Delpire touche à tout
Devant l'insistance de ses proches, Robert Delpire s'est plié au jeu de la rétrospective avec l'exposition fleuve de la Maison Européenne de la Photographie qui revient sur soixante ans d'activité du célèbre éditeur.
Suivant la confession de Robert Delpire, qui n'a jamais eu de plan de carrière, "
juste des coups de cœur", l'exposition
Robert Delpire & Cie qui occupe exceptionnellement tous les espaces de la MEP est conçue comme un voyage erratique parmi les nombreux domaines d'expression de l'éditeur. De la littérature jeunesse à la célèbre collection "Photo Poche", en passant par la publicité et le grand livre de photographie, l’exposition est une plongée dans ce qui semble avoir dominé la vie de l'homme âgé aujourd'hui de 83 ans : la passion.
Il commence sa carrière soixante ans plus tôt lorsque, encore étudiant en médecine, il se lance dans la revue
Neuf, d'abord destinée aux médecins, mais qui devient bien vite un terrain d'expérimentation artistique où se succèdent de grands noms tels que Robert Doisneau, André Breton, Picasso, Cartier-Bresson, Sartre et bien d'autres. Dès le début des années 1950, Delpire publie les futures sommités de la photographie et réalise un coup de maître en 1958 en proposant l'édition française des
Américains de Robert Franck, considéré comme l'événement majeur de la photographie contemporaine. Autant attiré par l'illustration qu'il l'est par la photographie, l'éditeur se fait aussi un devoir de déniaiser le livre pour enfants par le biais de plusieurs collections et publie notamment, pour la première fois en France,
Max et les maximonstres de Maurice Sendak – dont l’adaptation sur grand écran par Spike Jonze sort prochainement sur nos écrans.
À ce beau palmarès s'ajoute la direction du CNP (Centre national de la photographie) qu'il se voit confier par Jack Lang en 1982, et grâce à laquelle il va organiser quelque 150 expositions et créer sa collection la plus célèbre : Photo Poche. Ce sont toutes ces activités, auxquelles s'ajoutent entre autres une agence de publicité et la production de films, que l'exposition tente de présenter dans un foisonnement vertigineux. L'espace, divisé en quatre parties, ne suit pas une progression chronologique, mais propose les grands axes d'une activité qui peut être difficile à assimiler dans sa globalité, tant elle est riche. Il faut du temps pour parcourir le musée et ses nombreux escaliers, tant chaque étage regorge d'œuvres majeures.
La découverte commence au premier étage avec les livres jeunesse où sont présentés des planches de
Max et les maximonstres, bien sûr, mais aussi des
Larmes de crocodiles d'André François qui sera l'un des grands auteurs de la collection "Dix sur Dix". Le livre pour enfant tel qu'il existe ne satisfait pas Robert Delpire qui veut offrir à ce public des livres d'une grande qualité plastique, mais qui ont aussi des histoires à raconter, et si possible captivantes. En 1967, l'éditeur touche-à-tout propose plusieurs collections interactives où le livre ne raconte plus seulement une histoire, mais peut être colorié, découpé. Totalement adopté par son public.
Après les collections jeunesse de l'éditeur, et ses talents sinon de découvreur, au moins de promoteur de grands artistes, la MEP consacre un espace à la période du CNP, avec le panorama de la désormais vaste collection "Photo Poche", qui propose de revenir sur les noms majeurs de l'histoire de la photographie en format poche économique. Mêlant une activité de commissaire pour de grandes expositions et sa collaboration pour le supplément photographie du
Nouvel Observateur, Robert Delpire est animé par un profond souci de diffuser la photographie de manière didactique. Au troisième étage, côtoyant des numéros de la revue
Neuf, s'étalent les livres de photographies les plus
célèbres accompagnés de tirages de la MEP. On retrouve Robert Franck, Henri Cartier-Bresson, Joseph Koudelka bien sûr, noms qui ont contribué à la célébrité de Robert Delpire et auxquels ce dernier tient à rendre hommage, autant qu'aux illustrateurs qui l'ont accompagné et qui ont désormais droit à leur propre collection : "Poche Illustrateur".
Lorsque la visite s'achève au sous-sol par l'activité publicitaire de l'éditeur, avec la célèbre "Loulou" de Cacharel par Sarah Moon, ou la 2CV de Citroën, le capharnaüm d’images, de noms, d'activités multiples du photographe se chevauchent et se heurtent. Pour Delpire, cette rétrospective, qu'il veut d'abord intituler "
Mille Mercis", est l'occasion "
de remercier les auteurs et les acteurs de l'aventure passionnante qu'est l'édition", de remercier tous ceux sans qui l'œuvre collaborative qu'il a façonnée morceau par morceau n'aurait pas été possible. En investissant la MEP de la cave au grenier – obéissant à l'ordre de remplir toutes les vitrines, même s'il ne sait pas toujours quoi y mettre –, Robert Delpire offre surtout, avec cette rétrospective, la possibilité de tisser un portrait arborescent du personnage, marqué par les choix intelligents qu'il a fait tout au long de sa carrière, ne se fiant qu'à ses propres goûts.
