Au rez de chaussée du musée du Quai Branly, dans le cadre d’une exposition exceptionnelle conçue par l'archéologue Felipe Solis, décédé le 23 avril dernier, et qui réunit 450 pièces présentées pour la plupart pour la première fois en Europe, s'étend actuellement et jusqu'au 24 janvier la ville que les Aztèques appelaient "le lieu où naissent les dieux", la mystérieuse Teotihuacan.
Sur le sol, se dessine le tracé complexe de la ville tel qu'il a été établi par René Millon dans les années 1960 et au centre de cet espace, s'élève, à la même échelle que le plan, la maquette du cœur de Teotihuacan, dominée par la pyramide de la lune dans l’axe de l’allée des morts. L'exposition se veut à la fois exploration d’un espace et voyage dans le temps. Les grands blocs gris similaires au matériau de la maquette qui trône au centre, accueillent tout autour d'elle les vitrines, les écrans vidéo et les cartels explicatifs sans former un itinéraire tout à fait imposé et laissant donc le visiteur libre de déambuler dans l'exposition.
Puisque 95% du site n’a pas été encore fouillé, Teotihuacan constitue un espace ouvert aux spéculations des chercheurs. De même, la maquette et la scénographie conçue par l’agence Jakob+MacFarlane, dans leur simplification extrême des formes, offre au visiteur la possibilité d’exercer librement son imagination. Dans ces blocs gris, des objets parfois monumentaux, mais des fragments seulement, des spectres de ce qu'était cette cité grandiose au sein de laquelle vivait, à son apogée, quelque 100 000 personnes. L'exposition met donc au centre ce qui est un
des enjeux fondamentaux de l'archéologie, l'étude des traces matérielles laissées par des peuples qui nous ont précédés : il s'agit de faire parler ces pierres muettes pour essayer de mieux comprendre ceux qui en sont les auteurs.
Qui dirigeait cette ville ? Pourquoi une cité qui dominait l'Amérique à l’époque de son apogée a-t-elle ainsi disparu ? Voilà quelques unes des questions auxquelles les archéologues n'ont pas encore trouvé de réponses. L'histoire de la ville s'étend de 150 avant Jésus-Christ jusqu'à 650 après J.-C., et les aztèques furent les premiers à fouiller ce site qui les fascinaient déjà. L'enjeu archéologique n'est donc pas anodin : on assiste ici à la recherche en train de se faire, et les questions demeurent. Certaines des pièces présentées sont d’ailleurs des découvertes récentes, et la tenue d’un colloque international à l’occasion de l'exposition sur le thème "Rituels et pouvoir à Teotihuacan" s'inscrit précisément aussi dans cette actualité de la recherche archéologique. A Teotihuacan, peut-être encore plus qu'ailleurs, l'histoire n’est pas certaine.
La densité de l’information est telle que l'exposition mériterait plusieurs visites, mais les mystères de la cité des dieux valent bien une telle précision. Dans la première partie de l’exposition, des gradins miniatures, à l'image de l'architecture pyramidale de la ville, sont pleins : les visiteurs regardent avec attention une vidéo qui résume l’histoire de la cité. Et pour cause, ce film se révèle indispensable pour aborder les objets, les œuvres qui nous sont présentées.
Au-delà de ces questions scientifiques et
historiques, les objets, sculptures, peintures murales, s'imposent précisément aussi en tant qu'œuvres d’art. Le jaguar de pierre, emblème du pouvoir politique, qui accueille le visiteur, les figures stylisées du grand dieu que les aztèques appelaient Quetzacoatl, le serpent à plumes, ou cet autre dieu représenté sous la forme d'un vieil homme ridé qui porte une vasque sur les épaules, sont autant de symboles singuliers qui hantent la cité et l'esprit du visiteur. Ces images sculptées dans la pierre ou peintes sur les murs de la ville sont nos seuls accès à la pensée des habitants de Teotihuacan. Ne nous sont parvenus que ces poteries, ces sculptures, qui témoignent sans mots de la vie qui fut la leur.