ALORS QUE PETITES SALLES et troupes indépendantes sont désormais légion et que les festivals d’art dramatique se multiplient, rares sont les scènes qui se distinguent du paysage théâtral français par un prestige de plusieurs siècles. Pourtant, il est une institution ancienne qui a connu une continuité exceptionnelle pour une troupe de théâtre et qui, en ce sens, participe pleinement de l'histoire nationale, au-delà même de l'histoire du théâtre : la Comédie Française, grâce à laquelle se joue et se développe sans cesse depuis plus de trois siècles le répertoire théâtrale français. Présenter ses grands principes de fonctionnement et son histoire à travers ses oeuvres d'art, tel est l'enjeu de l'exposition La Comédie française s'expose. Un parcours au-delà du décor qui se tient au Petit Palais, jusqu'au 15 janvier.
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Par Marion Point
LA COMÉDIE FRANÇAISE, dont la salle principale se situe actuellement rue Richelieu, dans le premier arrondissement de Paris, est loin de n'être qu'une scène, une troupe ou une institution : elle participe aussi du musée. Enfouies derrières de somptueux murs conçus à la fin du XVIIIe siècle par l'architecte Victor Louis, des centaines d'oeuvres retraçant l'histoire de l'institution sont conservées en son coeur même. Des maquettes des salles aux portraits des comédiens actuels en passant par un manuscrit du Mariage de Figaro, ces trésors racontent, en filigrane, la naissance et l'évolution d'une des plus prestigieuses institutions culturelles françaises.
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Une aventure mouvementée
"LE FRANÇAIS", c'est d’abord un dramaturge, un roi et une histoire mouvementée. En 1673, après des années de lutte avec les autres troupes de la capitale, Molière meurt et laisse derrière lui une compagnie protégée par Louis XIV. Friand des arts de la scène et attaché à un travail de qualité, le roi fait fusionner la troupe du Palais Royal avec ses concurrentes. L'année même de la mort du dramaturge, la troupe de l'Hôtel du Marais se joint à celle de Molière. Sept ans plus tard, une nouvelle jonction a lieu avec la troupe de l'Hôtel de Bourgogne et, le 21 octobre 1680, une lettre de cachet signe la naissance officielle de la Comédie Française. Molière n'est certes plus, mais son élève et homme de confiance La Grange prend la tête de la formation. Commence alors, sur les traces du maître français de la comédie, une aventure qui se poursuit encore trois siècles plus tard.
CELLE QUI FUT D'ABORD la troupe officielle du roi n'a pas toujours vogué sans remous. Ainsi, à peine installés à l'Hôtel Guénégaud, les comédiens sont très vite chassés et vont de théâtre en théâtre avant de s'installer définitivement rue Richelieu, en 1799. Outre les aléas des déménagements, la troupe doit aussi affronter des révolutions politiques et culturelles : les nombreux portraits du grand acteur Talma, acquis à la cause révolutionnaire, rappellent ainsi la cission qui s'est produite entre les membres de la troupe, dont il a pris la tête lors des troubles de 1791. Plus loin, une esquisse d'Albert Besnard représentant la bataille d'Hernani témoigne des difficultés liées à des partis pris d'ordre purement artistique. Entre désaccords esthétiques et remaniements politiques, et après trois révolutions, deux empires et deux guerres mondiales, la Comédie Française prend son statut définitif le 1er avril 1995 et devient un Établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture.
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Galerie de portraits
EN MÊME TEMPS que le fonctionnement de l'institution, c'est aussi le statut des comédiens qui évolue au fil des siècles. La transformation est particulièrement flagrante à l'étude des différents portraits qui représentent les membres de la troupe. "Rejeté à l'écart de la société civile et religieuse sous l'Ancien Régime, le comédien conçoit son portrait comme un moyen de reconnaissance de son art, pourtant le plus éphémère, indique Agathe Sanjuan. Le portrait se fait donc en costume et en situation dramatique, comme manifeste du talent d'un artiste à part entière, alors même que la société ne lui reconnait aucun droit. Et c'est avec la proclamation de l'égalité des citoyens sous la Révolution que le comédien assume désormais pleinement son statut de citoyen et se fait représenter en costume de ville." Nous avons ainsi, d'un côté, Mademoiselle Duclos représentée par Nicolas de Largillière dans le costume d'un des grands rôles qu'elle a interprétés, Arianne, tandis qu'à l'arrière-plan un angelot et des personnages en costumes antiques parfaient le tableau mythologique. À rebours, dans son portrait par Joseph Bouton, Dazincourt apparaît en habit civil, signe de son intégration dans la société. Mais, assis devant une table de travail jonchée de manuscrits et surmontée d'un buste de Molière, il clame aussi son appartenance au monde de l'art.
