L`Intermède


APRES CHEVAL DE GUERRE (1982), ADAPTE EN 2011 PAR STEVEN SPIELBERG (découvrez ici notre article sur le film), c'est un nouveau roman de Michael Morpurgo qui a été adapté au cinéma l'hiver dernier : Le Royaume de Kensuké. Désormais disponible en DVD et en Blu-Ray, voilà une occasion de (re)découvrir cette adaptation en animé, émouvante et à la réalisation soignée, qui s'inscrit dans le mythe de la robinsonnade et transporte les spectateurs sur une île perdue au milieu de l'océan, où se tissent des liens inattendus entre un jeune anglais échoué - accompagné de sa chienne Stella - et un vieil homme japonais, Kensuké.
 

Par Émilie Combes
 
LE ROMAN RELATE L'INCROYABLE HISTOIRE DE MICHAEL, PARTI FAIRE UN TOUR DU MONDE à la voile avec ses parents, avant qu’une terrible tempête ne le propulse par-dessus bord avec sa chienne Stella. Échoués sur une île déserte, comment survivre quand on a 11 ans et qu’on ne connaît que la ville ? C’est dans ce cadre isolé et hostile qu’un mystérieux inconnu vient à leur secours en leur offrant à boire et à manger. C’est Kensuké, un ancien soldat japonais vivant seul et en harmonie avec la faune et la flore de cette île, qui ouvre à Michael les portes de son « royaume ». Les deux personnages vont alors unir leurs forces pour le préserver.
 


Voyage initiatique
 
L’UNE DES FORCES DU FILM RÉSIDE DANS SON APPROCHE UNIVERSELLE de thèmes comme l’amitié, le respect de l’autre et de ce qui nous entoure. Le jeune Michael doit en effet apprendre à s’adapter à ce nouvel environnement, tout en découvrant une culture et un mode de vie qui lui sont totalement étrangers. À travers le prisme de l’enfance, le film invite à réfléchir sur la manière dont la découverte et la prise en compte de l’altérité sont des catalyseurs d’un enrichissement mutuel. Par ses rencontres et ses découvertes, Michael va grandir, changer ses points de vue et faire des choix. Selon Kirk Henry, l’animation a été un formidable moyen d’expression pour mettre en scène le roman tant « elle apporte une dimension de conte, contrairement au cinéma en prises de vue réelles, et [parce] qu’elle nous permet de croire au merveilleux ».
 
DES LORS, LE SPECTATEUR EST PLONGÉ DANS UN RÉCIT QUI S'APPARTENTE AUX CONTES initiatiques, au sein duquel le récit est axé sur les personnages, sur les relations qu’ils entretiennent, mêlant – et c’est une caractéristique de Michael Morpurgo – les animaux à une histoire d’une grande puissance émotionnelle, se déroulant dans un environnement somptueux. Le travail sur les lumières et les couleurs est lié à l’évolution du personnage tout au long de son parcours. Pour le réalisateur Kirk Hendry, il était important que l’île sur laquelle Michael s’échoue « donne le sentiment d’être un univers hostile et étranger, radicalement différent de l’ambiance heureuse et solaire du bateau. C’est donc un environnement très gris. On a totalement évacué l’idée d’une île tropicale. On ne voulait pas non plus utiliser de couleurs chaudes et gaies avant que Michael se sente à l’aise sur l’île et ne soit plus en train de se battre pour s’en sortir ». En revanche, une fois que Kensuké lui apprend à négocier avec cette nature tantôt implacable et sauvage, tantôt généreuse et accueillante, celle-ci se pare de couleurs plus vives.



 

Esthétique immersive et contemplative
 
VISUELLEMENT, LE ROYAUME DE KENSUKÉ EST UN VÉRITABLE ENCHANTEMENT. L’île, à la fois paradisiaque et inhospitalière, devient un personnage à part entière, avec ses plages de sable fin, ses forêts luxuriantes et ses falaises escarpées. Le film alterne entre des plans larges, où l’on peut admirer toute la magnificence de ce territoire quasiment intact, et des plans plus intimes, où l’on se concentre sur les émotions et les interactions entre les personnages. Chaque plan est une invitation à la contemplation, et les paysages époustouflants alternent entre beauté et danger. Les scènes en mer traduisent à la fois la beauté brute de la nature et la menace qu’elle représente. La caméra capte chaque détail avec une précision rare, nous permettant de sentir la texture des éléments – la chaleur de l’air, la salinité de l’eau, la rugosité du sol. Les vagues déchaînées illustrent à la fois la grandeur de la nature et l’impuissance des hommes face à elle.
 
