Près de cent-cinquante objets, des tableaux aux instruments scientifiques en passant par des camées antiques ou bien des livres précieux, tous témoins de la richesse, de l'éclectisme, de l'esprit stratégique et de la philosophie de vie de la puissante famille florentine : jusqu'au 31 janvier, le musée Maillol, à Paris, expose Le Trésor des Médicis.
Il est immense, cet arbre généalogique un peu en retrait, à l'entrée de l’exposition, qui regroupe la foule des Médicis, et accompagné d'une série de médailles représentant les principaux membres de la puissante famille florentine. Dans les racines, le nom de Cosme l'Ancien (1389-1464) : c'est lui qui débute véritablement les collections en achetant des œuvres d'art tant du passé que contemporaines, instaurant ainsi un éclectisme fastueux et un projet de collectionnisme où chaque acquisition doit refléter une conception particulière de l'existence. Le bel objet doit avoir une place à part entière et non être possédé simplement en raison de sa valeur financière. "
Ces trésors sont encore aujourd'hui accessibles à tous, Florentins comme étrangers de passage, pour prendre conscience de ce qu'a été le projet de vie des Médicis, l'art comme faisant partie intégrante de la vie, comme instrument de l'existence et destiné à l'éternité", rappelle Patricia Nitti, directrice artistique du Musée Maillol.
Les descendants les plus illustres de Cosme l'Ancien seront autant de disciples de cette philosophie, tel Laurent le Magnifique (1449-1492), qui encourage Michel-Ange et Botticelli tout en collectionnant les vases en pierre dures de manufacture florentine, les fines porcelaines chinoises et les délicats camées, où l'agate et l'or sont finement sculptés pour représenter dieux, héros et scènes mythologiques (
lire notre article à ce sujet). Le cabinet de curiosités reconstitué, héritage entre autres de Pierre le Goutteux (1416-1469) et François Ier de Médicis (1541-1587), est une autre illustration de ce goût raffiné pour tous les arts et de ces acquisitions soigneusement réfléchies : un somptueux
Pendentif à la sirène, en or, émaux, perles et pierres précieuses, fruit de l'orfèvrerie flamande du XVIe siècle, repose aux côtés d'un masque en jade taillé (époque Teotihuacan, v.250-600) rapporté d'une expédition au Mexique, tandis que trois précieuses cuillères en ivoire (première moitié du XVIe siècle), originaires du royaume du Bénin, jouxtent une verseuse en nacre et vermeil (XVIe siècle), constituée de deux coquillages exotiques assemblés par un fin assemblage en vermeil, alliance de la manufacture chinoise et flamande et témoin de la volonté, constante à l'époque, de perfectionner la nature par
l'art pour aboutir à l'objet parfait. La constitution d'une collection raffinée et éclectique est alors propre à toutes les familles puissantes d'Europe. Mais, d'une part, la fortune des Médicis leur permet d'élever leurs trésors à un niveau de richesse et de variété rarement égalé ; d'autre part, chaque objet acquis s'inscrit dans un plus large dessein, celui de placer l'art au centre de l'existence.
Ce faste réfléchi continue avec les branches successives de la dynastie, à travers l'atelier de pierres dures, l'une des passions de Ferdinand Ier (1549-1609), qui fait affluer à Florence ces matériaux précieux pour faire composer tout d'abord fleurs, fruits, puis paysages de plus en plus complexes, où les artistes assemblent les pierres sous forme de marqueterie ou bien suivent les dessins naturels du minéral pour y ajouter leurs propres créations, comme dans cet étrange
Ruggero délivrant Angélique de l'orque (deuxième décennie du XVIIe siècle), œuvre de Tommaso di Filippo di Liagno, dit Filippo Napoletano, où le peintre, s'inspirant de la scène tirée du
Roland Furieux de l'Arioste, joue des teintes sombres et des formes de la pierre calcaire pour accentuer le caractère dramatique de la scène. Se côtoient les instruments scientifiques rassemblés dans la salle des sciences, tentative de restitution du cabinet des mathématiques crée par Cosme Ier (1519-1574), les natures mortes complexes et raffinées ou les délicats vases d'ivoire ciselés accumulés dans le garde-meuble de Ferdinand II (1610-1670), les luxueux objets de piété commandés par Cosme II (1590-1621), à l'instar de ce somptueux ex-voto (achevé en 1624), qui voit le souverain agenouillé dans une chapelle. Le bijou en forme de berceau, minutieux travail de filigranes d'or, émaux, diamants, perles et soie, offert par son mari à la dernière descendante des Médicis, Anne-Marie Louise (1667-1743), princesse Palatine, et qui ne suffira pas à vaincre la stérilité qui affecte les derniers rameaux de la dynastie, semble justement souligner combien la descendance encore actuelle de la puissante famille florentine sont ses trésors, conservés pour la plupart à Florence par le testament de la dernière des Médicis.
