Mapplethorpe, le vague à l'âme
Près de cent polaroïds du photographe américain courent sur les murs du musée d'art moderne d'Oxford, avant d'être présentés à Seattle cet automne.
En 1970, Robert Mapplethorpe (1946-1989) emménage avec son amie, amante et muse Patti Smith, au Chelsea Hotel à New York, où ils vivent plusieurs mois. A 24 ans, il a déjà étudié la peinture, le dessin et la sculpture, mais la réalisatrice Sandy Daley lui prête un appareil photo Polaroïd, ce qui change la donne. A l'origine, l'appareil doit lui servir pour réaliser des collages. Mais, découvrant les plaisirs de cet boîte à argentiques petit format, Mapplethorpe conserve les instantanés tels quels, sans les retravailler. Le film Polacolor - qui permet de prendre des clichés en couleurs - a beau exister depuis sept ans, l'apprenti photographe préfère le noir et le blanc. Portraits, natures mortes, nus... Mapplethorpe appuie quelque 1500 fois sur le déclencheur de son petit appareil.
L'exposition itinérante Polaroids : Mapplethorpe revient sur cette première période de l'artiste, méconnue, avant les photographies stylisées à l'extrême qui ont fait sa renommée à la fin des années 1970. Partis du Whitney Musem of American Art à New York et après un passage à Evanston, les 92 polaroïds sélectionnés par Sylvia Wolf font escale à Oxford, en Grande-Bretagne, jusqu'au 13 septembre. L'enseigne rouge vif du Modern Art Oxford, dans une ruelle au sud de l'illustre ville estudiantine, non loin du Christ Church College qui accueille le tournage de la saga Harry Potter, détonne au milieu des vieux établissements aux pierres couleur miel.
Dans deux salles immaculées et vides, chacune à un étage différent du bâtiment, les clichés de Mapplethorpe se déploient en lignes droites. Le musée prévient : la seconde salle n'est pas recommandée pour les enfants. Elle recèle de nombreux nus, souvent, et à tort, assimilés à de la pornographie. Stars du X et adeptes du sado-masochisme sont en effet des personnages récurrents dans l'oeuvre de Mapplethorpe, mais ils sont ici disséminés parmi les clichés représentant les amis - et parfois amants - de l'artiste, qui ne cachait pas son attirance pour les deux sexes : Helen Marden, Sam Wagstaff, Marianne Faithfull et Patti Smith, entre autres, peuplent les murs du musée.
À l'image du premier long métrage de Martin Scorsese, Who's that knocking at my door, édité pour la première fois en France il y a quelques mois, la tentation, quand on (re)découvre les prémices d'une oeuvre aussi colossale, est d'essayer d'y déceler les indices et traces qui portent en germe le style et les thèmes futurs de l'artiste. Dans le cas de Mapplethorpe, il s'agirait à première vue d'une période en négatif : au caractère extrêmement froid, soigné, voire maniéré de ses clichés des années 80 répondent ici des polaroïds davantage bruts, rêches, empathiques. Le photographe explique ainsi que l'appareil à instantanés "était le médium parfait, ou en avait les atours, dans les années 70, quand tout allait vite. Si le développement des photographies m'avait demandé deux semaines à chaque fois, j'aurais perdu mon enthousiasme."
Mapplethorpe n'est pourtant pas de ces photographes qui attendent le bon moment pour prendre le cliché, saisissant la beauté d'un instant. Ses modèles prennent la pose, et son obsession de la symétrie est bien palpable dans ces petits rectangles de quelques centimètres de pourtour. C'est le nez quasiment collé aux verres que la force des images surgit, et que son art de la composition se dessine peu à peu. Mais cette importance accordée au cadre, aux formes géométiques, aux corps sculptés comme des statues grecques, est ici empreinte d'une tristesse que l'on retrouvera peu dans la suite de son travail. Une forme de mélancolie sourde voile les regards et postures de ses sujets et objets. Les yeux sont souvent mi-clos, comme trop fatigués, et les bras des hommes nus ne s'arquent pas tout à fait.
Ce bouquet de fleurs jeté sur un oreiller, ce lit aux draps défaits portent les traces de corps qui ont disparu. Il y a bien quelques clichés de couples, mais la plupart des modèles apparaissent isolés à l'image, et n'ont que l'objectif du photographe auquel s'accrocher, ne laissant plus voir que leurs angoisses et leurs corps, parfois dans le flou. Ils ont tous couché ensemble, ils ne se cachent plus derrière leur pudeur. Ils sont si seuls.
Polaroids : Mapplethorpe, jusqu'au 13 septembre 2009
Modern Art Oxford
30 Pembroke Street Oxford OX1 1BP
Mar-sam : 10h-17h ; Dim : 12h-17h ; Fermé le lundi.
Entrée libre
Rens. : 0044 1 865 722 733
Sylvia Wolf, commissaire de l'exposition, a publié un ouvrage présentant les polaroïds de Mapplethorpe, aux éditions Prestel (disponible uniquement en anglais).
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Crédits et légendes photos :
Vignette : Robert Mapplethorpe, Sans titre (auto-portrait), 1973 © Robert Mapplethorpe Foundation
Petite vignette : Polaroids: Mapplethorpe, Installation view, Modern Art Oxford 4 July-13 September 2009, Andy Keate
Photo 1 Robert Mapplethorpe, Sans-titre, 1973 © Robert Mapplethorpe Foundation
Photo 2 Robert Mapplethorpe, Sans titre (Charles et Jim), 1973 © Robert Mapplethorpe Foundation
Photo 3 Robert Mapplethorpe, Sans titre, 1973 © Robert Mapplethorpe Foundation.
Photo 4 Robert Mapplethorpe, Sans titre (Marianne Faithfull), 1974. © Robert Mapplethorpe Foundation