L`Intermède
[Chronique fictionnelle]

MAIS POURQUOI SONT-ILS SI MÉCHANTS ?
A l'occasion de la sortie de Scream 4 de Wes Craven, sur les écrans français le 13 avril, L'Intermède plonge dans l'inconscient des célèbres tueurs en série du grand (et du petit) écran. Sur le divan : Norman Bates, Freddy Kruger, le Joker, Batman, les tueurs au masque de Scream, Hannibal Lecter et Dexter Morgan.

tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychoseVoici la retranscription complète d'un enregistrement retrouvé dans la chambre d'hôtel de Franck Lundy, à Miami, le soir de sa mort. L'agent du FBI traquait Dexter Morgan depuis plusieurs mois. La voix de son interlocuteur a été idendifiée comme celle de son jeune collègue, John Lewitt. Les deux hommes travaillaient ensemble depuis quelques semaines, et Lundy avait promis qu'il accorderait un entretien à Lewitt sur ses connaissances en criminologie, en s'appuyant sur les cas cliniques que sont les grands tueurs en série auxquels il avait été confronté au cours de sa carrière.
 
"Ça enregistre ?

Oui, c'est bon, on y va. Alors, avant toute chose, j'aimerais savoir comment vous voyez la criminalité sérielle ?
Le premier problème dans une série, c'est qu'elle se compose habituellement d'objets identiques. Or s'il y a un objet d'étude dynamique, c'est bien la criminalité sérielle.

C'est-à-dire ?
Le terme a été inventé par Robert K. Ressler, qui voyait les crimes en série comme des séries télévisuelles, autrement dit des "serials". La criminalité sérielle constitue, pour lui, un phénomène se poursuivant dans le temps. Seulement, est-ce qu'on peut appliquer la rythmique d'un soap opera ou d'une série télévisuelle à un processus psychique se matérialisant dans la chasse, la torture et le meurtre ? Rien n'est moins sûr. La réalité psychique, même si elle peut se baser sur des fictions ou des fantasmes, a une fâcheuse tendance à dépasser ce que les auteurs les plus rusés ont pu créer. Le lien entre criminalité sérielle et fiction est d'autant plus problématique qu'il est à double sens : les fictions donnent des idées aux tueurs, qui, à leur tour, alimentent à travers leurs actes de nouvelles fictions.

A partir de combien de meurtres parle-t-on de crimes en série, alors ?
A partir du troisième. Le premier meurtre ne dit rien de l'avenir : il est une première brique qui débouchera ou non sur un projet architectural. La seconde occurrence indique, vous le comprenez, la possibilité de la répétition. En fin de compte, c'est le troisième qui inscrit le crime dans une série débutée au numéro 1. Dans la criminalité sérielle, le troisième meurtre, en désignant la série, donne un sens renouvelé au premier et au deuxième. Sans le troisième crime, les deux premiers ne se trouvent pas engagés dans un discours.
Les crimes en série ne sont pas tout à fait comme des séries télévisées dans la mesure où ils ne cessent d'évoluer et de se renouveler. Et la victime ne revient jamais. Elle n'est pas un sujet : elle est un objet de jouissance. La démarche sérielle n'obéit pas à une progression linéaire, elle tournoie sous la forme d'un point de capiton : le tueur va d'abord en arrière, avant de repartir en avant. On ne peut ainsi lire le crime qu'à partir de son passé. Hier passe au-dessus du présent afin d'orienter l'avenir, si vous voulez.

