Mervyn le merveilleux
Gormenghast, qui se soustrait à tout résumé et à toute classification générique. Des deux côtés de la Manche, les romans de Mervyn Peake sont associés à la Fantasy, quand ils offrent pourtant au lecteur un monde réaliste et sans magie. L'auteur est dit l'égal de J.R.R. Tolkien dans l'influence qu'il a exercée sur le genre, notamment par Jacques Baudou*, mais personne n'a voulu suivre la voie qu'il emprunte avec ces trois romans. L'écrivain China Miéville le regrette, d'ailleurs, dans sa préface à la réédition illustrée de la trilogie que Vintage Books vient de faire paraître.
"En préparant l'exposition, explique la commissaire Zoë Wilcox, nous avions le désir de nous éloigner du lien entre 'Mr Peake et l'Atmosphère Gothique', comme son ancienne amie de classe 'Goatie' Smith l'avait écrit dans un poème qu'elle lui avait adressé, parodiant ainsi les interprétations critiques suscitées par son oeuvre." L'occasion de couper court aux clichés sur la vie et la personnalité de l'auteur que les médias, après sa mort, ont imaginés, en éclairant par exemple un aspect peu connu du grand public : son humour espiègle. "Une de ses blagues préférées était de demander à deux piétons de tenir chacun le bout d’un mètre ruban et de disparaître derrière un coin de rue, et de regarder combien de temps ces bonnes poires tenaient avant de craquer." C'est ce goût pour l'absurde qui explique qu'il ait accepté d'illustrer l'Alice de Lewis Caroll. "Le 'Nonsense', ajoute la commissaire, est présent tout au long de l'exposition - dans des poèmes comme 'The Trouble with Geraniums' - et dans ses illustrations d’Alice. Etant lui-même un poète du 'nonsense', Peake était un parfait illustrateur pour les histoires de Carroll, rejetant la technique de Tenniel [Sir John Tenniel, 1820-1914] comme étant 'ennuyeuse' et réinterprétant les personnages afin de produire des dessins qui sont à la fois fabuleusement excentriques et effrayants."
retient, ces souvenirs fragmentés de son enfance ont irrigué son travail poétique sa vie durant. Ce dont son épouse, l'artiste et écrivain Maeve Gilmore, témoigne dans A World Away : "Une étrange enfance. Un mélange de non-conformisme anglais et de convenances presque bourgeoises, d'hymnes congrégationalistes, de tea-parties, d’une éducation collet montée ; et dehors entouré de dragons et de sculptures d'un imaginaire ancien à la beauté défaite… De si nombreuses choses que l'on nomme 'gothiques' dans la trilogie de Titus d'Enfer doivent trouver leur source dans les rêves et fantasmes qui se sont présentés à lui, des années plus tard, venant de son enfance en Chine." Hilary Spurling, journaliste et biographe, a d'ailleurs précisé lors d'une conférence le 26 juillet dernier qu'elle n'a jamais considéré Peake comme un écrivain de fantasy, préférant voir en lui un "grand historien de son temps". Selon elle, la montagne qui, dans Gormenghast, surplombe le Château des Comtes d'Enfer, est celle sur laquelle Mervyn Peake est né : les descriptions dans l'ouvrage correspondent parfaitement au mont Lu (Lu Shan). De même, Zoë Wilcox souligne le fait que le dessin du "Hall of Bright Carvings" dans Titus d'Enfer fait directement écho aux photographies prises par le père de Peake sur la Voie des Esprits, près de Beijing.
"Terrible ironie"