L'art de trancher
Le Metropolitan Museum of Art, à New York, déploie lames, arcs et casques japonais dans la Tisch Gallery, au deuxième étage. L'exposition Art of the Samourai : Japanese Arms and Armors revient sur 700 ans de pratique et esthétique militaire.
Dans l’art et l’artisanat du Japon ancien, on distingue traditionnellement deux classes d’objets :
Oku dogu, l’art des objets du quotidien, de l’intérieur, des kimonos et du mobilier ; et
Omote dogu, l’art des armes et parures, foyer, allant des services à thé ou saké aux paravents, en passant par l’artisanat au service de la guerre. Illustration du rang des guerriers, mais aussi choix d’une tenue fastueuse pour mourir, les armes du Samouraï relèvent d’une véritable esthétique de la guerre. Pour l'exposition
Art of the Samourai : Japanese Arms and Armor consacrée aux
omote dogu, le MET rassemble, pour la première fois, des pièces exceptionnelles appartenant aux plus prestigieuses catégories qui répertorient le patrimoine culturel japonais : Trésor National, Bien culturel important, Objet d’art important. L'exposition retrace 700 ans de coutume, de la fin de l’époque de Héian (1156) au début de l’ère Meiji (1868), marquant la fin des régimes féodaux : le temps des Daimyo, des Shogun et des Samouraï. Le choix d’une vaste période permet aussi de rendre compte de l’évolution des techniques artisanales en fonction des évolutions techniques, stratégiques et sociétales liées à l’art de la guerre.
Les lames constituent la majorité des objets présentés dans l'exposition, au détriment d’une plus grande variété. La présentation est classique : quelques grands panneaux, les objets et les notices. L'exposition pose la question de la restauration, de la conservation et de la présentation de ces armes et armures historiques ; cependant, la réponse est laissée en suspens. Le public peut ainsi tracer son propre chemin, parfois au risque de se perdre dans des indications techniques elliptiques ou désordonnées. Dans cette scénographie spartiate, l’exposition fait la part belle aux armes offensives : quelques spécimens de ken, épée à double tranchant, dont on n’a retrouvé que de rares exemplaires - seuls trois mobiliers funéraires en comporteraient -, se mêlent aux lames légèrement courbes des tachi. Parmi ces
dernières, certaines furent retravaillées en lames de katana, son successeur. Ces épées plus courtes servaient au combat, bien sûr, mais, portées par les guerriers des plus hauts rangs, elles étaient aussi des signes de prestige social. Les chokuto, lames droites, furent, elles, remplacées peu à peu par les sabres nikon-to à partir de l’époque de Kamakura. D’une manière générale, la valeur d’une épée s’évalue selon la qualité de son fil, celle de son acier, et la marque du forgeron ; parmi les plus célèbres représentés ici, les fameux Nagamitsu et Kagemitsu (XIIIe et XIVe siècles).
Si l’origine sociale des artistes forgerons a pu varier au cours des âges, leurs épées se sont transmises au sein des familles illustres, et les empereurs de l’ère Meiji vantaient encore les qualités des lames de ces forgerons. L’exposition présente notamment une épée ayant appartenu successivement aux Metsudaira, puis au Sato Kanji et Sano, avant d’être exposée au Musée d’art de Tokyo, qui la prête à son tour au musée new-yorkais. Autre témoignage des relations anciennes entre le MET et les services culturels et muséographiques japonais : la présence de spécimens des Trésors Nationaux obtenus en 1906 lors des négociations amicales du Dr. Bashford Dean, alors responsable des armes japonaises, et du Musée Impérial de Tokyo.
Autour de l’art des épées, le MET expose également pommeaux et fourreaux, arcs et fusils, ainsi que des armures complètes de plusieurs styles et périodes, témoignant des métamorphoses de l’art martial japonais au cours du temps. Des pièces de harnachement (selles, étriers, brides, etc.), où la nacre, le cuivre doré et les laquages étalent le faste des anciens propriétaires,
rappellent épisodiquement le rôle des chevaux dans la présentation sociale et dans l’art de la guerre. Des casques biscornus, à grandes oreilles et aux aspects mystérieux, reflètent l’influence de la pensée bouddhique, notamment du bouddhisme zen, sur les guerriers de la grande époque. Casques et armures, ornés de symboles, étaient aussi, potentiellement, le dernier vêtement du guerrier. Le lapin, apparu au cours de l’époque d’Asuka, représente la chance et la longévité ; ce signe zodiacal restera populaire durant l’époque Momoyama (XVIe siècle) et jusqu’au début de l’époque d’Edo (XVIIe siècle).
Sur les murs du MET se dressent des peintures de scènes de bataille, celle de Nagashino et celles de Kawanakajima (XVIe siècle). Une projection montre le travail de forgerons actuels, suivant les méthodes ancestrales pour fondre l’acier, étirer la lame, la tremper, la forger et la polir, pour en faire, au terme de six mois de travail d’équipe, une lame fidèle à la réputation du Japon, encore aujourd’hui.