L`Intermède
Francesco, théâtre la Bruyère, Dario Fo, Stéphane Aucante, Gibert Ponté, Saint françois d`assise, solo, farce, politique, liberté, simplicité, pauvretéJe veux être un homme heureux
Saint François d'Assise parlant aux oiseaux. L'homme de la simplicité et de la liberté, tel qu'on le voit sur les fresques de Giotto. Tout en retrouvant cette légende, le dramaturge italien Dario Fo lui insuffle, dans sa pièce inédite Francesco, un nouveau souffle de vie, et dans la bouche de Gilbert Ponté, l'histoire retrouve toute sa féérie. Raconter la vie d'un saint comme au coin du feu, comme sur la place d'un marché, avec fantaisie. Tout comme Francesco souhaitait raconter les évangiles, librement. C'est le pari que relève le metteur en scène Stéphane Aucante au Théâtre la Bruyère, à Paris.

Gilbert Ponté arrive sur scène en traversant la salle, sa valise à la main, un chapeau sur la tête. Presque comme s'il passait par là et, par chance, s'arrêtait sur notre chemin pour nous conter ce soir-là son histoire. Celle de l'une des figures les plus célèbres du christianisme, de l'homme qui est à l'origine de l'ordre monastique des franciscains et qui a vécu à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, Saint François d'Assise. Mais de ce personnage fascinant, mystérieux, sacré, existe une autre facette, Francesco, le garçon un peu étrange : "Dès qu'il était heureux, il chantait et comme il était tout le temps heureux, il chantait tout le temps", confie le conteur. Les deux ne font qu'un et le profane, s'il déchaîne le rire, nourrit finalement le sacré. Canonisé très tôt, deux ans après sa mort, en 1228, Francesco prône avant tout le dénuement et la pauvreté. Il est pourtant le fils d'un riche commerçant et commence sa vie dans l'aisance, menant une jeunesse ancrée dans son époque. Il fait ainsi la guerre, rêvant d'être chevalier. Mais en 1205, devant un crucifix, il entend une voix qui lui demande de "réparer son Eglise en ruine". Comprenant d'abord ce message de façon littérale, il s'attache à rebâtir le lieu sacré, puis d'autres. Mais sa mission est en fait plus haute : il s'agit de revenir aux fondements de la parole du Christ, et en particulier de renoncer aux biens matériels. 

Dario Fo trouve en Francesco un véritable sujet de théâtre, qui lui permet de puiser dans les ressources de la farce comme il aime à le faire dans l'ensemble de son oeuvre : les gags s'enchaînent dans un déluge de mots. Comme les jongleurs du Moyen-Age, Gilbert Ponté incarne plusieurs personnages et s'adresse au public. "A propos de conteurs, déclare Dario Fo dans son discours lorsqu'il reçoit le prix Nobel de littérature en 1997, il ne faut pas que j'oublie ceux de la petite ville près du Lac Majeur où je suis né et où j'ai été élevé, une ville avec une riche tradition orale." De Rome à Assise, d'une église à une vallée, Francesco rencontre toute une série de personnages qui peuplent la scène par l'unique magie du verbe. Un espace restreint qui s'ouvre aux dimensions du Francesco, théâtre la Bruyère, Dario Fo, Stéphane Aucante, Gibert Ponté, Saint françois d`assise, solo, farce, politique, liberté, simplicité, pauvretémonde, et où chaque détail s'anime pour trouver sa place dans le récit. Rien de superflu, juste l'essentiel. Pour tout décor, une corde à linge à  laquelle sont suspendus un drap et un torchon, un baquet, et un tabouret. Il fallait "que tout soit absolument indispensable", explique le metteur en scène Stéphane Aucante, une "espèce de pauvreté, mais à la franciscaine", mise au service de la cohérence du projet puisque la pièce parle d'un homme "qui a défendu la pauvreté, la simplicité, la possibilité de parler partout, en tout lieu".

