Utopiales 2009 : Morceaux choisis
Du 28 Octobre au 1er Novembre se tenait, dans la très belle Cité internationale des Congrés de Nantes, la dixième édition des Utopiales, le Festival international de Science-fiction. Thème de cette édition 2009 : "Des mondes meilleurs ?". Visite guidée.
Depuis sa création en 2000, le festival est devenu un événement incontournable pour les amateurs du genre, où se réunissent écrivains, universitaires, artistes, cinéastes, fans, pour échanger autour de la science-fiction et de la fantasy. Ecouter des chercheurs débattre, poser une question à son auteur préféré, acheter et faire dédicacer des livres, contempler des œuvres graphiques dans des expositions, assister à une performance musicale et audio-visuelle, à une pièce de théâtre ou à des avant-premières de cinéma : rien que de très banal aux Utopiales.
Le festival investit la Cité des Congrés proposant divers espaces centrés autour du hall principal - rebaptisé "Espace Shayol" en référence à la planète imaginée par Cordwainer Smith - qui accueille des tables rondes mais aussi les soirées et événements spéciaux comme les remises de prix. Temps fort du festival : la remise du 37e prix de l’imaginaire, récompense majeure en France dans le domaine qui nous intéresse. Les lauréats des dix catégories du prix sont les suivants : le prix européen a été attribué à La maison d’Ailleurs à Yverdon, le prix spécial à Labyala Nosfell et Ludovic Debeurme pour Le Lac aux Vélies. Dans la catégorie essai, Fabrice Tortey l’a remporté pour son travail sur Robert Howard intitulé Echos de Cimmérie. Le prix Siudmak du graphisme a été attribué à Beb Deum pour Facebox, le prix Jacques Chambon de la traduction à Gilles Goullet pour Vision aveugle de Peter Watts. Anne Fakhouri a remporté le prix catégorie roman jeunesse pour Le clairvoyage et la Brume des jours, Neil Gaiman dans la catégorie nouvelle
étrangère pour son recueil Des choses fragiles, Jérôme Noirez dans la catégorie nouvelle francophone pour le recueil Le diapason des mots et des misères, Ian McDonald pour Roi du Matin, Reine du jour dans la catégorie roman étranger et enfin Stéphane Beauverger pour Le Déchronologue, meilleur roman francophone, qui a également remporté le prix européen Utopiales des Pays de la Loire.
Dans ce même espace Shayol, un hommage a été rendu à l'écrivain britannique J.G. Ballard, décédé en avril dernier. Cette performance originale du collectif Palo Alto mêlait littérature, vidéo et musique dans un spectacle-concert déroutant, baignant dans l’obscurité à la fois onirique et hyperréaliste des thèmes fétiches de Ballard : la déliquescence de la société contemporaine, le sexe, la perversion. La co-présence de trois media invite ainsi à un choc interprétatif : ici, la musique ou les extraits de la nouvelle "Slowing Apocalypse" lus par son auteur Jacques Barbéri invitent à regarder différemment les images de Gilles Bénéjam ; ailleurs au contraire, musique, mots et images s’unissent pour créer conjointement un même effet sur le spectateur. Une table ronde consacrée à l’œuvre de Ballard était également programmée le lendemain.
Au sous-sol, s’étend l’auditorium, la salle "Dune", qui accueillait une compétition de longs métrages - Moon de Duncan Jones a remporté le grand prix du jury, ex aequo avec The Clone returns Home de Kanji Nakajima - , des avant-premières, mais aussi une sélection de courts-métrages. Les difficultés de diffusion des courts-métrages sont connues et l’on ne peut donc que se féliciter, comme le faisait l’organisateur, de voir la salle comble lors de la projection. On retiendra surtout de cette sélection l'humour des films. Car si les court-métrages pesants et sérieux, qui se veulent porteur d’un message tout en souhaitant rester mystérieux, lassent très vite, en revanche, le piquant de Virtual Dating de Katia Olivier, prix du public, ou de Zombies et Cigarettes de Inaki San Romàn et Rafa Martinez, l’humour décalé et les références à la science-fiction de l’ancien temps dans Aux limites 
de l’étrange de Virgile Dalier et La révélation de Vincent Diderot sont salvateurs. Notre préférence va à Miniatures de Carlos Vermut, un documentaire espagnol ultra court de 3 minutes 30 : trois personnes sont interviewées et racontent un tragique accident. On ne peut en dire plus sans gâcher le film. Ce court a d’ailleurs obtenu le Méliès d’argent durant le festival.
