L`Intermède
exposition, photographie, photo, photos, URSS, russie, moscou, moscow, la photographie d`art soviétique, 1960, 1970, centre des frères Lumière, agence, TASS, rodtchenko, abaza, abramochkin, denisovScènes de la vie soviétique
De la photographie d'art soviétique, on connait surtout les oeuvres de propagande et les épreuves truquées des débuts du communisme. Pourtant, sur fond de guerre froide, deux décennies sortent du lot : l'art de l'instantané, dans les années 1960 et 1970, connait une exceptionnelle vitalité, retrouvant la voie de l'individu, loin des canons du réalisme socialiste. Ce dont témoigne une exposition au Centre des Frѐres Lumiѐre à Moscou, rompant ainsi avec l'image d'une photographie soviétique entièrement soumise aux volontés du Parti. Plongée dans la vie quotidienne des Républiques socialistes, fond musical d'époque à l'appui.


Situé au centre de Moscou depuis 2001, au coeur d'un ancien complexe industriel reconverti en lofts et boîtes de nuit, le Centre de photographie des frѐres Lumiѐre (Центр фотографии им. братьев Люмьер) constitue la premiѐre galerie privée exclusivement dédiée à l'art de l'instantané en Russie. Après une exposition sur les icônes médiatiques de la vie en URSS, l'institution poursuit dans la même voie avec les trois cent cinquante tirages de l'exposition La photographie d'art soviétique des années 1960–70. Cette parenthèse enchantée de vingt ans correspond aux beaux jours de l'agence TASS (Телеграфное агентство Советского Союза) qui a régné sans partage sur l'ensemble du territoire soviétique. A l'époque, l'agence russe rivalise avec les plus grandes, à l'instar de Magnum ou l'Agence France Presse. La technique elle-même, en URSS, est au plus haut niveau avec les appareils Zenit qui concurrencent Kodak et Leica. Profitant du "dégel" des années Khrouchtchev, le spectre de la photographie d'art s'élargit et les photographes soviétiques se spécialisent chacun dans des domaines particuliers, que ce soit le sport ou les scènes de rue. "Bien que tous nos auteurs travaillaient au même moment et, pour beaucoup d'entre eux, pour les mêmes agences et maisons d'éditions, chacun d'eux était capable de dépasser le cadre idéologique rigide de cette époque complexe et de nous donner son portrait unique et particulier, exécuté dans son style propre", explique Natalia Grigorieva, directrice du Centre. exposition, photographie, photo, photos, URSS, russie, moscou, moscow, la photographie d`art soviétique, 1960, 1970, centre des frères Lumière, agence, TASS, rodtchenko, abaza, abramochkin, denisov

Bouleversement d'échelles
L'influence d'Alexandre Rodtchenko (1891-1956) est sans égale. Peintre et photographe, l'artiste soviétique marque la pratique photographique par son utilisation novatrice des formes géométriques. A sa suite, Alexander Abaza reprend les vues plongeantes et les cadrages originaux. La photographie soviétique se permet toutes les audaces sur le plan formel, sinon sémantique. Témoin, la vue par Lev Borodulin d'un plongeur olympique (
С вышки, 1960) : prise du plongeoir, elle accompagne l'athlète en plein vol, et le cadrage inversé entraîne le spectateur dans le mouvement giratoire. De même, l'immensité d'un pays qui s'étend sur deux continents, à cheval sur l'Europe et l'Asie, éveille la curiosité des objectifs. Avec une centaine de peuples différents, l'URSS brasse une multiplicité de types humains que reflète les origines variées des artistes, aussi bien russes qu'ukrainiens et arméniens. De fait, quelle distance entre les visages creusés des pêcheurs de la mer noire (Yuri Abramochkin, Сибирь. Байкальские рыбаки, 1960), les traits soucieux des ouvriers dans les installations nucléaires de Mourmansk, et ceux de la jeunesse moscovite qui découvre le rock'n'roll ! En réponse à cette myriade de visages et à la question de l'appartenance nationale, les paysages du pays russe sont magnifiés par les artistes. Petites taches noires dans le blanc infini de la montagne, les humains y sont engloutis dans un environnement qui n'est pas à leur échelle (Yuri Abramochkin, Школьный дворик, 1972).
 
Les années 1960 voient se poursuivre l'industrialisation intense du pays. Les dirigeants du Parti espѐrent plus que jamais rattraper puis dépasser le niveau de production des Etats-Unis. La priorité est alors donnée à l'industrie lourde. Usines et fourneaux s'élѐvent aux quatre coins du pays. Dans un combat de grande ampleur, l'industrie humaine part à la conquête d'une nature gigantesque. Lutte démesurée, comme le montrent ces tractopelles géants perdus dans les gorges du Caucase. Brise-glaces et chasseurs partent explorer les territoires vierges enneigés (
Ледовая разведка в Арктике, Roman Denisov, 1976), pendant que s'installent les grands complexes industriels au coeur des terres inhospitaliѐres de la Sibérie du Nord. Les travaux comme ceux de Lev Sherstennikov sont une célébration paradoxale de la conquête du monde par l'homme. Les grands terrils de exposition, photographie, photo, photos, URSS, russie, moscou, moscow, la photographie d`art soviétique, 1960, 1970, centre des frères Lumière, agence, TASS, rodtchenko, abaza, abramochkin, denisovcharbon sont autant de richesses extraites à grand peine des entrailles de la terre (Уголь, 1960) mais une richesse volée. C'est à la fois un hymne à l'industrie humaine et l'expression d'une inquiétude fondamentale quant à l'avenir réservé au monde : combien de temps encore avant que les steppes ne se recouvrent de routes et de chemins de fer ?
 
