L'encre du passé
Les Manuscrits de la mer Morte sont restés cachés dans des grottes pendant deux millénaires sur le site de Khirbet Qumrân, en Israël. Le Royal Ontario Museum de Toronto expose ces textes sacrés au public, jusqu'au 3 janvier.
Descendez au sous-sol, puis franchissez la lourde porte. Face à l'entrée, des mots courent sur un mur imposant, couleur sable : des extraits des Manuscrits de la Mer morte, en français, en anglais, en hébreu, en grec. Passez ce seuil. Une fois ce mur contourné, le parcours ne fait que commencer. "
Mais où sont-ils, ces manuscrits ?", s'exclame une visiteuse. Comme une chasse au trésor, le parcours de l'exposition
Les Manuscrits de la mer Morte, Des mots qui ont changé le monde joue sur l'effet de suspens. Et peut-être aussi une autre temporalité, à l'image de celle des hommes qui écrivirent patiemment ces nombreux manuscrits - plus de 900 ont été découverts - dans des conditions difficiles. Le visiteur doit prendre le temps de mieux les connaître avant de les contempler.
Ainsi, l'exposition, vaste et ambitieuse, à l'image du musée lui-même, est un itinéraire de contextualisation des manuscrits, qui ne sont exposés qu’à la fin du parcours, dans une grande salle à la lumière tamisée. Il faut comprendre la valeur de ces documents fragiles et précieux, qui constituent une des découvertes archéologiques majeures du XXe siècle et le caractère ex
ceptionnel de leur présentation à Toronto. "
Ces documents comprennent quelques-uns des textes les plus anciens de la Bible hébraïque que l’on ait découverts, des textes qui ont eu une influence capitale sur la culture occidentale et dont l'importance ne s’est encore jamais démentie", écrit la commissaire Risa Levitt Kohn dans le catalogue de l'exposition. Seize manuscrits, dont quatre n'ont encore jamais été montrés au public, sont présentés durant les six mois que dure l'événement, les huit premiers jusqu’en octobre puis les huit suivants jusqu'en janvier, l'Autorité des Antiquités d'Israël n'autorisant leur présentation que pour une durée maximale de trois mois.
C'est dire l’importance de l'événement, pour lequel le musée, dont il s'agit d’un des projets les plus importants de son histoire, déploie tout son savoir-faire. Dès les premières salles, un écran présentant, à partir de cartes, l'évolution de la situation géopolitique de la région dans l'Antiquité côtoie une immense photographie d'un site archéologique et des artefacts tels que des lampes à huile ou des fioles. Les nombreux éléments multimédias sont judicieusement exploités, comme cet autre écran qui diffuse alternativement une reconstitution virtuelle du second temple de Jérusalem et des images de la ville aujourd'hui, ou encore ces vidéos proposées au fil de la visite qui fournissent avec pertinences des informations sur la découverte des manuscrits ou les querelles d'archéologues concernant l’identité de leurs auteurs - certains pensent qu'ils ont été écrits par les Esséniens, une communauté juive, ce qui n'est pas attesté par tous.
Le visiteur déambule dans des espaces imposants et élégants bordés de panneaux aux teintes neutres, gris, ocre, sable, à l’image des paysages arides de Qumrân, au bord de la mer Morte, le lieu le plus bas des terres émergées qui a vu naître les manuscrits. Et partout, les mots sont au centre, en écho avec le sous-titre de l’exposition. Des citations diverses accompagnent ainsi le visiteur tout au long de son périple. "
Tout est gravé devant toi à l’encre du souvenir pour tous les temps de l’éternité."
(Hodayot - Hymnes d’action de grâce)
Ici des fioles, des jarres ou des gobelets vieux de deux mille ans, ailleurs une série de pièces de monnaie qui témoignent de l'histoire des guerres juives contre les Romains par les inscriptions dont elles sont frappées. 200 artefacts prêtés par l'Autorité des Antiquités d'Israël, mais aussi des maquettes, des photographies évoquent les caractéristiques géographiques, historiques, sociopolitiques et culturelles de l'Israël antique. La deuxième partie de l'exposition ramène le visiteur au XXe siècle et traite de la manière dont les manuscrits ont été découverts par hasard en 1947 par des bergers bédouins, précise comment ils ont été étudiés et enfin leurs conditions de conservation.
Ce n'est donc qu’après ces pérégrinations dans l'espace et dans le temps que le visiteur accède aux rouleaux de parchemin eux-mêmes, présentés dans les vitrines d'un espace feutré. Cachés, à l'abri de la lumière dans des grottes pendant près de deux mille ans, ces manuscrits datant du IIIe siècle avant notre ère jusqu'au premier siècle de notre ère ont pu être conservé. Rédigés sur du cuir et très rarement sur du papyrus, 900 textes de l'ancien Israël sont répartis sur quelques 100 000 fragments. Textes bibliques, apocryphes - c'est-à-dire non retenus dans le texte officiel de la Bible - et écrits non-bibliques se dévoilent. Un passage de la Genèse, un psaume, un extrait du livre de Daniel, un autre d'un bail datant de la seconde
révolte juive, sont quelques-uns des fragments exposés. Une présentation du texte, précisant notamment sa nature, et une traduction sont proposés pour chaque manuscrit. Ces éléments permettent de saisir l'enjeu de cette découverte en 1947 : une bien meilleure connaissance des débuts du judaïsme et du christianisme grâce à certains manuscrits qui seraient antérieurs de mille ans aux exemplaires de la Bible hébraïque à notre disposition jusqu'alors, certains semblant même présenter une forme de judaïsme qui a disparu en 70 après Jésus-Christ.
Un dernier espace permet de saisir rétrospectivement l'impact que ses manuscrits ont eu sur les trois grandes religions monothéïstes. Pour montrer que l'Histoire des religions n'a pas encore tout dévoilé, et que des liens continuent de se tisser. L'on se demande alors s'il n'existe pas, quelque part sous terre, d'autres feuilles de papyrus qui sommeillent depuis plusieurs siècles, et qui viendraient compléter le tableau.