Douceurs d'hiver ou régals de printemps, les publications pour la jeunesse ne connaissent pas de saison et c'est, au cours de l'année, une floraison permanente de très beaux ouvrages. De documentaires pour les tout-petits à des voyages oniriques, en passant par un album à l'humour et la poésie surréalistes, L'Intermède vous propose un nouveau parcours dans l'univers fascinant de la littérature jeunesse avec pour seul mot d'ordre celui de l'exploration.
SI LIRE C'EST RÊVER et s’envoler vers des terres imaginaires, c’est aussi explorer le monde et saisir le réel dans tout ce qu’il a d’étonnant ou de merveilleux, quête dans laquelle les éditions De La Martinière Jeunesse se font une spécialité d’accompagner les enfants. Ainsi, avec les deux nouveaux opus de la collection « Mon imagier des animaux », Juliette Einhorn ouvre de nouveaux horizons à ses jeunes lecteurs. Le format est le même pour chacun des volumes : une quarantaine de pages cartonnées où figurent de très beaux clichés de photographes animaliers de l’agence Naturagency et quelques lignes d’explication. Dans Pingouins ou Manchots, sur le principe du jeu des différences, il s’agit d’inviter le lecteur à observer attentivement les images accolées de deux animaux fort semblables pour distinguer l’un de l’autre. Léopard ou guépard ? Chamois ou bouquetin ? Mouette ou goéland ? Eléphant d’Afrique ou éléphant d’Asie ? Les paires présentées par l’auteure invitent à un joyeux tour du monde au cours duquel le regard sur les richesses de la nature se développe et s’affine. Dans À table !, chaque cliché occupe une double page et se concentre sur une espèce animale dont l’auteure nous révèle les habitudes alimentaires. De l’immense langue bleue que la girafe utilise pour brouter les feuilles d’acacia au sixième doigt qui permet au panda d’extraire la pulpe du bambou en passant par le suricate mangeur de scorpions et l’iguane amateur de cactus, le lecteur va de découverte en découverte, toujours porté par la force des images choisies.
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Au coeur des bêtes
CETTE EXPLORATION que permet la littérature prend aussi des aspects beaucoup plus poétiques voire inédits. Pour Nathalie Wyss, Bernard Utz et Jamie Aspinall, regarder le monde c’est chercher l’essence des choses et des êtres. Ainsi, dans De quelle taille est ton cœur ?, un enfant curieux parcourt monts, déserts, forêts et océans et pose à chaque animal qu’il rencontre la question éponyme. Il apprend alors ce qui meut les créatures qui lui répondent, non seulement du point de vue physique mais aussi du point de vue spirituel. "Mon cœur est grand comme un ananas. Il conserve en lui le souvenir des terres que je parcours", confie l’ours. "Mon cœur est grand comme une noix de coco. Il compte en lui tous les individus de ma horde", explique la lionne.
À L'INVERSE, AVEC LE CACHALOUP de Julien Baer et Léa Maupetit, il s’agit d’explorer le langage et ses potentialités pour donner essence et naissance à de nouveaux êtres. En quatre phrases qui constituent de courtes devinette rimées et rythmées, les auteurs forment des mots-valises et donnent vie à d’étranges créatures : "L’abeille butine toute la journée. / Le chat ronronne sous le canapé. / Mais qui vole en faisant "miaou" ? / C’est le chabeille ! Un point c’est tout !" Cachaloup, ouistitigre et anacondane sont d’autant plus savoureux qu’ils prennent aussi forme dans les illustrations qui occupent à chaque fois une pleine double page et permettent de situer la chimère dans son habitat.
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Se découvrir
AILLEURS, C'EST DU CÔTÉ DE L'INTIME et de l’intériorité que se fait le voyage ; l’exploration devient alors introspection et découverte de soi. C’est ce que propose Eva Eland avec Bienvenue Tristesse qu’elle a écrit et illustré aux éditions des Éléphants. L’album s’ouvre avec l’arrivée d’un curieux fantôme céladon qui s’invite sans prévenir chez le protagoniste. Voilà Tristesse. Elle est là, elle s’installe, elle s’impose et elle dévore presque de son immensité spectrale le petit garçon qui tente en vain de la cacher ou de la repousser. Tout le propos de cet album est d’inviter à accueillir et apprivoiser des sentiments que l’on ne s’explique pas toujours et qui sont pourtant constitutifs de l’identité de chacun. La trichromie choisie par l’auteure-illustratrice permet d’ailleurs de souligner finement la réflexion à l’œuvre dans l’album. Face à une Tristesse en à-plat de céladon, le jeune protagoniste et son univers ne sont d’abord dessinés qu’en contours marron. Puis des touches de rose apparaissent, d’abord sur les vêtements des personnes que croisent les deux personnages, ensuite sur les joues et les accessoires du petit garçon. Plus le protagoniste s’ouvre à son sentiment, plus son monde se colore, jusqu’à ce que rose et céladon se fondent dans la couverture de l’enfant qui s’est finalement couché avec Tristesse.
S'IL Y EST QUESTION d’un tout autre sentiment, le processus est semblable dans Pablo de Rascal. Oisillon devenu trop grand pour son œuf, le personnage doit se préparer à sortir et apprivoiser sa peur pour se faire une place dans le monde. "Comme il a un tout petit peu peur, Pablo commence par un tout petit trou", mais peu à peu happé par la curiosité et l’envie d’embrasser de tous ses sens l’univers qui s’offre à lui, le jeune volatile ne tarde pas à percer de plus en plus sa coquille et à en sortir les ailes pour s’envoler. C’est ainsi qu’à la dernière page de cet album jusque là noir et blanc, un oisillon d’un beau jaune jaillit de son œuf.
INVITER À L'EXPLORATION, c’est enfin donner ou redonner accès à des classiques de la littérature enfantine. C’est pourquoi les éditions Saltimbanque ont choisi de faire paraître une traduction de That’s good. That’s bad, publié par Joan M. Lexau et Aliki en 1963. C’est aussi pourquoi L’école des loisirs réédite Il ne faut pas habiller les animaux publié par Judi et Ron Barett en 1970 et l’accompagne de sa suite Il ne faut vraiment pas habiller les animaux. Trois albums facétieux qui feront la joie des jeunes lecteurs et qui ne manqueront pas d’accompagner plusieurs générations d’explorateurs en herbe !