Pourtant, certains criminels répètent toujours le même crime, non ?
Le problème, c'est que la police ne découvre que des cadavres. Elle ne peut faire une différence fine entre les modus operandi, car il y a toujours des différences dans les détails. Elles sont souvent infimes, mais elles existent. Aucun crime en série n'est identique au précédent. Ces actes ont une progression exponentielle : ils se basent sur une formule n+1. Chaque crime apporte quelque chose de plus au criminel. Sa jouissance en dépend ! Sans cet impératif de jouissance, tous les crimes seraient identiques. Et la répétition implique la non-identité des actes. L'heure et le lieu changent, l'âge de la victime également, même s'il s'agit souvent d'à peu près le même type de profil : par exemple, jeune, blonde, marchant seule et surtout très imprudente.
Si la technique d'approche est souvent la même, elle peut aussi se modifier avec le temps et l'expérience. Car le crime est un acte engagé dans une boucle de rétroaction positive : s'il est réussi, il attise la complexité. En dépassant les limites qu'il s'était imposé avant de le commettre, le criminel devient plus téméraire, plus violent également. Au lieu d'être angoissé, il ose plus loin et plus fort. Et comme il ose, il en jouit d'autant plus. L'important est de s'inscrire dans une transgression de plus en plus osée, jusqu'à l’obscène et pourtant en toute sécurité. Le tueur en série ne risque jamais sa vie. Il sait tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychosese protéger. Si, malgré ses plans, le crime n'est pas possible pour une raison ou une autre, il ne se laissera jamais emporter par son impulsion meurtrière. Il doit survivre afin de se garantir la possibilité du crime. Le tueur en série négocie avec ses pulsions et son désir, mais pas avec ses victimes. Il n'a aucun désir de les entendre. Ce qui l'intéresse, c'est leur profil, ce qu'elles représentent pour lui en termes de réalisation fantasmatique.

Comme Norman Bates, par exemple ?
Exactement. Bates était un psychotique. Il aurait pu être un bon idiot du village s'il n'avait pas eu une mère aussi autoritaire et maltraitante. C'est à partir de la relation qu'il avait avec elle qu'il s'est peu à peu transformé. Je suis sûr qu'il a commencé comme un gentil garçon. Mais au fil du temps, à force de subir les tortures psychiques de sa chère maman, il s'est laissé happer par la haine. C'est lui qui l'a probablement tuée. Et s'il ne l'a pas fait, il y pensait sûrement. Dans son ambivalence affective, il la conserve près de lui dans son grenier, à la fois très loin, parce qu'éternellement condamnée au mutisme de la mort, et tout près, car dans le fond, il l'aimait bien, sa maman. Même les tueurs en série ont des mères. Malheureusement, pour bon nombre d'entre eux, elles sont souvent toxiques.

Et leur père ?
Dans les couples, lorsqu'une femme est toxique, elle s'arrange pour que son mari disparaisse très rapidement du tableau, s'il ne le fait pas de lui-même, par abus d'alcool ou de drogues. La toxicité a besoin d'isolement, elle craint toujours un regard extérieur. Les femmes toxiques sont comme les vampires des légendes : elles détestent sortir de l'ombre.

Pour en revenir à Bates, si vous le permettez, pourquoi, selon vous, tuait-il les femmes qui s'arrêtaient dans le motel ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Mais je peux vous dire qu'en termes de structure, ce ne sont pas tant des femmes qu'il tuait que des mères potentielles. Il ne voyait pas ses victimes comme des sujets, des personnages possédant une conscience. Pour lui, elles étaient les représentations d'un insoutenable dont il se devait de débarrasser la réalité, sa réalité. Il tuait pour lui, mais également pour sa mère, dont il percevait encore la voix par le biais de son automatisme mental.

Un automatisme mental ?
Oui, Bates entendait la voix de sa mère. C'est sa voix hallucinée qui le poussait à l'action. Pourquoi croyez-vous qu'il allait parfois la rejoindre, si ce n'était pour converser avec elle ? Pour lui, converser, c'était, d'une certaine façon, "conserver". Il ne pouvait pas se séparer d'elle, même morte. La voix de sa mère est "métempsychotique" : elle a quitté un corps pour un autre, celui de Norman, en l'occurrence. Je vous rappelle qu'un psychotique est un sujet jamais advenu : c'est l'objet total du désir d'un Autre, fusionné avec ce désir. Happé, aliéné à son propre devenir, il ne peut plus se construire à partir d'un désir qu'il aurait fait sien. Chacun de ses crimes répète de façon métonymique le matricide inconscient ou véritable dont il est l'auteur, ou qu'il aurait un jour pu désirer. Dans le fond, la question se pose de savoir si la mort de sa mère n'a pas déclenché son délire ? Dans ses meurtres, est-ce qu'il ne tue pas la femme masquée par la figure de sa mère, parce que cette dernière est fondamentalement inces-tueuse ? En tuant les femmes qui cherchent à dormir chez lui, Norman Bates se protège de toute tentative incestueuse par procuration. Il les tue non pas parce qu'elles sont clientes, mais parce que, pour lui, elles cherchent à dormir chez lui, entendez "avec lui", comme lui et sa mère l'avaient probablement mutuellement désiré. Comme d'autres tueurs en série, Norman lutte avec lui-même en rejouant sur la scène du monde ce qui dévore son psychisme et l'a probablement traumatisé au point d'être effacé de la réalité.

