Schneider en cinq couleurs
Dès l'entrée de l'exposition qui lui est consacrée au Museum für Film und Fernsehen - Musée du petit et du grand écran - de Berlin, les dates s'alignent pour retracer sagement les étapes marquantes de la vie de Romy Schneider (1938-1982). De l'actrice reste aujourd'hui l’image monochrome de l'impératrice Sissi, princesse pour les petites filles, reines pour les mères, et icône cinématographique. L'exposition, qui déploie un spectre chromatique en revenant sur le parcours de l'actrice (et de la femme), contre-balance l'académisme de cette antichambre par la ronde de couleurs qui se succèdent bientôt sur les murs de salle en salle, dressant le portrait tout en nuances que Schneider a peint de sa propre vie, tour à tour jeune fille modèle, impératrice de caractère, femme fatale, mère au destin tragique. Romy Schneider. Wien - Berlin - Paris est à découvrir jusqu'au 29 août.
Blanc. L'ambivalence de la relation entre la comédienne et sa mère est perceptible dès la photographie de deux mètres de haut qui ouvre la première salle (intitulée "
Daughter", "la fille") du labyrinthe bariolé. Magda Schneider (1909-1996) s’impose au premier plan, mais une jeune fille, à l'arrière, irradie, légèrement teintée par les reflets orangés et rouges des salles suivantes. Cette demoiselle lumineuse, c’est la toute jeune Romy Schneider. Le dispositif de projection vient dynamiter un peu plus le blanc immaculé des cloisons. Le premier extrait provient du film
Wenn der weisse flieder wieder blüht (Hans Deppe, 1953) : Therese (Magda Schneider) rend une visite tardive à sa fille Evchen et lui annonce que son père n’est pas celui qu’elle croyait. Le fragment de film est accolé à un montage constitué de différentes séquences, avec une Romy Schneider juvénile, habilement mises en parallèle avec chaque moment de l’extrait. Ainsi, lorsque la mère arrive dans la
chambre sur le premier écran, la fille l'enlace dans l’extrait projeté sur l'autre. Partant, la scénographie tisse des liens entre différents moments de l'oeuvre de Schneider, donnant à voir la kyrielle des visages possibles de l’actrice. Leitmotiv au cœur de l’arc-en-ciel des compositions de la comédienne, Magda Schneider, la mère, l’agent, le modèle, la totalité, revient sur toutes les photographies du début de carrière de sa fille.
Gris. Plus loin sont projetées, en un même montage, diverses interviews données lors de son voyage aux Etats-Unis dans le but de signer un contrat avec la Columbia. En 1958, à Tageschau, l’actrice est assise entre le présentateur et sa mère, qui ne la laisse pas répondre aux questions, lui coupant sans arrêt la parole, ce qui n'empêche pas la jeune femme de capter l’attention. Dans le second extrait, la mère a disparu, laissant le rayonnement de Romy Schneider éclabousser la pellicule. Ces séquences projetées se situent entre les deux premières salles, comme un raccord chromatique entre les espaces. Evchen au teint laiteux des débuts devient alors mannequin pour Chanel dans une tenue rose poudré (Heinz Köster, Berlin, 1962). C’est le temps de son idylle avec Alain Delon, et de son premier séjour à Paris. Elle obtient un rôle dans la pièce de Luchino Visconti
Dommage qu’elle soit une putain (
‘Tis Pity She’s a Whore), et commence à tourner avec des cinéastes de renommée - Orson Welles (
Le Procès, 1962), Otto Preminger (
The Cardinal, 1963)... L'extrait du film
Boccace 70 de Visconti, dont le son emplit l'espace "Nouveaux commencements", marque une rupture avec la première salle. Romy Schneider y tient le rôle de la parfaite bourgeoise, qui demande tour à tour à sa femme de chambre collier, châle, chaussure, loin de la candide jeune fille du film de Hans Deppe. En écho, un nouvel instantané qui se dresse sur deux mètres de hauteur, affichant Romy Schneider et Harry Meyen (1924-1979), acteur allemand, son mari pendant un temps et père de son fils David. Elle occupe désormais la première place. La mère amoureusement possessive s'efface derrière l'homme, et Romy Schneider se transfigure en muse d’une génération de cinéastes essentiellement masculins.
