AU GRÉ D'UNE BALADE entre République et Bastille, un arrêt à la Slow Galerie s'impose. Situé à l'angle de la rue Amelot et de la rue Jean-Pierre Timbaud, ce lieu réunit les œuvres d'une centaine d'artistes, sérigraphistes ou graveurs pour beaucoup d'entre eux, qui cohabitent en attendant leur acquéreur. Dans la première salle, une exposition qui, chaque mois, met à l'honneur l'un ou l'une des artistes représentés ; une petite alcôve y abrite quelques spécimens plus spécifiquement dédiés aux enfants, souvent issus d'illustrations d'ouvrages. Puis, après avoir traversé une pièce étroite dévolue aux petits formats, on entre dans l'autre salle : celle où l'on peut flâner et chiner parmi les cadres, passer pêle-mêle d'un artiste à l'autre et, pourquoi pas, dénicher le tableau à côté duquel on voudrait vivre. –
Par Fleur Kuhn-Kennedy
LA SLOW GALERIE se dédie à l’illustration et aux arts graphiques – un choix qui permet de rendre l’art plus abordable, puisque les œuvres uniques sont réduites à la portion congrue, cédant le pas à des tirages limités dont le prix est forcément moindre. Et le style lui-même suggère une vision non-élitiste de l’art, populaire au sens le plus généreux du terme : les techniques de reproduction mises en œuvre (gravure, sérigraphie, risographie) renvoient à un imaginaire visuel qui, loin de se cantonner aux murs des musées, abreuve les affiches, les revues, les pancartes publicitaires, les livres illustrés et tout le flot d’informations visuelles qui peuplent notre quotidien.
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Textes absents PLUSIEURS DES ARTISTES EXPOSÉS sont des illustrateurs – pratique qui, ayant largement envahi l’espace de l’imprimé au XIXe siècle, a pourtant longtemps été considérée avec une certaine condescendance. Associée à la diffusion de masse du livre et de la presse, et donc à la vulgarisation des objets culturels, elle était dédaignée à la fois des lettrés, qui y voyaient une simple béquille du texte, et des artistes, qui en fustigeaient la dimension commerciale et utilitaire. En témoigne le succès populaire d’un Gustave Doré, qui se double d’une peu reluisante réputation dans les milieux cultivés. Si ces préjugés se sont estompés avec le succès des courants artistiques alternatifs et l’institutionnalisation du pop art, ils n’ont pourtant pas disparu et continuent d’imprégner une certaine vision élitiste de l’art, qui mesure la qualité esthétique d’une œuvre à l’aune de sa rareté, de son inaccessibilité et de sa réception choisie.
EXPOSER DES ILLUSTRATEURS et proposer leurs œuvres à la vente sous forme d’images isolées, comme le fait la Slow Galerie, c’est aussi prendre position contre ce cloisonnement et renouer avec ce qu’il y a de personnel dans la création de chaque artiste. Séparées des objets pour lesquels elles ont été réalisées et des textes auxquels elles servaient d’appui, ces œuvres redeviennent des images autonomes, observables sous le seul angle du sentiment esthétique qu’elles suscitent. La pratique de l’illustration, d’ailleurs, n’exclut pas le projet personnel. Dans la littérature jeunesse, les deux vont souvent de pair, et l’image, loin d’être un appendice superflu de la narration, participe à sa formation. Raphaële Enjary et Olivier Philiponneau, par exemple, s’intéressent au travail d’édition autant qu’à la réalisation et l’impression de leurs images. Dans leurs gravures présentes à la galerie, on trouve des scènes et des personnages empruntés à leur livres : l’ours blanc d’1, 2, 3 banquise, le volatile éponyme de L’Oiseau à deux becs, le héros de la série des Zébulon. Évocatrices de récits pour ceux qui les connaissent, ces figures sont aussi des "instantanés" qui s’offrent pour la première fois au regard des novices.