Vous voulez dire qu'il est d'abord une victime ?
D'une certaine façon, oui. Mais d'une autre, le fait d'avoir une mère folle, de subir des tortures physiques ou psychologiques ne signifient pas que vous deviendrez un criminel. Regardez Harry Potter : ce petit enfant qui a été élevé dans un placard sous un escalier, est-il devenu un tueur en série ?

Effectivement... Mais j'y pense : Freddy Kruger était aussi, tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychosed'une certaine façon, une victime.
Freddy, le croque-mitaine ?

Le croque-mitaine ? Comment ça ?
Freddy Kruger n'est pas un tueur en série réel. C'est une figure de cauchemar, et non pas un organisme vivant. Il ne fonctionne pas comme un être humain habité de pulsions, mais appartient au registre des fantaisies urbaines obscures ("dark urban fantasy") qui, comme leur nom l'indique, relèvent d'un travestissement de la lumière. Si nous devions aller plus loin, nous pourrions voir en Freddy la reviviscence d'une figure gothique. C'est un boogeyman, un croque-mitaine. Il est indestructible par les moyens classiques, car il n'appartient déjà plus à notre monde. C'est un spectre, un fantôme. Il erre entre les dimensions, entre la vie et la mort, entre le réel et le rêve. Comme celle de tous les revenants, son existence est énigmatique. Freddy n'a de cesse de revenir et de tuer car il cherche une réponse à sa propre mort. Il ignore pourquoi on l'a tué, et veut donc une réponse du côté de la culpabilité des survivants de son crime ou de leur descendance.
Aucun acte supplémentaire ne pourra l'effacer de la réalité puisqu'il a déjà disparu. Il ne cherche pas tant à tuer qu'à être révélé comme l'objet d'un sacrifice. Freddy est une métaphore littéralement apocalyptique. En l'absence de cette révélation, il n'aura de cesse de réapparaître et de faire subir aux représentants de ses assassins - en règle générale, une collectivité ou des descendants - le châtiment dont il fut l'objet. Dans le fond, ce qu'il est important de comprendre, c'est que Freddy Kruger n'existe pas pour lui-même. Il est un monstre créé par des sujets otages de leur culpabilité inconsciente. Ce sont eux, les véritables criminels. Dans leur cauchemars, ils vont même jusqu'à s'automutiler et se suicider. Freddy n'est que la représentation de cette guerre intrapsychique. Il vient d'un ailleurs qui n'est que l'intérieur de ses victimes supposées. A ce propos, on retrouve le même principe chez Jason Voorhees ou Fog. Il s'agit de figures ténébreuses, jouant le rôle de démons. Elles expriment, de façon détournée, les désirs les plus sauvages de notre société, avec ses petites communautés chrétiennes, leurs petits secrets et leurs petits meurtres entre amis enrobés d'un paganisme à fleur de peau.

