L`Intermède
Comédie musicale : Million Dollar Quartet à Broadway.
 
Alors que le musical Memphis, qui raconte la naissance du rock'n'roll, a raflé une poignée de Tony Awards l'année dernière, il est une autre comédie musicale sur les planches de Broadway qui joue sur la nostalgie de cette époque musicale bénie. Cela fait un peu plus d'un an qu'A Million Dollar Quartet, au Nederlander Theater de New York, a gagné son droit de cité à New York. Venue de Chicago, où elle fait salle comble tous les soirs depuis plusieurs années, elle fait revivre les plus grands hits des années 1950 ("My Blue Suede Shoes", "Fever", "I Walk the Line" ou encore "Whole Lotta Shakin' Goin' On") en mettant en scène la rencontre des quatre pères du genre : Elvis Presley, Carl Perkins, Johny Cash et Jerry Lee Lewis, dans un décor de studio d'enregistrement où s'entassent les sièges lustrés, les guitares scintillantes et les conversations enfumées.

Par Asmara Klein


IL SE LÈVE, se tort, se rabat. Tressaille, sautille, danse. Le sourcil de Johny Cash se trémousse au-dessus d'un regard pétillant, profond, sombre comme sa chevelure lustrée. Sur les larges épaules, une chemise noire empruntée aux cowboys d'antan. Une vroix grave, si dense qu'elle met à nue l'âme qui l'entend et l'ensorcèle. "Rock'n'roll is temptation", dit l'un des protagonistes. Car le rock'n'roll est un dangereux mélange de musique country et de rythm'n'blues, dont le nom même décrit les déhanchés lascifs critique, analyse, interview, comédie, musicale, musical, new york, broadway, million dollar quartet, johnny cash, elvis presley, jerry lee lewis, carl perkins, million, dollar, quartet, comédiedes chanteurs qui s'y adonnent. Notamment celui d'un certain Elvis Presley qui déchaîne les foules à partir de 1954 avec son single "That's All Right" et qui s'attire rapidement les foudres des parents américains, inquiétés par les mouvements brusques et suggestifs du jeune homme à peine âgé de 20 ans.

LA PRESSE CONSERVATRICE ne mâche pas ses mots à son égard : le New York Times lui conseille de retourner à ses gargouillis sous la douche, le Herald Tribune ne lui reconnaît aucun talent et le juge vulgaire, tandis que le Time Magazine estime qu'il danse comme s'il venait d'avaler un marteau-piqueur. Ce qui exaspère les adultes en ce début des années 1950, c'est le manque de retenue qu'affiche le jeune homme aux traits fins et cette capacité à ne vivre que par et pour sa musique sans se soucier du qu'en dira-t-on. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il enregistre son premier tube dans le studio Sun Records, à Memphis. Alors que les essais avec un autre guitariste et contre-bassiste commençaient à tourner à vide, Elvis, lors d'une pause, s'amuse à chanter à sa façon la chanson "That's All Right Mama" d'Arthur Crudup. Contaminés par sa frénésie, les deux autres musiciens embrayent sur son rythme, improvisant avec dextérité. C'est dans ce moment d'emportement musical que naît la carrière d’Elvis et, avec elle, un nouveau mouvement musical.



Deux, trois, quatre

MAIS ELVIS PRESLEY est loin d'être le seul à pressentir l'avènement d’un nouveau courant. Également découvert par le studio Sun Records, Carl Perkins enregistre en décembre 1955 avec ses deux frères Jay et Clayton la première version de "My Blue Suede Shoes", qui sera reprise par
la suite par Presley. Dans la mouvance du rockabilly, mélange éclectique entre le rock'n'roll naissant et la country, aussi appelé hillbilly music aux États-Unis, Carl Perkins, tout comme Elvis, doit essuyer de nombreux revers avant de percer, très brièvement, avec ce titre qui lui a valu une entrée au Rock'n'Roll Hall of Fame. L'enregistrement du nouvel album de Perkins va être le prétexte pour une rencontre inédite le 4 décembre 1956.

critique, analyse, interview, comédie, musicale, musical, new york, broadway, million dollar quartet, johnny cash, elvis presley, jerry lee lewis, carl perkins, million, dollar, quartet, comédieA L'EPOQUE ENCORE INCONNU, Jerry Lee Lewis est embauché par le gérant du studio comme pianiste. Le premier duo est vite rejoint par Elvis Presley, dont la maison de disques est désormais la puissante Radio Corporation of America, qui espère se réfugier ici pour échapper aux critiques incessantes de la presse. Sentant l'opportunité d'un événement publicitaire sans précédent pour son studio, le gérant Sam Philipps appelle un autre de ses protégés, Johny Cash pour une jam session - une séance musicale improvisée. Considérée par certains comme le baptême du rock'n'roll, cette rencontre est immortalisée par une photo et un enregistrement - paru bien plus tard, dans les années 1980 - sous le titre de "Million Dollar Quartet".


