VIA, voie royale du design
Passés les portiques transparents de l'entrée, un immense miroir plonge directement vers le sous-sol, où étagères, fauteuils et lits de toutes formes et couleurs se déploient. Méconnue du grand public, l'association VIA est un pilier de la création design dans l'Hexagone, révélant et / ou accompagnant plusieurs dizaines de créateurs d'objets depuis trois décennies. Pour souffler ses 30 bougies, le Centre Pompidou de Paris accueille l'exposition VIA Design 3.0, en entrée libre jusqu'au 1er février.
Les frères Bouroullec,
Philippe Starck,
Matali Crasset,
Mathieu Lehanneur, Patrick Jouin, Jean Marie Massaud, Christophe Pillet, Inga Sempé, François Azambourg, Philippe Rahm... Quel éditeur de mobilier ne rêverait pas d'avoir dans son catalogue de tels noms prestigieux ? Tous se disputent leurs faveurs et leur emploi du temps surchargé. Pourtant, seule une association très peu connue du grand public mais faisant autorité dans le milieu du design par son sérieux et son influence, le VIA (acronyme pour
Valorisation de l'Innovation dans l'Ameublement) peut se targuer de les avoir tous fait travailler. Et, motif de fierté supplémentaire, ce travail porte sur des travaux prospectifs où les designers ont pu créer sans contrainte, donnant ainsi le meilleur d'eux-mêmes.
En 1979, le VIA doit sa création au CODIFA (Comité pour le développement des industries françaises de l'ameublement) avec le soutien du Ministère de l’Industrie, afin d'apporter un soutien à l'industrie française de l'ameublement qui est alors sinistrée et ne représente plus que 5% des ventes, étouffée entre la concurrence haut de gamme italienne et le design nordique épuré. Dès le départ, deux grandes missions, toujours en vigueur aujourd'hui, sont fixées : promouvoir et encourager la création française dans l'ameublement.
La première mission de promotion est de faire reconnaître en France et à l'étranger à la fois l'excellence des formations françaises en design mobilier, à l'instar de la prestigieuse école Boulle, ainsi que valoriser les designers et la création française. Pour ce faire, le VIA mène une veille concurrentielle ainsi qu'une activité de conseil et de formation destiné
e aux dirigeants d'entreprise pour permettre une meilleure compréhension des enjeux stratégiques de la créativité pour leur activité. Mais le pendant plus visible de cette activité est la présence du VIA et de ses designers sur les salons de design internationaux. Profitant de sa crédibilité et de ses ressources, le VIA permet ainsi de faire connaître les talents français, jeunes ou confirmés, et de replacer la France sur la carte plus que jamais mondiale de la création design. Cette mission relève dans certains pays, tels que l'Italie, l'Angleterre, la Corée, ou encore la Suède, des pouvoirs publics qui se sont ici bien volontiers appuyés sur une structure privée indépendante. Ces dernières années, nombre d'initiatives publiques, pour reprendre la main sur la promotion du design telle que la création du Lieu du Design à Paris ou du Centre du Design à Saint Étienne, ont eu lieu. Cependant, aucune de ces structures ne semble pour l'instant pouvoir remettre sérieusement en cause la légitimité du VIA et son utilité sur ce sujet.
Mais c'est son activité de soutien à la création, notamment par le financement de prototypes, qui est enviée hors les frontières françaises, et qui constitue la véritable originalité du VIA. Cette aide à la création est divisée en deux grands volets d'action. Il y a tout d'abord les Cartes Blanches du VIA, sorte de bourse recherche, attribuées à raison généralement d'une par an à un designer qui a alors les coudées franches pour réaliser un projet qui sera ensuite prototypé. La démarche est alors souvent plus conceptuelle, prospective, car elle s'étale sur une durée plus conséquente que celle habituellement allouée à des projets.
Il existe également les "Appels Spécifiques" ou "Appels Permanents", qui portent quant à eux sur un projet délimité et qui permettent le prototypage du dessin, que ce soit de manière industrielle ou artisanale. L'étape du prototypage est stratégique en design : la matérialisation du des
sin permet au designer de tester la pertinence concrète de ce qui n'était jusqu'alors qu'une idée, avec de nouveaux outils. Pour autant, le prototype n'a pas pour objet d'être abouti. Il s'agit parfois simplement d'une étude : "
Les maquettes, comme les dessins d'architecture, peuvent avoir une existence conceptuelle ou artistique en soi, indépendamment du projet qu'il représentent" (Karen Moon, 2005). La fameuse agence de design IDEO, à l'origine entre autres de la souris des ordinateurs, est d'ailleurs l'une des plus ferventes partisanes du prototypage rapide.
Les prototypes servent aussi de moyen de médiation et de carte de visite entre le designer et les industriels, permettant de "vendre" bien plus facilement un concept. A charge, alors, pour l'industriel acquéreur d'indémniser le VIA des frais engagés. Pourtant, si l'association reçoit de 500 à 1000 dossiers par an pour seulement 15 a 20 lauréats retenus, seuls 30 à 40% d'entre eux seront ensuite édités en petite ou grande série. Parfois, l'accompagnement de designers se traduit par de francs succès, à l'instar des quatorze objets dessinés par Philippe Stark lors de sa carte Blanche en 1982. Ce sont les résultats de ce processus unique, sans qui ils n'auraient sans doute jamais vu le jour, que présente l'exposition du centre Pompidou.
Du pur baroque italien au Bauhaus allemand,
VIA Design 3.0 expose un prototype ou première édition par année, ainsi que certaines pièces-hommage à la maison d'édition Ligne Roset, à Philippe Starck et à Jean-Michel Wilmotte, portant le total des oeuvres présentées à quarante. L'exposition permet de relever deux évolutions majeures : avant 1996, le VIA ne s'occupe que de mobilier intérieur, mais sous l'impulsion de son nouveau directeur général, Gérard Laizé, l'association étend son champ aux luminaires, textiles d'ameublement, etc. qui composent le cadre de vie quotidien. Ensuite, à partir des années 2000, les propositions se font plus prospectives et, davantage que
notre cadre, interrogent notre mode de vie, à l'image des très abouties Carte Blanche de Mathieu Lehanneur en 2006, Jean Louis Fréchin en 2008, ou encore Philippe Rahms en 2009.
Occupant généralement des surfaces plus réduites, notamment dans sa galerie parisienne, dans le douzième arrondissement, où les expositions thématiques sont de petits bijoux de mise en scène -
Sport et design en 2004,
Jean-Marie Massaud en 2007... -, le mobilier présenté peine ici à occuper pleinement l'espace froid du sous-sol de Beaubourg. Difficile de tirer le fil d'ariane d'une création foisonnante et protéiforme qui, depuis trente ans, est allée dans de multiples directions, sans jamais imposer un style. Mais cette impossible cohérence s'estompe quand, devant un diaporama géant, défilent de façon vertigineuse, année après année, certains des plus grands noms de la création française. L'association se qualifie elle-même d'"
auberge espagnole"
du design. Une modestie affichée qui ressemblerait presque à de la coquetterie : les succès économique et d'estime remportés depuis trois décennies font sans conteste du VIA un quatre étoiles.