LA PRODUCTRICE DU FILM, CAMILLA DEAKIN, PRÉCISE DANS UNE INTERVIEW que cette particularité est liée à un traitement des décors : « On a réuni des dessins, des éléments en 3D, de véritables photos et l’ensemble donne une dimension viscérale au film d’un grand réalisme. C’est le mélange entre la photographie, le dessin et l’infographie qui produit cet effet immersif ». Cette approche visuelle immersive est un élément fondamental du film, permettant d’en renforcer le propos, en nous faisant ressentir l’isolement, mais aussi la puissance de l’environnement naturel.
 
COMME IL Y A TRES PEU DE DIALOGUES, LA MUSIQUE INSUFFLE UNE DIMENSION particulière à l’animation. Le compositeur, Stuart Hancock, a opté pour un style musical foncièrement traditionnel, réalisant une partition pour orchestre symphonique, qui s’inspire de plusieurs musiciens comme John Williams, Jerry Goldsmith, Alan Silvestri, James Horner, des compositeurs de musiques symphoniques, habituelles des récits d’aventures. Les déplacements des personnages sont quasiment chorégraphiés. On découvre les personnages à travers l’animation, et non à travers leurs dialogues. On apprend à les connaître grâce à leurs actes, magnifiés par la musique qui sert de liant à l’ensemble et constitue une sorte de guide tout au long de l’aventure. Dès lors, la bande sonore prend une ampleur romanesque, tant elle traduit les sentiments, souligne les comportements des personnages, et rythme les scènes dramatiques, reflètent les moments de tension. Les thèmes musicaux que compose Hancock sont associés aux personnages ou à des moments spécifiques de l'intrigue. Ils créent donc des motifs récurrents qui, à mesure qu'ils se développent tout au long du film, renforcent l’intensité dramatique.
 


Respect et fraternité
 
LE ROYAUME DE KENSUKÉ EST UN FILM D'ANIMATION DANS LESQUEL les réalisateurs ont donc souhaité aborder frontalement les thèmes profonds du roman de Morpurgo, en les transposant dans une aventure familiale destinée au grand écran : « C’est le genre de film où la joie et les émotions sont décuplées lorsqu’elles se vivent collectivement avec un public. Nous avons tous besoin les uns des autres – et c’est de cela, au fond, dont parle le film ; mais aussi de nos responsabilités, non seulement envers les autres peuples, mais envers toutes les créatures avec lesquelles nous devons cohabiter sur cette petite île qu’on appelle la Terre ». En effet, le film invite à réfléchir sur notre place dans le monde et notre relation à la nature. À travers les échanges entre Michael et Kensuké, l’auteur défend l’idée qu’il est possible de renouer avec soi-même et avec l’autre, même dans les circonstances les plus extrêmes. Kensuké, un homme marqué par son passé, victime de la Seconde Guerre Mondiale, incarne cette sagesse qui se trouve dans l’acceptation du silence, du temps et de l’observation. Il transmet à Michael des leçons de survie, mais aussi des valeurs humaines essentielles : l’importance de l’écoute, de la patience et de l’empathie.
 
LA FAÇON DONT KENSUKÉ VIT EN HARMONIE AVEC SON ENVIRONNEMENT, loin de toute civilisation, est un appel à une plus grande prise de conscience écologique. Le respect de la nature, loin d’être un simple décor, devient une philosophie de vie. L’île, qui pourrait sembler un lieu de perdition, se révèle au contraire comme un royaume d’équilibre et de symbiose. Le scénariste Frank Cottrell-Boyce a d’ailleurs été frappé par le fait que la plupart des histoires qui se déroulent sur des îles désertes parlent de personnages qui sont en conflit, qui s’entretuent, qui s’entredévorent : Fortnite, La Légende du Nouveau Monde, L’île au trésor, Sa Majesté des mouches. À l’inverse, Le Royaume de Kensuké « est un film sur la paix, l’entente mutuelle et l’empathie […] Certes, il s’attache à deux personnages, mais il y est question de toute la planète, de la paix, de la guerre, de l’environnement, de la survie, de l’humanité. C’est un film d’une ambition hors du commun, mais modeste dans son approche ».



A PRÉSENT DISPONIBLE EN DVD, LE ROYAUME DE KENSUKÉ est donc plus qu’une nouvelle robinsonnade.  C’est un voyage sensoriel et émotionnel où le spectateur est invité à se laisser porter par cette histoire d’amitié, de fraternité, tout en étant captivé par la beauté cinématographique de chaque image. Un film qui, par sa douceur, saura toucher petits et grands, tout en offrant une réflexion sur notre relation avec l’autre et la nature.
 
 
Emilie Combes
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le 12 novembre 2024
 
Le Royaume de Kensuké,

Réalisé par Neil Boyle et Kirk Hendry,
Adaptation animée du roman de Michael Morpurgo
avec Cillian Murphy, Sally Hawkins, Raffey Cassidy
Durée 1h24
Sortie DVD, Blu-Ray, Automne 2024


 


 
Crédits Photos © Melusine Productions SA / Le Pacte / The British Film Institute and FFILM CYMRY WALES CBC 2023.

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