POUR SAVOIR où l'on veut aller, il faut savoir d'où l'on vient. Ce précepte maori témoigne de l'importance qu'a, aux yeux de ce peuple, l'inscription de l'individu dans l'Histoire mais aussi dans la nature : le lien avec les ancêtres et l'environnement y est la base de l'existence au présent. Ce que montre, à travers 250 pièces, la nouvelle exposition du musée du quai Branly consacrée aux valeurs et aux formes de cet art néo-zélandais qui ne cesse de tisser des liens entre ses trésors ancestraux et ses créations contemporaines.
–
Par Anne Sennhauser
LE HAKA GUERRIER, danse tribale mise à l'honneur par les joueurs de rugby néo-zélandais, n'est que la façade médiatique d'un peuple minoritaire en Nouvelle-Zélande - moins de 15% de la population - qui a vu à plusieurs reprises sa culture et ses coutumes menacées. Par cette exposition, le musée du quai Branly fait acte politique : il s'agit en effet de souligner "l'identité d'un peuple pour qui le mot souveraineté rime avec celui de liberté, après des siècles de dépossession et de conflits coloniaux", précise Stéphane Martin, président du musée du quai Branly. Le développement, en toile de fond de l'exposition, d'une fresque historique - de l'établissement des Maoris sur "le long nuage blanc" entre les années 1100 et 1300 jusqu'à l'arrivée des Européens au XVIIe siècle - permet de comprendre l'importance des taonga maoris, "trésors" constitués par les éléments du patrimoine tels que les pirogues, les parures guerrières, les objets de rituel. Leur défense a été associée depuis les années 1970 à un geste de résistance politique, de reconquête identitaire. C'est pour prolonger ce geste de réappropriation et de contrôle que l'exposition a été entièrement conçue par le musée néo-zélandais "Te Papa Tongewara", situé à Wellington, privilégiant ainsi le point de vue des Maoris eux-mêmes.
–
L'obsession de l'origine
LES TAONGA MAORI ne sont pas seulement considérés comme des reliques du passé : ils sont pensés comme de véritables éléments spirituels permettant de dialoguer avec les ancêtres. Ces objets tribaux, qu'ils soient instruments de culte ou figurines sculptées, sont transmis de génération en génération. Symboles du lien entre un individu et son passé, ils sont aussi constitutifs d'une identité collective : les maisons de réunion - vastes maisons communautaires tribales construites au XIXe siècle - sont le signe des liens forts qui se tissent entre les membres d'un groupe et leur généalogie tribale. Le corps du chef de la tribu manifeste sa présence symbolique à travers cet édifice dont le pignon sculpté représente la tête et les poutres la colonne vertébrale et les côtes. Les murs s'ornent de l'arbre généalogique des individus qui viennent y trouver refuge. Au-delà du rappel omniprésent de la généalogie, la relation à l'Histoire passe par le souvenir de l'installation des Maoris en Nouvelle-Zélande : sont comptées au nombre des taonga les pirogues de plusieurs mètres de long qui ont traversé le Pacifique en transportant les premiers Maoris et dont, aujourd'hui encore, les individus invoquent les noms quand ils déclinent leur identité.
C'EST QUE CELLE-CI se construit en lien avec tout un système de références : le symbole le plus marquant de cette conception est peut-être la pratique du tatouage (Ta Moko), qui superpose aux traits du visage un "masque de vie" en fonction de sa généalogie, de ses accomplissements et de sa place dans la tribu. Chaque courbe, chaque motif, renvoie à l'ancêtre, la tribu, et constitue le blason de celui qui les porte, appelé à y ajouter les motifs désignant ses propres actions. De fait, le tatouage fait partie intégrante de la culture maorie : à côté de diverses photographies de tatouages, la tête intégralement ornée de motifs d'un chef de tribu, Wiremu Te Manewha, conservée depuis 1875, offre l'exemple de cette identité indélébile que le tatouage inscrit dans la peau, constituant un lien charnel avec le passé et source de prestige.
–
Entrelacs de spirales
LES FIGURES DIVINES ont aussi leur place : les dieux polynésiens sont omniprésents dans les créations, de la divinité de la guerre (tirant la langue, écarquillant les yeux, de cette même expression qui défigure les visages des danseurs de Haka) placée sur la proue des pirogues ou au-devant les maisons, aux dieux de la création - la Terre Mère, Papa, et le Ciel Père, Rangi - représentés notamment sur les instruments de musique qui servent aux cérémonies sacrées. De nombreuses gravures ramènent à la création du cosmos, par la séparation de la terre et du ciel. Les mythes maoris racontent que le dieu Tane a rompu l'étreinte entre le Ciel Père et la Terre Mère pour pouvoir se libérer de leurs bras : ce jaillissement de la vie, qui est aussi celui de la lumière, est représenté à travers les entrelacs de spirales, de courbes, de lignes ondoyantes, qui saturent les créations. L'exubérance de ces motifs fluides se retrouve tant sur la proue sculptée des pirogues que sur les panneaux des maisons et les objets rituels - comme sur cet entonnoir destiné à nourrir les chefs maoris au visage endolori après la cérémonie du tatouage.
SI LA RÉPÉTITION est un principe fondateur de l'art maori, la créativité de chaque individu n'est pas niée pour autant : un pied dans la tradition, un pied dans la modernité, les Maoris d'aujourd'hui n'hésitent pas à conjuguer traditions et innovations. Des pirogues à balancier modernes, les Waka Ama - utilisées dans des courses devenues sport national - sont ainsi élaborées à partir de connaissances ancestrales et de matériaux modernes. Les artistes contemporains eux-mêmes revendiquent ce dialogue entre passé et présent : "Nos ancêtres savaient apprécier la créativité, et le droit des individus à créer de nouvelles choses au nom de l’iwi (la tribu)", précise ainsi Derek Lardelli, un artiste de Ta Moko. Au Hai Tiki traditionnel - un talisman représentant une figure étrange aux membres atrophiés - répondent les oeuvres de Fiona Pardington, qui élabore des photographies à partir de cette figure ; les manteaux des chefs de tribu inspirent des créateurs contemporains comme la styliste Kohai Grace qui substitue sur les capes qu'elle tisse des plumes métalliques aux fibres de lin ; les sculptures de Michael Parekowhai interrogent quant à elles les dynamiques - mouvements migratoires, évolution du territoire, ouverture à la modernité - qui transforment la culture Maori. C'est en puisant en elle-même, dans son histoire et ses mythes, que la culture Maori ne cesse de se réinventer.
A.S.
--------------------------
à Paris, le 23/10/2011
Maori. Leurs trésors ont une âme
Jusqu'au 22 janvier 2012
Musée du quai Branly
37, quai Branly
75007 Paris
Mar, merc. et dim. : 11h - 19h ; jeu, ven. et sam. : 11h - 21h
Tarif plein : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Rens. : 01 56 61 70 00
Catalogue
éd. Musée du quai Branly/Somogy
192 pages
29,50 euros