Il suffit dès lors de changer de lumière, de monter sur le tabouret et d'apparaître au-dessus du drap tendu pour se trouver soudain en train de discourir à une tribune. Gilbert Ponté, rompu à l'art du solo qu'il pratique depuis de nombreuses années, passe d'une figure à l'autre, mime les cloches, fait entendre l'effondrement des tours à coup d'onomatopées. Il virevolte un instant et s'assoit tranquillement à un autre, captivant à chaque seconde son auditoire. Tout comme Francesco lui-même, "le saint jongleur, jongleur de Dieu". C'est d'ailleurs sous le titre Le Saint Jongleur François que la pièce a été créée en 2002. S'ouvre alors la collaboration entre le comédien Gilbert Ponté, qui est à l'origine du projet, et le metteur en scène Stéphane Aucante. Une collaboration qui va se poursuivre avec d'autres spectacles, comme la trilogie Giacomo qui prend elle aussi la forme d'un solo.

Au-delà de l'amour du comique farcesque, Dario Fo, l'auteur de Mort acidentelle d'un anarchiste (1970), est aussi un homme engagé dont le théâtre est  volontiers politique. Et Francesco n'échappe pas au regard acerbe qu'il porte sur le monde contemporain. Dans les enjeux de pouvoir, une continuité se lit entre hier et aujourd'hui. "C'est toujours les mêmes qui font les révolutions", glisse-t-il ainsi au détour d'une réplique, ou un peu plus tard : "il était orgueilleux et prétentieux comme tous les capitalistes". Peu importe les anachronismes. A la manière d'un Eugène Ionesco, Dario Fo construit sa pièce comme une fable avant tout comique, mais comme le pensait précisément le dramaturge d'origine roumaine : comique et tragique sont intrinséquement liés. Les loups parlent dans cette pièce, comme dans les Francesco, théâtre la Bruyère, Dario Fo, Stéphane Aucante, Gibert Ponté, Saint françois d`assise, solo, farce, politique, liberté, simplicité, pauvretécontes, mais pour souligner tout de même qu' "il est difficile d'échapper à sa condition". Ainsi cette vie de Saint François s'inscrit volontairement "très loin de toute mièvrerie, de toute enluminure, car c'était un homme d'une modernité insensée, une sorte d'anarchiste avant la lettre, un tourbillon, un poil à gratter", poursuit le metteur en scène. "Et il nous questionne sur les problèmes d'aujourd'hui, le pouvoir de l'argent, l'économie, la charité." Paradoxalement, cette pièce irrévérencieuse s'appuie sur des recherches importantes menées par Dario Fo, "en particulier sur les études des années 1990 autour de Saint François d'Assise, ajoute Stéphane Aucante. Et même au niveau formel, il s'est inspiré des histoires médiévales, des jongleurs, des bateleurs du Moyen-Âge. Il y a donc un vrai travail intellectuel pour arriver à cette forme hyper simple, que l'on a essayé de garder, nous, en termes d'interprétation et de mise en scène. C'est-à-dire de s'inspirer de Saint François et d'être capable d'être dans cette immédiateté de la parole."

Francesco "n'a plus rien, mais c'est un homme libre". Et c'est bien cet affranchissement qui est au coeur de la pièce. Une liberté de ton, en tout état de cause, quand bien même le récit de la Cène ne deviendrait pas très catholique. Mais aussi une hardiesse, face à ce solo d'un acteur qui semble emporté par son récit, presque comme s'il improvisait alors que tout est minutieusement mis en place pour créer cet effet. "Avec Dario Fo, explique Stéphane Aucante, on a l'impression d'un texte écrit à la va-vite sur un coin de nappe, très parlé, et en fait, il y a un énorme travail de recherche et un travail sur la forme. Et sur le plan de la mise en scène et de l'interprétation, c'est un vrai travail d'orfèvrerie pour rejoindre cette atmosphère de conte et arriver à une sorte d'essence de la parole théâtrale." L'on dit que la réussite tient à ce que l'effort ne se voit pas. Ici, l'air de rien, l'humour cède à l'émotion en un instant, comme par surprise, après ce tourbillon. Lorsque la fin arrive et la mort prévisible, et pourtant imprévisible aussi tant ce Francesco était heureux d'être en vie.
 
Le 18/03/11
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  Francesco
, jusqu'au 29 mai 2011
  Dimanche : 15h30 ; lundi : 20h30 
  Texte : Dario Fo
  Mise en scène : Stéphane Aucante
  Interprétation : Gilbert Ponté
  Théâtre la Bruyère
  5 rue Le Bruyère
  75009 Paris
  Tarif plein : 32 € //
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  Tarif réduit : 10 €
  Rens. : 01 48 74 76 99





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  Crédits photographiques : Hugues Marcouyau