L`Intermède
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JANE OWEN, ancienne agent du FBI désormais au service d'une société privée de sécurité industrielle, est chargée d’infiltrer et de démanteler la cellule éco-terroriste "The East". Car la guerre fait rage, entre le groupuscule écologiste et les multinationales responsables de grandes vagues de pollution. Mais c'est tout le talent du deuxième long métrage de Zal Batmanglij que de ne pas céder au manichéisme ou au discours moralisateur, restant sur la brèche entre le juste et l'injuste. Grâce à la réalisation subtile du jeune cinéaste, The East est avant tout une exploration de la vulnérabilité des êtres et des hésitations de l'âme.

Par Séverine de Ren

AVANT D'EN AVOIR COÉCRIT le scénario, Zal Batmanglij et l’actrice Brit Marling, qui y tient le rôle principal de Jane/Sarah, ont eux-mêmes vécu ce qu’ils montrent à l’écran. Il y a quelques années, ayant entendu parler du concept de la "journée sans achat", ils ont passé un été entier sans rien acheter. Leur quotidien de nomades, passé à sauter d’un train à l’autre, les a alors menés à croiser des membres de communautés libertaires et anarchistes, jusqu’à faire partie un temps de cette sous-culture. Point de départ, pour Zal Batmanglij, d'une nouvelle approche de la réalisation : "Nous avons ramené cet esprit avec nous à Los Angeles. Notre façon de penser avait changé, notre vie avait changé, et nous voulions montrer ce changement."


Malaise
 
LA TENSION ENTRE L'EXPÉRIENCE RÉELLE et la création artistique est constamment sensible dans The East, dont l’image utilise les deux registres, alternant le style vif et granuleux du documentaire et l’esthétisme travaillé de la fiction. La séquence inaugurale présente ainsi des images d’archives, vues tant de fois qu’elles en sont presque devenues des clichés, d’oiseaux mazoutés, échoués sur des plages noircies de pétrole. Le tout est entrecoupé d'images de vidéosurveillance : des jeunes gens cagoulés s’introduisent the east, the, east, est, l`est, Zal Batmanglij, Brit Marling, Alexander Skarsgard, Ellen Page, Patricia Clarkson, zal, film, cinéma, critique, analyse, interview, sortie, photo, photos, séancesde nuit dans une grande villa et, au son de la voix off d’Ellen Page, qui interprète Izzy, rendent la justice à leur manière, punissant le PDG d’une entreprise de pétrochimie responsable d’une marée noire. La démarche de "l’Est" est violente et criminelle ; mais le malaise provient d’une hésitation à la condamner. Le point de vue de la caméra, qui présente tour à tour une réalité filmée caméra à l’épaule, comme en instantané, et des plans de paysages naturels mais idéalisés, et presque féériques, traduit lui aussi cette hésitation permanente.

L'INCERTITUDE SE JOUE  aussi dans la volonté du réalisateur de ne pas décider à la place du spectateur, ni même d’expliquer trop clairement les motivations de ses personnages. Contrairement à ce que pourraient suggérer les thèmes du film, aucune idéologie n'est ici prônée. Le monde de The East n’oppose pas les gentils, beaux et libres jeunes gens du groupe aux méchants égoïstes gras du grand capital. Le film, comme son héroïne, approche et étudie, parfois avec admiration, mais le plus souvent avec pudeur et retenue, le fonctionnement d’un groupe humain, sans jamais ignorer la part de terreur, de violence, et même le paradoxe de ceux qui voudraient un monde meilleur mais sont néanmoins capables de faire le mal.