LES LIENS DE L'IMAGE avec le livre et la narration transparaissent également dans des œuvres qui empruntent à l’univers graphique de la bande dessinée. Dans une linogravure de Zoé Lab, on voit se déployer sur le papier une série de vignettes évocatrices de l’art séquentiel : l’espace occupé, ainsi, se divise, faisant coexister plusieurs moments successifs ou répétant une même scène en plan général ou rapproché. Esta selva es mia d’Alexandra Arango peut tout aussi bien se lire comme une image unique que comme une série de vignettes aux délimitations poreuses, racontant l’histoire de combats de territoire qui se déroulent non pas simultanément, mais en plusieurs temps. –
En série LA RÉPÉTITION est au cœur de beaucoup d’œuvres présentées. Éditées à plusieurs exemplaires, elles jouent avec les motifs visuels issus de cette reproductibilité technique. Chez Gwladys Morey par exemple on trouve des images qui, pour représenter plusieurs personnages, répètent en ribambelle la même silhouette. Il en va ainsi de Tchin, où l’on voit trois femmes aux jambes croisées lever leur verre dans la même direction, et des Chéris, où trois hommes identiques s’alignent dans un véhicule conduit par une femme. Il y a, dans ces tirages, un humour de la forme, qui tient à la répétition, mais aussi à des effets de stylisation et d’association proches du design graphique : des contours qui s’épousent au point de ne laisser aucun espace entre les silhouettes représentées ; deux corps qui s’enroulent en dansant, et où les cheveux de la femme sont aussi la barbe de l’homme ; un verre de margarita en guise de talon aiguille ; une partie de pêche dans un verre à cocktail… ON TROUVE QUELQUE CHOSE de semblable dans La Piscine 2 de Virginie Morgand, où la répétition stylisée d’un même motif produit une forme géométrique aux couleurs franches : la rosace que forment les nageuses semble aussi régulière et efficace qu’un logo. Ce n’est qu’en observant la sérigraphie de plus près que l’on peut saisir les détails qui, d’un motif à l’autre, s’autonomisent. Conceptrice d’affiches, l’artiste produit des images qui rappellent à la fois le design graphique et l’iconographie des Années Folles.
MAIS LA SÉRIE n’est pas nécessairement retour du même : elle se retrouve aussi dans l’appartenance de certaines œuvres à un ensemble plus large, où elles ne trouvent leur place que dans la manière dont elles dialoguent avec les autres. Dans les images exposées à la Slow Galerie, on trouve des alphabets (Valérie Hugo), des bestiaires (Leona Rose, Barbara Martinez…), des signes du zodiaque (Isabelle Manoukian, Virginie Morgand) et des calendriers (Luana Fortes) ; des illustrations qui peuvent avoir une visée utilitaire ou éducative mais qui, dès lors qu’elles se trouvent séparées de la collection dans laquelle elles s’insèrent, n’existent plus que comme œuvres, et perdent leur fonction d’outil. –
Illustrations naturalistes LES OEUVRES LES PLUS FRAPPANTES sont peut-être celles de Lucille Clerc, où le dessin scientifique se conjugue avec un débordement imaginaire qui frôle le surréalisme. Il y a d’abord là une prouesse technique : celle d’introduire la sérigraphie comme mode de réalisation d’une œuvre qui se caractérise par son soin du détail, ses traits minutieux et la variété, parfois très subtile, des couleurs utilisées. Même dans la série des Herbiers, où les motifs sont moins foisonnants qu’ailleurs, on retrouve, pour chacun, la précision du dessin naturaliste, pourtant assortie de débordements oniriques qui viennent envahir la sévérité du papier à carreaux.
AU DESSIN BOTANIQUE, s’ajoute l’inspiration des planches anatomiques, les plantes devenant des éléments corporels dont les ramifications multiples rappellent les circonvolutions des vaisseaux sanguins ou du système nerveux. La végétation imaginaire semble croître plus vite que l’observateur ne peut l'appréhender et envahir tout l’espace : elle crée ainsi un univers graphique à la frontière du scientifique et du fantastique, à la fois captivant et perturbant, évocateur des portraits-natures mortes que réalisa en son temps Arcimboldo.
POUR VOIR DES CORPS SE FAIRE PAYSAGE, il ne reste plus aux flâneurs qu'à aller découvrir ce lieu où, jusqu'au 8 avril, il pourra entrer dans un autre univers surréaliste : celui de Miam Miam et de Jean Leblanc, artistes à l'imaginaire magrittien temporairement réunis dans une exposition inspirée du quartier berlinois de Kreuzberg. F. K.
----------------------------------- À Rennes, le 14 mars 2017 Pour visiter le site de la galerie SLOW Galerie
5 rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
Mar-Sam : 11h-19h30
Rens. : 0
1 43 55 44 68 Images :
Alexandra Arango,
Esta selva es mia Gwladys Moey,
Tchin Lucille Clerc,
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