L'édition critique : mode d'emploi
rassembler et de sélectionner les reproductions fiables : les manuscrits, les annotations ou la correspondance entre l'auteur et son éditeur sont autant de pièces à conviction qui permettent d'authentifier un texte et de le considérer comme légitime. L'investigation ne s'arrête pas là car, après avoir discerné les exemplaires authentiques, il faut encore les comparer et choisir celui qui, au vu de la confrontation, se révèle le plus conforme aux intentions de l'auteur ; du moins, la version la plus conforme à ses intentions supposées.
Depuis plusieurs années en effet se prépare l'édition en quatre volumes de l'intégrale de Marguerite Duras : la parution des deux premiers tomes est prévue pour octobre 2011, les deux derniers devraient paraître en 2014, année du centenaire de la naissance de l'écrivain. Il s'agit avant tout de rendre accessible l'ensemble des textes composés sur un demi-siècle par Marguerite Duras, qui entre en littérature en 1943 et écrit jusqu'à la veille de sa mort en 1996. Le lecteur curieux de connaître les différentes facettes de l'auteur de L'Amant pourra suivre le cheminement d'une création qui explore tant le domaine du roman que celui du théâtre et du cinéma. Mais il s'agit également, pour les nombreux chercheurs appelés à collaborer à ce projet, de rassembler un ensemble d'informations qui permette d'élucider la compréhension des textes sans délivrer de commentaires et d'observations d'ordre interprétatif. En ce qui concerne par exemple la part théâtrale de l'œuvre, l'appareil critique permet de contextualiser les pièces et de comprendre leur création. Que se passe-t-il dans l'actualité, politique notamment, au moment de l'écriture des pièces ? Que se passe-t-il encore chez Marguerite Duras et qu'écrit-elle en parallèle ? Quelles ont été les différentes mises en scènes de ces pièces et que peut-on dire de leur réception médiatique et critique ?
D'un point de vue pratique, l'informatique apparaît comme un outil idéal : comment représenter sous format papier la multiplication des versions d'un même texte - des brouillons aux imprimés - mais aussi le foisonnement des notes, la profusion des ratures et des réécritures ? Les nouvelles technologies offrent un ensemble d'outils qui permettent de donner tant à voir qu'à manipuler les textes. Il n'est pas étonnant que les éditeurs scientifiques se soient rapidement emparés de ces outils : Andrew Oliver, spécialiste de Balzac et directeur des Etudes Supérieures à l'Université de Toronto, publie par exemple aux Editions de l'Originale les romans de La Comédie humaine accompagnés de cédéroms hypermédias comprenant un vaste appareil critique : brouillons, manuscrits, édition originale et éditions remaniées, documents iconographiques ou sonores permettent une véritable mise en scène du texte choisi. Et l'oeuvre de Balzac n'est pas isolée : Emile Zola (1), Gustave Flaubert (2) ou encore James Joyce (3) mettent eux aussi un pied dans l'ère numérique. Il est difficile de dire si cette évolution pourra faire basculer l'édition critique du côté du format électronique. Ce que confirme indéniablement cette mutation, c'est une volonté de mettre en valeur la diversité des textes, d'insister sur un processus de production et sur différentes formes de réception. Elle ne doit pas faire oublier cependant à quel point la visée de l'ensemble doit demeurer critique, privilégier la sélection sur la compilation, l'explication sur la présentation, et laisser au lecteur la possibilité de naviguer librement entre le texte et son commentaire.