"Je vis en dehors du troupeau ; je vous fuis tous, vous, vos bergers et vos chiens. J'ai dit adieu à tout ce qui vous passionne ; j'ai rompu avec vos traditions ; je ne veux rien savoir de votre société maboulique ; ses mensonges et son hypocrisie me dégoûtent. Au milieu de votre fausse civilisation je m'isole ; je me réfugie en moi-même ; je ne trouve la paix que dans la solitude." C'est avec une telle déclaration, publiée dans un article du Banquet du 30 avril 1939, que, douze ans avant sa mort, Henri Gustave Jossot rompt définitivement avec une société qu'il a toujours abhorrée.
cible : ceux qui affichent une vertu, une intégrité ou une bonté de façade sont tout autant dans le viseur de Jossot, qui ne supporte pas d'être né dans une famille bourgeoise, jusqu'à dire de son propre père : "Il devint un bourgeois, le pire des bourgeois. Jamais je n'en ai connu un pareil." Anticonformiste, Jossot dénonce l'hypocrisie et l'absurdité des conventions sociales en prenant pour thème les attitudes proscrites par la bourgeoisie. L'image d'un homme de la haute société et une femme au ventre fortement arrondi est légendée : "Tu devrais pourtant comprendre qu'un comptable de chez Potin ne peut pas épouser sa blanchisseuse !" Une image d'autant plus ironique que, tombé amoureux de la lingère de sa famille, Jossot n'hésite pas, lui, à la prendre pour femme.
fauteuil ; plus loin, des religieux conduisent un cortège d'oies. Cette Eglise, Jossot la méprise d'autant plus qu'il réprouve son rôle actif dans la colonisation et sa complaisance avec l'armée. "C'est à coups de fusils qu'on enfoncera les idées chrétiennes dans ces sales caboches noires !", écrit-il en-dessous d'un prêtre et d'un militaire regardant deux autochtones, sur une planche dans Les Temps nouveaux de juin 1906.
pas y voir pour autant un paradoxe : Jossot n'abandonne ni le style qu'il s'est forgé, ni sa verve satirique. Ainsi de l'affiche qu'il crée pour Saupiquet, dont le succès n'a d'équivalent que son degré de sarcasmes : dans une parodie de la Cène, Jossot rassemble cinq célébrités de l'époque, parmi lesquelles Henri Rochefort, Yvette Guilbert et Sarah Bernhardt. Chacune des deux femmes mange langoureusement une sardine et Rochefort, connu pour sa lubricité, se retrouve au centre d'une scène aux sous-entendus sexuels à peine voilés. Et le détournement va jusqu'à figurer les consommateurs en âmes mortes, enspectres aliénés aux têtes de mort affublées d'une couronne mortuaire dans une publicité pour du Cointreau. Comme le notent Michel Dixmier et Henri Viltard, commissaires de l'exposition, "seules des raisons d'ordre économique et psychologique semblent devoir expliquer ses motivations profondes. Dans ses mémoires, l'artiste ne cache pas le plaisir de voir son oeuvre prendre des dimensions 'colossales' et envahir le territoire nationale."