ENTRE LES TABLEAUX, de nombreuses sculptures font vibrer les hommages rendus par la troupe à ses prédécesseurs. Inaugurée avec le buste de Piron réalisé par Caffieri en 1775, une collection de plusieurs dizaines de marbres immortalise les traits des dramaturges les plus célèbres. Que ce soit pour des auteurs encore chéris de nos jours, comme Corneille, Racine et Voltaire, ou pour les oubliés de la postérité, l'ensemble des bustes exposés témoigne de la conscience que les comédiens avaient de leur talent et de l'importance de la 
troupe. Finalement, toiles ou marbres, il s'agit non seulement de prouver que l'institution a vite joui d'une réputation pour longtemps établie, mais aussi de constituer un mémorial pour les siècles à venir. Désormais, lorsque les acteurs se préparent à entrer en scène, c'est sous le regard immortalisé de leurs ancêtres et, ornés de figures comme celles de Melle Clairon, Melle Mars, Talma, Sarah Bernhardt ou Rachel, les couloirs du théâtre se transforment en panthéon.
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L'ombre du maître
SI LA PÉRENNITÉ et la gloire de l'institution sont d'abord le fruit des privilèges royaux accordés dès sa naissance à la troupe, il semble que sa bonne santé soit aussi liée à l'héritage qu'elle tient de Molière et à la mythologie qui s'est constituée autour du personnage. Le Français, ne l'oublions pas, se reconnaît aussi sous le nom de "Maison de Molière", et l'ensemble des oeuvres exposées au Petit Palais sont clairement sous le patronage du dramaturge, comme le fauteuil dans lequel Molière incarna son dernier rôle, l'Argan du Malade imaginaire. La présence de ce meuble rappelle à elle seule le sacerdoce de Jean-Baptiste Poquelin, devenu Molière, infatigable homme de théâtre. Plus loin, les portraits du comédien par Nicolas Mignard et Charles-Antoine Coypel témoignent de la précocité de son talent et de son importance dans le monde du théâtre. Dans les autres espaces de l'exposition, tout semble être résurgence du grand Molière dont la troupe porte encore le nom.
LÁ DES PORTRAITS de comédiens dans les rôles de personnages qu'il a créés, ailleurs des maquettes de mises en scène modernes de ses pièces, plus loin Molière et les caractères de ses comédies, tableau dans lequel Edmond Geffroy dresse un répertoire peint des plus grands rôles créés par le maître. Enfin, point d'orgue de l'hommage, le tableau du dramaturge à la table du roi est exposé en fin de parcours avec, quelques mètres plus loin, un rappel des auteurs et des pièces les plus joués depuis la création de la Comédie. Aucune surprise à la lecture de la liste, où il figure en tête, mais une admiration certaine pour ce dramaturge auquel plus de 33000 représentations ont été consacrées, 
loin devant des Racine, Corneille ou Musset qui n'égalent pas, à eux trois, le nombre de spectacles donnés sous l’égide de Molière.
M.P.
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à Paris, le 29/11/2011
La Comédie Française s'expose
Jusqu'au 15 janvier 2012
Petit Palais
Avenue Winston Churchill 75008 Paris
Mar-Dim 10h - 18h ; Nocturne jeu (20h)
Tarifs : 9 € / 7 € / 4,5 €
Rens : 01 53 43 40 00
Crédits et légendes images
Vignette sur la page d'accueil : Maquette en volume de Psyché de Molière et Corneille / d'après un décor de Pizzoli, 1962 (MV1001) © Patrick Lorette / Comédie-Française
Image 1 final - Les Sociétaires en 1894 / Louis Béroud, 1894 (I 276) © Patrick Lorette / Comédie-Française
Image 2 Sarah Bernhardt dans le rôle de la Reine (Ruy Blas, Victor Hugo) / Georges Clairin, 1879 (I 236) © Patrick Lorette / Comédie-Française
Image 3 Buste de Molière par Houdon dans le foyer du public © Christophe Raynaud de Lage
Image 4 Un entracte à la Comédie-Française un soir de première, en 1885 / Edouard Joseph Dantan, 1886 (I 192) - © Patrick Lorette / Comédie- Française