Pourquoi utilisez-vous cette métaphore ?
Parce qu'elle déplace la dynamique de la criminalité sérielle au sein d'une collectivité. Pas de communauté sans singularités. A travers son côté "slasher", Freddy découpe le voile d'une réalité charnelle. Il n'a de cesse de déflorer l'hymen de la vérité ; non pas la sienne, mais celle de ces assassins.

tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychosePassons au cas suivant, si vous me le permettez : le Joker.
Le Joker a commencé comme un simple psychopathe ou sociopathe, avec un petit gang d'amis. C'est un escroc et un assassin à la petite semaine, jusqu'au jour où il rencontre sa Némésis en la personne de Batman. Il faut comprendre que sans Batman, pas de Joker, et vice-versa. Ils sont liés par un pacte de sang. C'est le Joker qui tue les parents de Bruce Wayne devant ses yeux d'enfant. Plus tard, c'est ce même Bruce Wayne, devenu un vengeur masqué (un "vigilante"), qui par accident, précipitera le Joker dans une cuve de produits toxiques. La morale est sauve. Batman n'avait pas l'intention de lui faire du mal. En cela, Batman n'est pas très différent du Punisher. Mais il y en a bien d'autres qui ont ce profil de vengeur traumatisé : citons Daredevil, the Ghost Rider, Blade ou encore V, qui ont chacun une Némésis ou un opposé dialectique. Le Joker appartient à la catégorie des tueurs désorganisés : sa méthode, c'est qu'il n'a pas de méthode. Il tue lorsqu'il en a envie, d'un instant à l'autre si nécessaire. Mais surtout, il n'a pas besoin de période de latence. C'est en ce sens qu'il est d’abord plus psychopathe que tueur en série.

Et Batman, alors ?
Batman est un traumatisé qui, parce qu'il en a les moyens financiers, s'est arrangé avec la loi afin d'assouvir ses désirs transgressifs en toute bonne conscience. C'est un type normal pendant la journée, et un vengeur la nuit. Comme tous les tueurs en série, il possède un coin bien à lui, une cachette, un lieu utérin où l'enfant déjà-mort se terre afin de se sentir à nouveau exister. Il l'appelle la "batcave". D'autres appellent cela "chez moi". Wayne est un personnage très perturbé. Il est dévoré par sa soif de justice et est prêt à la satisfaire coûte que coûte, se cachant derrière la loi pour gérer sa culpabilité inconsciente. Il l'assouvit en débarrassant Gotham City, la "cité de Dieu", de tous ses démons. En d'autres termes, comme d'autres criminels en série, Batman tente de réguler sa dynamique psychique défaillante en jouant dans le réel ce qu'il ne peut régler psychiquement.

Quel rapport avec le Joker ?
Le rictus. Avez-vous remarqué que Batman ne sourit jamais ? Il est mortellement sérieux. L'un est blanc comme un linge, l'autre noir comme la nuit. Pourtant, chacun à sa façon bafoue la loi et l'ordre pour des questions d'équilibre psychique. Tous les deux sont plus dans l'acte que dans la réflexion. Ils cherchent à assouvir leur vengeance sur un objet de prédilection : le Joker sur des innocents et Batman sur des coupables. Ce sont tous les deux des psychopathes. Nous retrouvons la même dichotomie structurelle entre Superman et Lex Luthor (autrement dit : "celui qui lutte avec la loi", lex, en latin).

tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychoseEst-ce que les tueurs qui ont pourchassé Sidney Prescott pendant plusieurs années en portant un masque de fantôme sont aussi désorganisés ?
Oui. Leur mode opératoire est très proche de celui de Freddy. Ils appartiennent à la famille des "stalkers", ces prédateurs qui poursuivent leurs victimes jusqu'à extinction. Mais ils ont la particularité d'être des copycats : ils aiment s'inspirer des crimes précédents. Ils se servent du mode opératoire d'un autre tueur en série pour commettre leurs crimes. Le copycat trouve sa jouissance dans la qualité de sa copie. Plus il est proche de l'original, plus sa jouissance est grande.

Et ses victimes ?
Il s'en moque. Ce qui compte, c'est la manière dont il va organiser puis poser son crime. Il a besoin d'un modèle, d'un Autre qui l'inspire. C'est de cette façon, qu'il remplit le vide de sa psyché. Il n'est pas créatif, ou original. Ce qui ne l'empêche nullement d'avoir envie de tuer afin de satisfaire son désir de chair. Le copycat emprunte le discours d'un Autre afin de donner sens à ses actes. Sa personnalité est un désert aride. Comme chez Bates, les copycat masquent une structure psychotique. Or il arrive souvent que la psychose fonctionne comme une forteresse vide, selon l'expression de Bettelheim : les murs du délire semblent solides, y compris lorsque ces derniers appartiennent au voisin, mais l'intérieur est pauvre, sans substance subjective. Le psychotique est un éternel assiégé. Sa psyché meurt de faim et de soif.

