé les maquettes, les architectes réunis à Lille, tous contemporains, témoignent de l'attachement à une forme d'artisanat dans leur métier. Beaucoup privilégient le travail des mains à celui sur écran, jugé trop artificiel par Céline Saraiva : "
La maquette n'est pas du tout en déclin.
Les jeunes équipes d'architectes se sont accaparé cet objet, et utilisent des techniques très pointues pour le créer." Sans aller jusqu'aux vertigineux 80 000 euros que coûte le modèle réduit d'un projet de Jean Nouvel, nombre d'entre eux sophistiquent leurs créations,
multiplient les variations autour d'un thème - FRAMA Architekten fabrique ainsi pas moins de trente version différentes de son
Design Museum de Hong Kong (2006), quand l'agence Search imagine des
Ports des Champs Elysées en mousse, en carton, en papier blanc, ou encore en plastique (2007) -, expérimentent à l'infini. Le potentiel attractif de la maquette est encore vivace.
Que ce soit pour simuler, figurer, expérimenter ou concevoir, le modèle réduit intervient à divers moments dans le processus d'élaboration du bâtiment. S'il est présent très tôt chez Edouard François ou chez Search, au détriment des simulations informatiques, chez Avignon-Clouet, au contraire, la maquette arrive à un stade avancé dans le projet, "
pour vérifier une proposition". La Cité de la mode et du design de Paris, qui ouvrira bientôt ses portes, a été encore plus loin : les premières maquettes ont été fabriquées... lorsque le chantier de construction a démarré. Objet de séduction, le modèle réduit est en effet un levier essentiel dans la communication autour du projet, le dialogue avec le commanditaire ou le cadre d'un concours. Le souci n'est pas tant d'effectuer un strict équivalent miniature d'un futur bâtiment, qui sera de toute façon différent du projet initial car se frottant à la réalité de la construction, mais de rendre compte d'une impression de la construction, d'en révéler l'essence - le Centre Pompidou de Metz, qui va bientôt ouvrir ses portes, a évolué entre la version miniature et le format grandeur nature, mais a bien conservé l'idée d'un toit enveloppant comme un drap. Avec une maquette, le regard peut balayer d'un coup l'ensemble du bâti, et se projeter au coeur de ces constructions en résine, métal, polystyrène, plexiglas, céramique, plâtre, plume, perle, bois ou papier peint. Il faut tourner autour, pour mieux appréhender l'espace structuré par les cloisons qui s'érigent de toute part, souvent illuminées de l'intérieur.
Comme chez le poète Francis Ponge (1899-1988), qui aimait à réléver les arcanes de la création en dévoilant sans complexe les versions d'étape de ses poèmes et faire entrer le lecteur dans son laboratoire, les maquettes d'architecture valent tant pour la part de fantasme qu'elles alimentent que pour leur autonomie : plus de la moitié des modèles présentés à la MAV de Lille n'ont pas été réalisés en grand format, et resteront à l'état de maquettes, comme des sculptures. Certaines sont simplement le fruit de concours, comme des propositions artistiques, et participent tout autant de l'histoire des formes, nourrissant d'autres projets, constituant des books pour les architectes, terrains pour repousser les limites de ce qui existe déjà. Thermomètre des innovations tant esthétiques que techniques, ces modèles miniatures constituent bien ce que Céline Saraiva qualifie de "
bibliothèque des topographies", un ensemble architectural en puissance. Pas tout à fait virtuel, mais pas tout à fait achevé non plus, car inhabitable - à moins que, dans la troisième dimension, les petits bonshommes se réveillent la nuit tombée.