Dans ce même auditorium, Enki Bilal présentait Cinémonstre, une compression de 67 minutes de ses trois films Bunker Palace Hotel, Tykho Moon et Immortel ad vitam, accompagnée par une performance musicale improvisée sur scène par Goran Vevjoda. Si la démarche est originale et le résultat assez prenant, on peut se demander à qui s’adresse réellement cette œuvre, car ceux qui auront déjà vu les films n’y trouveront pas forcément quelque chose de neuf, et ceux qui les découvriront ainsi auront peut-être du mal à en saisir la portée. L’intérêt vient plutôt de la collision d’images de différentes époques qui amènent à relire les films différemment et notamment à en dégager une structure similaire, si bien qu’alors même que la démarche de Bilal est d’effacer la trame narrative, de brouiller les pistes – notamment en proposant des extraits des différentes versions des films en français, anglais, japonais etc… sans sous-titrage - elle refait surface inévitablement.
A l’étage, la mezzanine avec le salon du livre, et l’espace de dédicaces. Mais aussi la salle Solaris où se jouait la première partie d’Empreintes, une pièce de théâtre écrite par Pierre Bordage, projet qui s’achèvera lors du prochain festival des Utopiales. La mise en scène d’une pièce de théâtre de science-fiction est un projet tellement rare et original qu’il mérite toute notre attention. Le texte de Bordage présente un jeune homme qui va être confronté à la conscription, alors que la Terre entre en guerre contre ses colonies. Il est difficile de juger de la pièce pour le moment, car seul un prologue a été présenté, mais cet avant-goût intrigue et la mise en scène très épurée et inventive d’Hervé Guilloteau sait parfaitement tirer partie de l’espace particulier de la salle.
Par ailleurs, comment ne pas évoquer le flot ininterrompu de tables rondes dans l’espace Shayol et au bar de Mme Spock sur des sujets aussi divers que l’actualité de la fantasy et de la science-fiction, les extra-terrestres, les manipulations génétiques, la loi Hadopi, l’architecture, le darwinisme… Les invités se sont demandés par exemple si la fantasy correspondait à un désir d’éternité : Robert Redick parle de ce genre comme d’une "retraite temporaire pour méditer" et Jean-Philippe Jaworski de la "création d’un folklore mondial". Gilles Menegaldo, Denis Mellier, Daniel Tron et Lauric Gu
illaud se sont intéressés à l’imaginaire urbain et à ses liens avec l’utopie et la dystopie. Une autre table ronde posait la question suivante : le XXIe siècle, spirituel ou pas ? Et Pierre Bordage y a présenté sa vision de la spiritualité comme "recherche de la liberté absolue", comme affranchissement de tous les conditionnements. C’est dire la richesse des échanges durant tout le festival.
Plusieurs expositions se tenaient aussi dans le grand hall, notamment une exposition inédite autour du travail du dessinateur Leo qui présentait des crayonnés préparatoires, des planches de bande-dessinée, des études, le tout illustré par des entretiens vidéos. Le festival est un lieu convivial où des visiteurs de tout âge se mêlent et une place importante est donnée aux activités pour les enfants. Une exposition comme celle-ci permet aux plus petits de s’ébahir devant les créatures fantastiques du bestiaire de Leo alors que les adultes apprécient de pénétrer au cœur de l’atelier de l’artiste et de découvrir les étapes de création d’une bande-dessinée et la qualité artistique des œuvres présentées : les études du personnage de Kim notamment, une succession de portraits aux expressions toutes singulières, donnent une incroyable impression de vie.
James Gurney, l’auteur de Dinotopia, qui a réalisé l’affiche du festival, présentait également certaines de ses illustrations, plongeant le visiteur au cœur de son univers imaginaire si reconnaissable : Lumières sur l’eau, inspirée par les peintres de l’Hudson River, ou Ebulon au crépuscule, représentant une statue géante dans un oasis sont de véritables voyages car le réalisme et la précision du dessin de Gurney s’allient toujours à la richesse et à la fantaisie de son imagination. Enfin, l’exposition de planches de la Brigade chimérique, une uchronie qui se déroule dans l’entre-deux guerres, dessinée par Gess sur un scénario de Serge Lehman et Fabrice Colin, présente un univers inspiré par l’expressionisme allemand, très graphique, jouant sur les contrastes et les grands aplats noirs.
Le festival s’est clos sur la journée Manga-Tan avec le concours de Cosplay, événement festif par excellence et la projection en avant-première du film Evangelion 2.0, faisant preuve une dernière fois de la diversité et de la qualité de l’offre du festival.
Légendes et Crédits photographiques:
Vignette Page d'accueil: Photographie de Ludovic Failler
1 Espace Shayol. Photographie de Claire Cornillon
2 Palo Alto Soirée Hommage à Ballard. Photographie Claire Cornillon
3 Compétition courts-métrages. Photographie Claire Cornillon
4 Betelgeuse, illustration de Leo
5 Dinotopia, Flight past the falls, James Gurney
