Fanfare mécanique
Le musée des Arts décoratifs, à Paris, accueille l'exposition Musique en jouets. Les objets présentés interprètent leur partition avec virtuosité.
Ils sont là, sagement alignés pour le défilé, prêts à faire résonner tambours et crécelles, trompettes et cymbales pour nous accueillir. Jerry la souris mène la danse, Woody, le cow-boy de Toy Story soutient la cadence, et tous, jouets d'antan, jouets récents, jouets d'enfants et jouets de grands sont réunis pour la fanfare qui ouvre l'exposition Musique en jouets présentée au Musée des Arts décoratifs.
Symphonie à poulies
Quatre espaces composent l'exposition, comme autant d'éclairages contemporains sur le lien qui unit jeu et musique. La désopilante collection "d'outils sonoto-luddiques" – avec deux -d-, en hommage au luddisme, ce mouvement ouvrier anglais qui, en pleine révolution industrielle, promut la destruction de l'outil de travail – nous promène dans une forêt d'objets farfelus qui semblent évadés d'un rêve dada : le lapin Duracell et son tambour côtoie un xylophone bariolé aux faux airs d'orgue de Barbarie et un pistolet à applaudissements. Autant de déclinaisons de l'univers loufoque et inspiré de Pascal Comelade, le musicien heureux propriétaire de ces petits trésors. Tourné vers la musique répétitive, il a collaboré avec PJ Harvey, Robert Wyatt ou encore Miossec. Grâce à ces instruments truculents, il tente de briser l'opposition qui court entre jeu et travail, sérieux et ludique, et réconcilie musiques savante et populaire avec leurs origines enfantines. Les concerts prévus au Centre Pompidou les 15 et 16 octobre seront d'ailleurs l'occasion d'entendre sonner les jouets avec le Bel Canto Orquestra.
Le travail de Pierre Bastien, compositeur signé sur Rephlex, le label de Richard D. James aka Aphex Twin, approfondit la recherche sur la répétitivité. Il allie le Mécano de notre enfance à des objets du quotidien (théière, ciseaux…) et à des instruments au goût d'ailleurs : marimba, cora, harmonium. L'installation est spectaculaire, comme une vaste symphonie à poulies, un concerto pour cordes, courroies et roues à dents, laissant s'effectuer sous nos yeux éberlués la transmission mécanique du claquement, du grincement et du frappement. La couleur du son prend forme, les matières vibrent et résonnent. Chaque bruit, par son inscription dans une forme rythmique, peut laisser affleurer la musique. Ces interrogations ne sont pas neuves ; elles ont hanté toute la théorie musicale contemporaine et la référence à John Cage ou György Ligeti (qu'on pense au déphasage que celui-ci introduit dans son deuxième quatuor pour cordes) est palpable. Chaque objet-instrument suit son propre mouvement entêté, sourd aux tintements qui l'environnent. De la cacophonie millimétrée naît cependant un ordre, une partition, comme une invitation à reconsidérer le monde sonore autour de soi pour en percevoir l'harmonie lointaine, la musicalité secrète.
Chorale de lapins
Musique en jouets parcourt ainsi trois siècles de jouet sonore, des précieux hochets princiers du XVIIIe siècle, aux jours d'ivoire et grelots d'argents, en passant par les lapins WiFi de l'ère Internet. Les années quatre-vingt fournissent leur lot de synthés, magnétocassettes, ghetto blasters et autres objets iconiques de cette inénarrable période pop électro. Kraftwerk ou David Bowie, entre autres, ont fait leur délice du son lo-fi cradingue aux accents si kitsch, reconnaissable entre tous, de ces jouets qui marquèrent leur temps.
Le clou de l'exposition reste cependant Nabaz'mob, l'opéra pour cent lapins communicants des designers Jean-Jacques Birgé et Antoine Schmitt. Dans un écrin de velours noir, comme sur une scène inaccessible, cent "Nabaztag", ces lapins de plastique blanc qui, reliés à Internet, lisent habituellement le journal, annoncent les nouveaux mails et donnent les cours de la bourse tout en clignotant et bougeant des oreilles. Ici, place à la musique. Moment féerique à observer le lent ballet des paires d'oreilles et des lumières colorées, envoûtement magique à suivre les motifs sonores et visuels, les désynchronisations et les changements d'ambiance. Alors que le mur de lapins s'éteint dans un dernier scintillement, des taches de couleurs persistent à danser sur la pupille. Dans ces lapins mus et reliés par un courant impalpable, on pourrait presque entrapercevoir une part d'invisible, comme la fragile frontière qui sépare le jouet de l'objet, et l'enfant de l'artiste.
Stéphanie Jacques
Le 11/09/09
Musique en jouets, jusqu'au 8 novembre
Musées des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli 75001 Paris
Mar-ven : 11-18h
Sam-dim : 10-18h
Nocturne le jeudi (21h)
Gratuit pour les résidents de l’UE de moins de 26 ans
Rens. : 01 44 55 57 50
Un aperçu de Nabaz'mob, de Jean-Jacques Birgé et Antoine Schmitt