Retrouver l'humain
Dans ces mêmes années, la photographie s'émancipe de la tutelle du régime. Le mouvement de libération des moeurs qui marque alors les pays occidentaux n'épargne pas les peuples de l'URSS, pris d’un désir inextinguible de liberté. Il n'est plus imposé aux artistes de respecter les normes du réalisme soviétique, doctrine qui prohibait en particulier l'expression des émotions privées de l'individu, au profit d'une expressivité essentiellement corporelle. Les poses hiératiques sont abandonnées : ce n'est plus l'ouvrier impassible que montre Alexandre Nagralyan – triomphant, peut-être, mais non sans éprouver les douleurs de la grande "marche en avant". Dans les Kolkhozes, au cœur même du fonctionnement du régime, c'est le repas en commun des ouvriers agricoles qui retient l'attention de Nagralyan (
Обед в юле, 1960). De la même façon, quand Vladimir Musaelyan photographie Léonid Brejnev, c'est dans sa visite de la premiѐre usine Pepsi Cola en URSS, badinant avec les employées (Нобороссийск, Пепси-Кола, 1974). Politiquement dédramatisée, la photographie n'en reste pas moins attentive aux évolutions du pays. 
 
En semi-liberté, les photographes profitent donc du changement pour retrouver l'homme dans ce qu'il a de plus intime. Ils descendent dans les rues pour saisir les scѐnes de l'existence quotidienne, avec une grâce fugace qui rappelle le travail d'un Henri Cartier-Bresson, et montrent que la vie peut être belle, y compris dans l'URSS des années 1960. Signe du bouleversement, un grand nombre des oeuvres présentées sont des portraits, aux accents intimistes forts, comme ce célѐbre cliché d'Ivan Lunkov qui représente une jeune fille dont on n'aperçoit que les yeux, le visage enfoui dans son capuchon (
Зима, 1965). Les enfants sont aussi à l'honneur, qui jouent avec l'insouciance de leur âge dans la neige, ignorant la grisaille qui les environne. "Les exposition, photographie, photo, photos, URSS, russie, moscou, moscow, la photographie d`art soviétique, 1960, 1970, centre des frères Lumière, agence, TASS, rodtchenko, abaza, abramochkin, denisovphotographes de l'époque ont montré au reste du monde que les habitants de notre pays avaient les mêmes sentiments, les mêmes visages que partout ailleurs", poursuit Natalia Grigorieva. Une problématique shylockienne qui donne toute leur force à ces représentations de la vie quotidienne.

Au fil de ces centaines de clichés accrochés sur les murs du centre des frères Lumière renaît l'atmosphѐre de la vie soviétique, avec ces publicités officielles pour des objets standardisés (rasoirs, voitures, téléphones…) et dépourvus de marque. Au début de la décennie 1960, la société de consommation fait son entrée fracassante en Russie : les jeunes découvrent le rock, les rues se remplissent de Lada au dessin identique (
Чайки нашей юности, Victor Akhlomov, 1970). Certains artistes s'interrogent sur l'uniformisation et la sérialisation à l'oeuvre dans le monde moderne, problématique qui dépasse largement les frontiѐres du socialisme réaliste. De même, les photographes des grands espaces urbains comme Moscou ou Saint-Petersbourg montrent des préoccupations semblables à celles de leur confrѐres occidentaux. La capitale et ses ensembles démesurés représente à l'Est l'équivalent de New-York. Comme une Manhattan en négatif, l'avenue du nouvel Arbat expose ses immeubles ultra-modernes où s'illuminent les lettres géantes "CCCP".
 
Y compris lorsqu'elle reprend les codes esthétiques du régime, la photographie en détourne la visée originale. Photographe officiel pour le magazine
Ogonek, soucieux de liberté, Lev Borodulin (1939) se spécialise dans les clichés de sport. Il s'intéresse aux grands mouvements de foule et aux corps des athlѐtes en mouvement. La posture des joueurs olympiques, lanceurs de poids ou plongeurs, évoque tout à la fois la propagande de l'idéologie soviétique et l'homme libéré des contraintes terrestres. Un tremplin vers l'avenir chez ces athlètes tendus vers le ciel - mais est-ce toujours celui du socialisme ? Même apesanteur chez Basil Kunyaev, qui saisit la grâce aérienne d'un chasseur MIG perdu dans les nuages, flottant rêveusement dans un temps suspendu (МИГ 19 за облакам, 1970). Entre les lourdeurs de l'appareil communiste, la vie en URSS poursuit son cours. Ineffaçable légèreté de l'être.
 
Augustin Fontanier, à Moscou
Le 31/08/10

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La photographie d'Art soviétique des années 60–70
, jusqu'au 12 septembre 2010
Центр фотографии
им. братьев Люмьер Россия,
119072, Москва, Болотная иаб, дом 3, стр. 1
Tlj (sf lun) 12h - 20h 
Tarif plein : 250 rb
Tarif réduit : 150 rb
Rens. :  (495) 228-98-78
 





 
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Légendes photos :
Vignette sur la page d'accueil : A. Knyazev. A bench from out of our youth. 1970s
Photo 1 A. Sutkus.The Marathon on the University Street. Vilnius.1959
Photo 2 L. Borodulin. Diver. 1960
Photo 3 A. Sutkus. Jean-Paul Sartre.1965
Photo 4 V. Lagrange.Goalkeeper.1962
Photo 5 I. Zotin. Kalinisky prospect. Festive illumination. 1979