Orange. L'un des plus célèbres reste le réalisateur français Claude Sautet (1924-2000), qui fait jouer l'actrice dans
La Piscine. Défile, sur fond orange vif, la fameuse scène avec Alain Delon, dans laquelle elle le réveille, alors qu’il lézarde au soleil, en l’éclaboussant par son plongeon dans la piscine d'une villa de la Côte d’Azur, puis l'embrasse. La légende veut que, lors de la postsynchronisation du film, Sautet soit tombé amoureux de la comédienne. Après quelques mois passés à l'épier dans les studios de Boulogne où a lieu le doublage, le cinéaste l’appelle pour lui décrire la Marie du roman de Paul Guimard qu’il veut adapter. Romy Schneider est bouleversée par l'histoire, et
Les choses de la vie semble parfaitement convenir au jeu épuré mais poignant de l’actrice, comme en jugent les critiques de l'époque, à l'instar de ce journaliste de
Positif après la sortie de
La Piscine : "
Par le seul plan où on la voit, avec des pleurs de joie, saisir un téléphone et demander à une amie de lui prêter sa voiture, Romy Schneider est digne d’arracher les larmes à quiconque sait que l’éternel se compose d’éphémère". Son attitude sur les plateaux de tournage est beaucoup moins appréciée. Témoin, ce mot du réalisateur Andrzej Zulawski : "
Un jour, on tournait à Issy-Les-Moulineaux et soudain sa colère a explosé parce qu’elle n’était pas d’accord sur la façon de jouer la scène ou sur le texte qu’elle devait dire (…). Hurlante et rageuse, elle a renversé tout ce qui se trouvait sur la table d’un revers de main et elle est partie en claquant la porte vitrée si violemment que le verre a explosé."
Rouge carmin. Le tournage avec Claude Sautet est sa collaboration la plus intense depuis Visconti. Dans une lettre exposée dans la vitrine qui relie l'orange au rouge, Romy Schneider exprime son désir passionné de jouer la Marie du scénario du réalisateur. Elle sera "
sa plus belle, et sa plus vibrante Marie". Schneider est avant tout une actrice qui se dévoue complètement à ses rôles, cherchant toujours la diversité nécessaire à la carrière pérenne d’une actrice estampillée très jeune par un rôle d’envergure, comme le dit Sautet : "
Je m’amourache, chaque fois, de ce que je suis en train de tourner, mais lorsque je tourne avec Schneider, je deviens littéralement fou d’elle. Elle est tout à fait consciente du pouvoir de son corps ainsi que de la très forte sensualité qui se dégage de sa personne et possède, à l’instar de toutes les grandes vedettes, une espèce de pouvoir de pluralité." Le succès qu'elle rencontre en France fait écho aux propos du cinéaste : elle reçoit deux César dans les années 1970, pour
L’important c’est d’aimer (1975, Andrzej Zulawski), et
Une histoire simple... de Claude Sautet (1978). Actrice de plus en plus reconnue à l'écran, Romy Schneider se fissure peu à peu à la ville, tout comme ses personnages. Mais l'exposition berlinoise respecte son sujet et ne rentre pas dans les détails de sa dépendance à l'alcool et aux médicaments.
Argent. Au-delà des fêlures, s'il est une image qui perdure, c'est celle de sa majesté.
Le photographe F.C. Gundlach (célébré par une autre exposition à Berlin) ne s'y trompe pas en la prenant de profil, le menton levé, l'air royal. En 1972, Romy Schneider interprète à nouveau l'Impératrice d’Autriche, mais loin de ce qui a fait sa légende et celle de son personnage Sissi : "
Il n’existe aucune commune mesure entre la Sissi de jadis, et mon rôle d’aujourd’hui. Sissi était une gamine fofolle, tandis que l’impératrice d’Autriche est une femme mûre. Je vais pouvoir interpréter ce rôle en donnant au personnage toute sa consistance… Une interprétation qui me touche au vif, quand on sait que cette impératrice qui ne connaissait pas la peur a été assassinée. C’est un sujet merveilleux. Moi aussi, j’ignore la peur. La peur physique, j’entends, car les autres angoisses, celles que je dois sans cesse combattre, je ne les connais que trop. Finalement, je découvre dans le personnage d’Elisabeth des traits de caractère qui ne me sont pas étrangers." Un grand tableau de l’impératrice Élisabeth dans la dernière salle induit d’ailleurs le rapprochement entre l'actrice et le personnage historique. Quelques années avant sa mort en 1982, à l'âge de 43 ans, Romy Schneider devient un mythe. La double présence de la couleur argentée sur les murs et des costumes de Sissi impératrice - uniquement montrés dans cette dernière pièce - achèvent le tableau, avant d'accéder à un dernier espace, une salle obscure où les images de
Ludwig, Le crépuscule des dieux, de Luchino Visconti (1972), se dessinent sur un mur. Le noir se substitue à la couleur, l'écran devient cénotaphe.