Le faste de la famille a également constitué une véritable
stratégie politique, menée avec adresse et discernement, afin d'asseoir sa puissance. Selon Patrizia Nitti, "
les Médicis ont été les premiers à comprendre l'importance de la puissance de communication. Cosme Ier avait l'habitude de dire que ses meilleurs ambassadeurs à l'étranger étaient ses objets d'arts". Ainsi le
Persée, réalisé en 1549 par Benvenuto Cellini (1500-1571) sur une commande de Cosme Ier, doit symboliser la victoire des Médicis sur les ennemis de Florence, ce que souligne l'un des bas-relief de la statue représentant Persée délivrant Andromède du dragon : véritable propagande artistique, l'œuvre symbolise Florence, sous les traits de la jeune fille éperdue, sauvée par la famille florentine. De la même façon, la présence dans la collection de
L'Orateur (fin du IIe-début du Ier siècle avant J.-C.), statue étrusque en bronze retrouvée en 1566 et achetée par Côme Ier témoigne de la volonté du duc de Florence de rappeler la présence étrusque en Toscane et, de ce fait, de faire de la région l'un des premiers berceaux de la civilisation en Italie, bien avant l'arrivée d'Énée dans le Latium. Catherine de Médicis (1519-1589) et Marie de Médicis (1573-1642), les deux reines italiennes à la cour de France, auront cette même volonté d'utiliser l'art et le raffinement pour imposer leur puissance dans un pays étranger : chacune se fait représenter en pied, l'une dans un tableau (entre 1547 et 1559) attribué à Germain Le Mannier, l'autre en 1611 par Frans Pourbus le Jeune, toutes les deux littéralement couvertes de perles et de pierres précieuses, répondant ainsi à un désir commun d'élaborer une iconographie qui puisse légitimer pleinement leur rôle de reine.
Le lien privilégié avec les plus grands artistes de leur temps, source de très nombreuses peintures, sculptures, médailles ou miniatures des membres de la famille florentine, permet d'inscrire les Médicis au cœur même de leurs trésors. De fait, pour Patrizia Nitti, il s'agit de l'un des enjeux principaux de l'exposition : à travers un fil à la fois chronologique et thématique, elle
présente les personnages de la puissante famille aux côtés de sa collection, "
comme un écrin", selon l'expression de la directrice artistique. Le
Portrait d'Éléonore de Tolède, peint en 1543 par Bronzino, affiche de l'exposition, permet ainsi un véritable tête-à-tête avec la jeune femme parée, aux yeux presque magnétiques, se détachant sur un fond bleu sombre envoûtant. Juste à côté dans une vitrine, l'une des bagues que porte la grande duchesse de la Toscane sur le tableau. Il en va de même pour
L'Adoration des mages, peinte entre 1475 et 1476 par Botticelli, et qui représente avec précision et naturel de nombreux membres de la famille florentine : Cosme l'Ancien et ses petits-fils Laurent, Julien, Pierre et Jean, tous sont là, entourés de personnages dont certains portent les traits des humanistes Politien et Pic de la Mirandole, Botticelli s'étant représenté lui-même, à l'extrême droite.
Ainsi les Médicis s'inscrivent-ils, au sens propre comme figuré, dans leurs oeuvres. En écho, la scénographie de l'exposition au musée Maillol fait varier les couleurs dans la décoration des pièces pour symboliser un aspect des personnages évoqués : blanc pour Marie de Médicis, grande amatrice de perles, ou rouge cardinal pour le pape Clément VII. La plupart des trésors exposés proviennent des musées de Florence, rappelant également le lien étroit entre les Médicis et la capitale de la Toscane, où des édifices tels que Les Offices, construits précisément pour abriter les collections médicéennes, et le Palazzo Pitti, dédié aux fêtes de la même famille, sont autant de souvenirs concrets de la vieille dynastie italienne. Les nombreuses lettres exposées dans la bibliothèque aux manuscrits vont dans le même sens, portant la voix des Médicis. Mais au-delà de ces va-et-vient permanents entre l'art et la vie, l'héritage de cette illustre famille italienne s’explique aussi par le lien fondamental qui l'unissait, comme le rappelle Patrizia Nitti : "
Contrairement aux familles de l'époque, toujours prêtes à s'assassiner, et mis à part l'épisode exceptionnel de l'assassinat d’Alexandre, le duc de Florence, par son cousin Lorenzo, que Musset a narré dans Lorenzaccio
, les Médicis était une famille profondément liée. Ils se sont toujours aimés et aidés."