les amateurs de musées qui, en contemplant les oeuvres, n'ont en tête ni éléments biographiques ni anecdotes cocasses pour nourrir leurs observations. De l'oreille coupée de Vincent Van Gogh (1853-1890) à la mégalomanie de Salvador Dali (1904-1989), en passant par les moeurs tapageuses de Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), les histoires circulent, se déforment et s'amplifient jusqu'à devenir de véritables mythes. Bousculer les idées reçues en présentant au public des documents qui permettent de voir dans un même élan l'homme et l'artiste, voilà l'ambition de l'exposition Des lettres et des peintres, présentée jusqu'au 28 août au Musée des Lettres et Manuscrits, à Paris.
Plus qu'une délectation littéraire inattendue, ces correspondances offrent surtout un jour nouveau sur l'intelligence que les peintres ont de leur propre travail. Théories, influences et admirations sont autant de sujets qu'ils évoquent volontiers avec leurs pairs et leurs amis au fil de leurs courriers. Van Gogh se réclame ainsi d'Adolphe Monticelli (1824-1886) et Gauguin, Manet encense "maître Velasquez", et Eugène Delacroix (1798-1863) revit grâce à Rubens : "Ne me trouves-tu pas redevenu jeune ? Ce ne sont pas les eaux : c'est Rubens qui a fait ce miracle. Toutes les fois que je me suis ennuyé, je n'ai eu qu'à y penser pour être heureux."
artistes doivent aussi composer avec les soucis financiers qui influencent considérablement leur travail ou leur état d'esprit, eux pour qui le commerce des tableaux et les relations avec les galeristes sont des préoccupations constantes. Monet, dans sa générosité, multiplie les lettres afin d'obtenir la somme nécessaire pour acheter L'Olympia à la veuve de Manet et l'aider ainsi "de manière discrète". D'autres sont loin de pouvoir se permettre de telles largesses et doivent avant tout subvenir à leur propres besoins : c'est Van Gogh qui "rencontre parfois des difficultés d'ordre pécunier [sic] qui [l]’empêchent de travailler", ou Pissaro qui déclare modestement : "Pourvu que je puisse joindre les deux bouts, je ne demande que cela, je ne tiens pas à faire fortune."
Chronique. Joies ou déceptions, lettres d'amour, déclarations d'amitié ou correspondances inquiètes sont le lot des artistes. Mais bientôt, au-delà de la sphère intime, c'est l'Histoire qui entre par la petite porte. Certaines correspondances valent, ainsi, documents d'archive historiques, comme ce courrier que Manet écrit pendant le siège de Paris, en 1870. Il n'y est plus seulement peintre, mais se fait aussi chroniqueur : "Degas et moi, sommes dans l'artillerie, canonniers volontaires, nous [nous] attendons bientôt à quelques grandes batailles sous Paris […]. Nous commençons à souffrir ici, on fait des délices du cheval, l'âne est hors de prix, il y a des boucheries de chiens, de chats et rats. Paris est mortellement triste." De l'histoire privée à la grande Histoire, la palette est complète.