Voyage au bout de la nuit
Né quelques années plus tôt, David Blackwood a moins vécu qu'entendu ces destinées humaines entre la vie et la mort. Lui a vu disparaître ce monde séculier. Ayant grandi dans une tradition orale de transmission des aventures et catastrophes arrivées aux marins et chasseurs de son village, Wesleyville, il s'est fait un honneur de perpétuer cette coutume. Et de la fixer à l'aide d'eau forte, d'une presse, d'une plaque métallique et de teintures colorées. "Les gravures de David Blackwood sont des histoires visuelles épiques et puissantes", affirme Katharine Lochran. Blackwood y raconte la lutte de l'homme contre la nature, dans des récits aussi lugubres que dramatiques. Souvent, la présence humaine y est réduite à sa forme la plus fragile, toujours sur le point de s'éteindre, telle une flamme dans l'obscurité des blocs de glace démesurés. Rares sont les constructions humaines dans ces visions nocturnes. Et lorsqu'elles sont représentées, c'est pour mieux être dévorées par la nature, comme dans Fire in Indian Bay (1979). Le contraste est fort entre la pénombre qui entoure les habitants, leur impuissance à empêcher la catastrophe et la lueur rougeâtre qui s'impose dans la baie et vers laquelle converge le regard. Ce rouge que Blackwood utilise avec parcimonie, pour mieux provoquer la tension, comme dans l'une de ses gravures les plus connues : Fire Down on Labrador (1980), où une barque chargée de marins s'éloigne d'un voilier en feu, sans savoir qu'une baleine les guette sous l'eau.
l'antidote pour soigner la maladie du présent, vient du passé. Il nous enjoint à reconnaître que si nous voulons survivre, nous devons revenir aux attitudes et capacités de l'homme primaire, tout en nous efforçant de comprendre les vraie place et rôle de l'homme dans le monde naturel. Il ne tolère aucun embellissement sous prétexte de rendre son message plus agréable." Katharine Lochran considère même que, prises dans leur ensemble, les gravures de Blackwood forment un auto-portrait en plusieurs morceaux. "Cette exposition nous livre toute la sombre profondeur de sa psyché", résume celle qui a préparé l'exposition en collaboration étroite avec l'artiste. L'éloignement physique avec son sujet est non seulement bénéfique mais nécessaire au graveur pour que celui-ci puisse aller au terme de ce qui a l'allure d'un processus de gestation. Katharine Lochran décrit comment Blackwood, séparé temporellement et géographiquement de Terreneuve, "a été capable de recentrer ses sentiments, réduire son champ narratif et simplifier son imagerie". Car l'artiste n'a pas seulement vécu dans un environnement hostile, à la marge de la civilisation : il a aussi été au coeur d'une tragédie familiale.