Pourtant, Hannibal Lecter n'est pas psychiquement pauvre ?
Non, il est effectivement psychotique, mais intellectuellement riche. Hannibal serait d'ailleurs plutôt doté d'une structure mélancolique. C'est un enfant traumatisé par la guerre. Souvenez-vous, il a assisté impuissant au meurtre et la dévoration de sa petite soeur.

tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychoseEst-ce qu'il y a un rapport direct entre cette scène et son destin de criminel en série ?
C'est peut-être un peu exagéré dans la mesure où, cliniquement, un trauma ne justifie pas aussi radicalement une telle transformation de la personnalité. La mélancolie, c'est autre chose. Le jeune Hannibal était déjà très perturbé au moment où la guerre a éclaté. Seulement, sa remarquable intelligence et son éducation lui ont certainement permis de passer entre les mailles du filet psychiatrique. Pour ma part, je verrais plutôt en lui un bon psychopathe qui se sert de ses traumas infantiles pour justifier et se déculpabiliser de ses actes ultérieurs. Il est très proche des personnalités que l'on nomme des "serpents en costards" (snakes in suits). Elles ont ceci de particulier qu'elles paraissent très adaptées à la course des rats (the rat race) et la dynamique du darwinisme social. Leur profil correspond étrangement à ce que l'on attendrait des élites modernes, notamment dans le secteur privé.

Et est-ce que vous diriez également que Dexter Morgan est un mélancolique ?
Non. Dexter est bien un psychotique délirant. Il a un automatisme mental dans la présence hallucinatoire de son père qui lui parle et commente ses pensées et ses actes. Dexter a une relativement bonne façade sociale, mais il est très fragile. Il a beau faire des efforts surhumains afin de paraître normal, il ne peut se départir de son visage quasi inexpressif. Dexter Morgan est incapable de ressentir la moindre émotion véritable. Par conséquent, il les imite. En ce qui le concerne, il est bien plus l'objet de ses affects. Il est angoissé ou en colère, il ignore l'amour et la tristesse et est incapable de gérer son quotidien sans l'aide de ses proches. C'est un handicapé social…

… Et un serial killer.
Dexter fait partie des tueurs très organisé. Il se tient à son rituel car ce dernier le tient. Il ne copie personne, Il a besoin d'être méthodique. Son potentiel d'angoisse est canalisé par l'application stricte de sa méthode qui comprend la préparation, le meurtre, le découpage du cadavre et son abandon dans la fosse maritime au large de Miami. Grâce au rituel, il maîtrise la situation. Il a besoin de tout contrôler sous peine que tout s'effondre, et lui avec. Il reconnaît lui-même qu'il est "propre" sur lui et dans ses méthodes. Tellement propre que ses crimes sont désaffectés, dénués de la moindre émotion. La méthode a remplacé l'émotion, la rage, la colère ou la vengeance. Tout se déroule selon une routine, le code d'Harry, son père. Or ce père décédé vit toujours en lui par le biais d'hallucinations visuelles et auditives auxquelles il obéit souvent et avec qui il lui arrive même de converser en silence, comme souvent peuvent le faire certains psychotiques hallucinés.
En ce qui concerne Dexter Morgan, ce qui ne fut pas symbolisé et ne le sera jamais, c'est non seulement le meurtre de sa mère, mais aussi la mort de son père. Dexter est toujours déjà orphelin. Enfant d'une fille-mère, il a été adopté par un homme qui est effectivement son géniteur, mais qui ne le lui dira jamais. Le fantôme d'Harry ordonne le monde de Dexter. Il lui donne sens, alors que l'existence même de ce sujet est posé comme essentiellement insensée. Enfant de la dissimulation, du secret et du mensonge, Dexter hallucine un père qui tueurs, tueur, psychanalyse, analyse, psychologie, tueur en série, tueurs en série, cinéma, série, dexter, scream, hannibal lecter, interview, freddy, norman bates, batman, joker, folie, psychoseordonne son existence de vengeur en marge des lois. Pourtant, de son vivant, ce père n'était pas une figure exemplaire, dans la mesure où il se situait à la marge des lois civiles et symboliques. Le père de Dexter est à la fois mi-ami et mi-ennemi. Si sa maîtresse n'avait pas été tuée, il n'aurait probablement pas adopté ce bébé qu'il devinait être le sien. Il le fait malgré lui. En adoptant son fils, Harry s'affirme dans une paternité symbolique tout en déniant sa paternité réelle qui laisse le champ ouvert à un père imaginaire et éternellement ré-imaginé. Harry est désormais halluciné.

