L`Intermède
phantom of the opera, opera, phantom, fantôme, fantome, londres, london, her majesty`s theatre, theatre, brian de palma, analyse, mise en scène, harold prince, charles hart, john owen-jones, sofia escDe l'autre côté du miroir
Au Her Majesty's Theatre, à Londres, la foule se presse tous les soirs pour assister à l'un des plus grands classiques de la comédie musicale : The Phantom of the Opera, créé en 1986 par Andrew Lloyd Webber dans ce même théâtre, et qui fête son quart de siècle cette année. Dans cette histoire,
imaginée à l'origine par le français Gaston Leroux dans un roman de 1910 du même titre, qui unit intrinsèquement l'amour et la musique, se mêlent un parfum de nostalgie et des essences intemporelles. Et de cette tragédie baroque, la mise en scène londonienne de Harold Prince restitue tous les effets de miroir et la frontière troublante entre l'illusion et la réalité.

A l'Opéra de Paris, au début du XXe siècle, de nouveaux spectacles se montent, mettant en valeur une jeune cantatrice particulièrement talentueuse, Christine, qui dit entendre l'Ange de la musique. "L'Ange de la musique chante des chansons dans ma tête", entonne-t-elle. Il n'est autre que celui que la rumeur appelle le Fantôme de l'opéra, un chanteur difforme de naissance qui, brisé par la solitude et la souffrance, cache son visage derrière un masque et hante la salle de spectacle,  jouant des tours plus ou moins funestes à ceux qui l'administrent. De sa loge réservée, il observe sa bien-aimée Christine, qu'il veut voir devenir la star de l'opéra. Mais Christine tombe amoureuse d'un jeune homme, et rejette le fantôme.

Dans les coulisses
Le lever de rideau dévoile une vente aux enchères d'accessoires de théâtre. Le décor semble étrange, scandant la scène de manière presque abstraite. A la fin du prologue, pourtant, ce qui s'accumulait sur la scène s'élève soudain, révélant sa vraie nature : un décor d'opéra dans lequel prennent bientôt place les chanteurs et les danseurs. De fait, The Phantom of the Opera est avant tout un musical sur l'opéra, et son ouverture place immédiatement les fondations de ce jeu constant entre la scène et le hors-scène, dessinant les espaces en miroirs, passant de l'un à l'autre lorsque l'on s'y attend le moins. Alors que la cantatrice chante avec conviction son air, la couturière effectue les dernières retouches sur sa robe, gênant ses mouvements. Le phantom of the opera, opera, phantom, fantôme, fantome, londres, london, her majesty`s theatre, theatre, brian de palma, analyse, mise en scène, harold prince, charles hart, john owen-joneshors-scène s'invite sur la scène. Et lorsque Christine termine son spectacle et que le rideau se lève, la chanteuse ne se tourne pas vers les véritables spectateurs mais vers les coulisses plongées dans le noir où s'élèvent la clameur de spectateurs fictifs, dans un effet de mise en abyme déroutant.

Le jeu de miroir est aussi à double tranchant : comique lorsqu'il s'agit de l'équipe, de la troupe, du metteur en scène, autant de personnages secondaires qui alimentent régulièrement le dialogue et l'action de gags liés à leur incompréhension de la situation ou à leur mégalomanie et leur mauvais caractère ; mais lorsqu'il s'agit du fantôme ou de sa bien-aimée, passer de l'autre côté du miroir relève bien davantage d'une question de vie ou de mort, élevant l'intrigue à des enjeux tragiques. Derrière le reflet, là où le fantôme emmène Christine, s'ouvrent les entrailles de l'Opéra, sa face cachée, faite de la frustration et de la douleur de ce chanteur qui ne peut être sur scène. La musique résonne, solennelle et effrayante, alors qu'au milieu de la fumée qui envahit la scène, une barque navigue avec à son bord le fantôme et Christine. Une descente aux enfers à la lueur des chandeliers.

Un héros tragique
A l'amour rassurant que lui offre son jeune amant, s'oppose la fascination trouble que la jeune femme éprouve pour le fantôme. Il ne peut lui offrir que son monde sous-terrain et que la "musique de la nuit". Il est la menace qui plane sur l'opéra, lui qui apparaît en ombre chinoise dans les décors du spectacle ou qui surplombe la scène lorsque Christine et son amant chantent leur amour à la lueur de la Lune, sur les toits parisiens. "Laisse-moi être ta lumière", chante son amant. "Tout ce que je veux, c'est être libre. Un monde qui ne connaîtrait plus la nuit", lui répond Christine.