Faux-semblants

L'HÉROINE CHERCHE, croit-elle, à faire le bien : son ambition ne consiste pas à être la meilleure parmi ses collègues, mais à accomplir au mieux sa mission. Elle souhaite démanteler le groupe terroriste pour mettre fin à la menace qu’il représente, et à la terreur qu’il déclenche. Mais, au fur et à mesure de son infiltration, étant obligée de se défaire de ses rituels et de tout ce qui constitue son identité véritable, elle voit ses habitudes troublées, et se découvre une nouvelle identité. Elle a dû changer de nom et d’apparence physique, se débarrasser de ses objets et de ses réflexes pour mieux faire son travail ; mais le creux laissé par ces transformations est bientôt rempli par des envies, des désirs et des idées dont elle ne se croyait pas capable.

the east, the, east, est, l`est, Zal Batmanglij, Brit Marling, Alexander Skarsgard, Ellen Page, Patricia Clarkson, zal, film, cinéma, critique, analyse, interview, sortie, photo, photos, séancesLE DÉDOUBLEMENT EST TRADUIT par le contraste entre les deux univers visuels du personnage : son quotidien, à Washington, s'inscrit dans une lumière grise et claire, et des lieux épurés, presque impersonnels, alors que la maison du groupe et la forêt qui l’entoure sont incarnés par des couleurs chaudes, sensuelles, et peuplés de mouvement. Si Jane semble parfaitement emboîtée dans son monde, l’autre, Sarah, se libère peu à peu dans son nouvel environnement. Et les deux identités, forcément antithétiques, semblent pourtant peu à peu se servir l'une de l'autre, se nourrir l’une l’autre.
 
EN S'INFILTRANT DANS L' "EST", Jane, devenue Sarah, doit prendre sa place dans la "famille" constituée par ce groupe, et pour mériter son statut elle doit d’abord comprendre comment il fonctionne. Considérée lors de son arrivée comme une menace, elle est d’abord faite prisonnière, et pour pouvoir ensuite aller dîner avec les autres, elle doit revêtir une camisole. Mais elle voit ensuite que tous, autour de la table, sont habillés de la même manière. L’entrave physique est nécessaire : le but n’est pas de se nourrir, mais de se nourrir les uns les autres.


Politique

THE EAST PUISE justement son efficacité dans une approche de grandes questions économiques et écologiques à l’échelle de l’intime. Au fur et à mesure que chacun des membres de cette "famille" terroriste devient familier, il apparaît que l'éveil d’une conscience politique est rarement dissocié d’une tragédie intime. Que ce soit le "Doc", victime de l’industrie pharmaceutique, ou Izzy, concernée de très près par le scandale d’une eau potable devenue toxique et mortelle, ou encore Benji, le fondateur et le maître à penser du groupe, qui a vécu sa renaissance à "l’Est" lors d’un événement traumatique : chacun des discours idéologiques est une réaction à la violence du monde. La justice que rend "l’Est" consiste à rendre à ceux qui ont trahi, triché, et tué, l’exacte monnaie de leur pièce, à leur faire goûter le poison qu’ils ont déversé dans la nature et sur les hommes. Mais cette violente réparation des torts entraîne également des bouleversements à l’intérieur du groupe. Le devoir de justice, ou de vengeance, qui les travaille, les pousse non seulement à changer d’identité, à cacher leur passé, pour n’être plus que des agents de leurs idéaux, mais aussi à tout risquer au nom de leur cause.
 
the east, the, east, est, l`est, Zal Batmanglij, Brit Marling, Alexander Skarsgard, Ellen Page, Patricia Clarkson, zal, film, cinéma, critique, analyse, interview, sortie, photo, photos, séances"L’EST" DEVIENT LE LIEU où la lumière est faite sur toutes ces zones d’ombre que nous acceptons indifféremment au quotidien, le lieu où justement il n’est plus possible de faire semblant. En face de ces terroristes de la vérité, les responsables industriels prônent le silence et l’aveuglement. Montrés presque uniquement dans des moments de représentation, dîners ou soirées de gala, ils incarnent la parole officielle des communiqués de presse, qui euphémise et dissimule la réalité sordide. Sharon (Patricia Clarkson) protège ces hommes et ces femmes des conséquences de leurs méfaits : elle compare les risques qu’ils encourent à différentes sortes d’insectes, de la mouche à la veuve noire. Et elle explique que pour chaque type de menace, elle et ses agents trouveront un remède, et écraseront l’insecte gênant.

S. de R.
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à Paris, le 11 juillet 2013


The East, thriller d’espionnage américain de Zal Batmanglij
Avec Brit Marling, Alexander Skarsgård, Ellen Page, Patricia Clarkson...
Durée : 1h56
Sortie au cinéma le 10 juillet
2013

 



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