Est-ce que vous voulez dire que tous les tueurs en série sont des psychotiques et des traumatisés ?
Oui. Ils sont psychotiques, mais pas seulement. Le trauma est un prétexte. Il révèle la structure cachée et lui permet de faire effraction dans l'existence du sujet. Le coeur de la personnalité des tueurs en série est psychotique. Il renferme souvent un délire. Cependant, son enrobage est plutôt pervers. Il est nécessaire à un semblant de socialisation, et permet au psychotique d'ordonner son monde à côté de la loi, à défaut d'accepter comme structurante la loi symbolique et ses interdits humanisants. Enfin, et ce n'est pas le moindre de leur caractéristiques, les tueurs en série ont une coquille psychopathique. C'est elle qui leur ouvre la dimension du passage à l'acte sur un mode évidemment clastique, destructeur et meurtrier. La coquille agit comme pousse-au-crime et leur ouvre les portes d'une jouissance sans restriction.

Vous voulez dire qu'il n'y a pas d'espoir ?
J'en ai bien peur. Tous les tueurs en série récidivent. Il s'agit là d'un phénomène structurel et non conjoncturel. Pour eux, répéter n'est pas récidiver, c'est juste poursuivre leur aventure dans l'existence. C'est l'idée du meurtre et de la cruauté qui les motive. Certains hommes séduisent parce qu'ils cherchent une aventure sexuelle. D'autres vont plus loin. Ils séduisent parce qu'ils ont le désir de posséder et de détruire le corps d'autrui, complètement et irrémédiablement. Ils répondent de cette façon à une injonction intérieure qui les sépare radicalement du reste de l'humanité. Ces êtres de l'extrême sont fascinants parce que leurs actes ne sont portés par aucune culpabilité. Ils sont libres, sans inhibition. Les tueurs en série ne rêvent pas seulement. Ils agissent purement et simplement leurs fantasmes sans risquer un retour de l'angoisse et de la culpabilité. Bien au contraire, à travers leurs actes, ils se protègent des bouffées d'angoisse. D'un autre côté, bien sûr, ce sont des handicapés de l'existence, incapables de la moindre relation d'amour. Ils peuvent bien se marier et même avoir des enfants, mais leur famille ne représente rien à côté de leur passe-temps favori. En fait, pour tout vous dire, leur famille est tout au plus qu'un alibi, (a cover-up), ou pis, un cache-misère donnant à leurs voisins...

Deux détonations retentissent. Le reste de la bande est muette.
Thierry Jandrok
Le 07/04/11
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Thierry Jandrok est psychologue, psychanalyste (domaines de recherche en littérature et cinéma : science-fiction, fantastique et horreur contemporaine). Il est notamment l'auteur de Tueurs en série - Les Labyrinthes de la chair aux éditions Rouge Profond, 224 pages, 15 € (parution : mai 2009)

Liste des tueurs évoqués :
Norman Bates : Psychose, Alfred Hitchcock, 1960
Freddy Kruger : Freddy : Les Griffes de la nuit et suites, Wes Craven, 1984
Le Joker et Batman : Batman, Tim Burton, 1989, et The Dark Knight, Christopher Nolan, 2008
Les tueurs au masque de Scream (Wes Craven, 1996)
Hannibal Lecter : Le Silence des agneaux, Jonathan Demme, 1990
Dexter Morgan : Dexter, James Manos Jr., depuis 2006



 
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