Rancoeur, frénésie, épuisement

C'EST CETTE HISTOIRE que les deux historiens de la musique Colin Escott et Floyd Mutrux racontent sur la scène du Nederlander Theater, à New York. La narration par le gérant du studio Sun Records est simple, naviguant d'une chanson à l'autre, condensant 18 mois de rock'n'roll en 90 minutes de spectacle explosif. Car A Million Dollar Quartet est avant tout un feu d'artifice musical. Les interprètes ont d'ailleurs été choisis pour leurs compétences musicales et non théâtrales, certains n'ayant même jamais
joué auparavant. Mais le spectacle ne se réduit pas à un enchaînement de tubes connus, dévoilant entre deux accords de guitare la complexité de l'industrie musicale de l'époque. Le destin de Carl Perkins notamment qui, après un début prometteur avec "Blue Suede Shoes", échappe de peu à la mort lors d'un grave accident le voiture et se retrouve de nouveau propulsé en bas de l'échelle du star-system, vite rattrapé par le King qui reprend sa composition pour en faire un succès mondial. Toute la critique, analyse, interview, comédie, musicale, musical, new york, broadway, million dollar quartet, johnny cash, elvis presley, jerry lee lewis, carl perkins, million, dollar, quartet, comédierancoeur de Perkins déferle sur sa guitare qui résonne avec frénésie. Les accords s'enchaînent, se chassent jusqu'à l'épuisement. Surtout lors du bouquet final, où le décor du studio s'évapore au profit d'une scène de concert clignotante et éblouissante et où chacun des quatre artistes se produit une dernière fois. C'est alors avec calme que Perkins entonne "See you Later Aligator", comme s'il s'était résigné à une carrière de second plan en tant que guitariste de Johny Cash, entre autres.

PLUS TOUCHANT ENCORE est l'abandon subi de Sam Phillips qui, malgré son rôle de parrain initial, ne parvient pas à s'assurer la fidélité de ses poulains. Elvis a depuis longtemps quitté le bercail pour des cieux plus lucratifs auprès de la RCA. Alors que Phillips s'apprête à signer le renouvellement de son contrat, fort profitable, avec Johny Cash, celui-ci ne cesse de chercher ses mots pour apprendre à Phillips qu'il s’est déjà engagé auprès d'un studio aux horizons plus ambitieux. En outre, Perkins, pour qui la joyeuse bande s’est réunie, ne semble pouvoir promettre un avenir radieux. Et puis reste le jeune pianiste échauffé… mais ce Jerry Lee Lewis arbore des airs bien prétentieux du haut de ses 21 ans.

C'EST POURTANT CE DERNIER qui incarne de la manière la plus convaincante l'excitation contagieuse, la magie qui émanent des sons palpitants du rock'n'roll. Des quatre comédiens sur scène, le Tony Award du meilleur acteur a d'ailleurs été remis à son interprète, Tony Kreis. Sulfureux, les boucles dorées en désordre et la langue bien pendue, l'homme est vêtu d'un jean fermement tenu par des bretelles fièrement exhibées. Et c'est un Lewis enflammé qui clot la représentation par un "Whole Lotta Shakin' Goin' On", dans sa veste à paillettes rouge clinquante. C'est ce moment de don de soi, insouciant, ingénu et qui s'opère dans la musique, que les créateurs de A Million Dollar Quartet ont tenté de capturer et de transmettre. Cet instant où les musiciens réunis dans la pièce oublient leurs vies colorées, les vicissitudes du show business pour s'adonner critique, analyse, interview, comédie, musicale, musical, new york, broadway, million dollar quartet, johnny cash, elvis presley, jerry lee lewis, carl perkins, million, dollar, quartet, comédieà la vitalité explosive des accords qui les hantent. A la fin de l'enregistrement original, Elvis exprime toute la joie qu'il ressent à libérer les sons qui l'obsèdent: "Man, I should never get started in these jam sessions. I'm always the last one to leave"*.


A.K.
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à New York, le 20/12/2011

A Million Dollar Quartet
Nederlander Theater
208 West 41st Street
New York
Mardi-Mercredi 19h
Jeudi-Samedi 20h
Mercredi et Samedi, matinées à 14h30, dimanche à 15h
Rens. : 877-250-2929

*"Mec, je ne devrais jamais commencer ces jam sessions. C'est toujours moi qui pars en dernier."


 



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