Le mythe a inspiré de nombreux cinéastes, au phantom of the opera, opera, phantom, fantôme, fantome, londres, london, her majesty`s theatre, theatre, brian de palma, analyse, mise en scène, harold prince, charles hart, john owen-jonespremier rang desquels Brian de Palma. Dans son Phantom of the Paradise, inspiré très librement de l'histoire du fantôme de l'opéra, à laquelle il ajoute un soupçon du mythe de Faust et de celui de Dorian Gray, le producteur, Swan, passe un pacte avec le diable et incarne le mal : il manipule Winslow et son amour pour Phoenix. Rien de tel finalement dans Le Fantôme de l'Opéra : il n'est aucune figure maléfique dans cette oeuvre, mais simplement un homme souffrant poussé à la violence par le désespoir. Il n'est pas le pantin mais bien le metteur en scène du drame. Il envoie ainsi des instructions écrites pour mettre en scène lui-même son propre spectacle. Et devient même acteur, en prenant la place d'un chanteur sur scène. C'est bien lui qui manipule les autres personnages.

Ainsi se construit la rumeur qui l'entoure, en écho au roman de Gaston Leroux : "On avait commencé par en rire et par se moquer de ce revenant habillé comme un homme du monde ou comme un croque-mort, mais la légende du fantôme avait bientôt pris des proportions colossales dans le corps de ballet. Toutes prétendaient avoir rencontré plus ou moins cet être extra-naturel et avoir été victime de ses maléfices." Ce qui ne semble au départ qu'une suite de tours malicieux  - dans le cahier des charges de l'Opéra est ajouté par exemple à l'encre rouge cette phrase : "La première loge n°5 sera mise à toutes les représentations à la disposition du fantôme de l’opéra." -  devient plus insidieux et plus violent. Le jeu dérape quand le fantôme sombre toujours plus loin dans l'obscurité. "Dans ses yeux, toute la tristesse du monde", chante Christine.

Faux-semblants
230 costumes, 130 acteurs, musiciens et membres de l'équipe technique, des machines à fumées, 281 bougies, un chandelier de 3 mètres de large qui pèse une tonne : tout est mis au service d'une extravagance visuelle qui transforme le spectacle en un tourbillon. Alors même que l'hyperdramatisation et l'abondance d'effets scéniques nourrissent une esthétique a priori kitsch, elles renforcent en réalité la dimension baroque de l'oeuvre. La séquence du bal masqué, la mascarade, n'est finalement qu'une mise en abyme de l'ensemble de l'univers du spectacle, un monde de faux-semblants où il faut paraître pour exister. Un monde qui fonctionne sur la flatterie et où chacun ne vit que pour les applaudissements de la foule.

Et il semble que ce soit quand l'art prend le dessus que les masques tombent. L'émotion vient transcender ce monde d'apparences grâce aux mélodies irrésistibles : "All I ask for you", "Masquerade" ou "The Phantom of the Opera", que les spectateurs continuent de fredonner sur Haymarket en sortant du théâtre. La vérité réside dans la musique. Les personnages appartiennent à des mondes incompatibles et ne peuvent se retrouver que dans le fantasme et l'imaginaire qui phantom of the opera, opera, phantom, fantôme, fantome, londres, london, her majesty`s theatre, theatre, brian de palma, analyse, mise en scène, harold prince, charles hart, john owen-joness'épanouissent lorsqu'ils chantent. Le fantôme ne peut exister à l'Opéra que comme fantôme et ne trouver une place dans la vie de sa belle qu'en lui chantant son nom derrière le miroir. C'est bien là l'enjeu du Phantom of the Opera : l'anti-héros compense ses difformités physiques par une théatralisation extrême de son comportement. Il se doit de devenir le héros, quitte à être le méchant de l'histoire, plutôt que de n'être rien du tout.

Claire Cornillon, à Londres
Le 21/08/11

The Phantom of the Opera
Musique: Andrew Lloyd Webber
Paroles: Charles Hart
Mise en scène : Harold Prince
Avec John Owen-Jones, Sofia Escobar, Will Barratt...
Her Majesty's Theatre
Haymarket
London
Lun - Sam : 19h30
Mardi et Samedi : matinées à 14h30
Rens. : + 44 (0)161 385 1138


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Credits photos : Michael Le Poer Trench