Alain Bashung avait rencontré le chorégraphe Jean-Claude Gallotta à la MC2 de Grenoble. Cinq automnes plus tard, le premier a disparu, et la troupe de Gallotta incarne L'homme à tête de chou, reprise de Serge Gainsbourg et album posthume que Bashung avait enregistré en 2006. Le spectacle a été joué pour la première fois le 12 novembre à Grenoble, et fait aujourd'hui escale au Théâtre du Rond-Point, avant une tournée dans toute la France.
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marilou je lis le vice de baby darling" - Il y a un "la" que tout le monde prononce, alors qu'il n'existe pas.
L'homme à tête de chou de Serge Gainsbourg n'est pas "L'homme à
la tête de chou
". Il n'y a rien d'extraordinaire à avoir une tête de chou, nous dit le chanteur. Avoir un brassicacée vissé sur le tronc, être "
moitié légume, moitié mec", quoi de plus banal ? Pour peu qu'on rencontre une "
shampouineuse fatale au regard absent et à l'iris absinthe" qui s'appelle Marilou, l'on pourrait presque oublier les feuilles qui enveloppent notre crâne, et tomber amoureux jusqu'à la folie.
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entre deux bulles de comic strip" - Dans
Gainsbourg, vie héroïque, le biopic que le dessinateur de bande dessinée Joann Sfar consacre à Serge Gainsbourg - sur nos écrans le 20 janvier prochain -, le visage du comédien Éric Elmosnino se retrouve, entre deux plans, transformé en chou aux veinures saillantes, pleurant ses feuilles vert-bouteille, comme sur la pochette de l'album éponyme enregistré en 1976. Les oreilles écartées, d'objet de moquerie et particularisme physique, deviennent bouclier, mais n'ont pas protégé Gainsbourg de l'échec commercial. Trente ans après la sortie du disque, l'album est salué par tous, et Alain Bashung entre en studios pour, à l'hiver 2006, ré-enregistrer chaque chanson de cet opus de 32 minutes, en 48 heures.
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oh ma lou marilou fou que j'étais de toi" - Le chanteur d' "
Osez Joséphine" connaît le chorégraphe Jean-Claude Gallotta depuis 2004, et les deux hommes ont pour projet de mettre en scène l'album de Gainsbourg avec la voix de Bashung. Même voix grave, même phrasé parlé, même noirceur et nez protubérant : Bashung a beaucoup de Gainsbourg. Les mois qui suivent l'enregistrement de la voix, le chanteur, atteint du cancer, supervise la réalisation de nouvelles orchestrations et musiques additionnelles. La partition passe à un peu moins de 75 minutes. Chaque morceau s'achève par une envolée musicale, comme celle qui clôt magistralement "
Cargo Culte" sur l'album
Histoire de Mélody Nelson. Les riffs de guitare se disputent le battage des cymbales et charlestons dans un déluge de notes planantes. Gainsbourg navigue entre rock et pop, et Gallotta utilise cette vitalité pour insuffler corps aux quatorze danseurs, moitié filles, moitié garçons, qui composent l'espace de son ballet. "
C'est sombre mais il y a de l'énergie", résumait le chorégraphe à United Press il y a quelques temps.
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moi qui leur colle au cul dans la savane" - La scène est noire, et les quelques éclairages dévoilent une chaise à roulettes, vide - l'homme à tête de chou, moitié légume moitié mec, a bien sûr une chaise banale. Bashung devait initialement chanter sur scène aux côtés de la troupe, mais sa maladie l'avait fait rebrousser chemin, jusqu'à son décès, en mars 2009. La chaise est donc renversée, à même le plancher. Chaque danseur entre un à un sur scène, et exécute un pas devant ce trône ordinaire. Souvent des poses lacives, une espèce de danse sexuelle, de frottement invisible. Les douze séquences de l'album s'enchaînent, toutes liées par le travail sur la partition de Bashung et Denis Clavaizolle. Comme une seule phrase, un dernier soupir jusqu'à l'exténuement.
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je sais, Marilou, qu'avec Marilou, d'autres garçons ont dansé" - Pendant 1h15, la troupe virevolte. Les bras dessinent des arcs, les pieds ne restent jamais longtemps au sol, les cheveux fendent l'air à mesure que les cous se tordent par à-coups. Tour à tour Marilou et homme à tête de chou, les femmes en soutien gorge noir et les hommes en chemise blanche tournoient, se balancent, se regardent avec suspicion, se tirent les oreilles, inversent les rôles, se déshabillent. La chaise vide, objet de
fantasmes, est le centre de gravité de ce monde de talons et costumes aux teintes sombres. Puis une femme entre sur scène, et se déshabille totalement, danse avec deux hommes, les fesses rougies par les mains qui claquent. Un peu plus loin, c'est un danseur à tête de gorille sans feuille de vigne pour couvrir son sexe qui est transporté sur la chaise, face au public, comme un totem.
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quoi ? moi ? l'aimer encore ? des clous" - Les collants qui voilent les visages de deux danseurs pourraient bien être ceux de Marilou, cette shampouineuse "
aux pulsions imprévisibles, innocente et coupable à la fois", selon les mots du chorégraphe. Derrière la modernité des costumes typiques des "jeunes cadres dynamiques", les pulsions sauvages. Braguette ouverte, les mains tiennent un sexe qu'on ne voit pas, avant d'aller caresser les accoudoirs de la chaise, toujours désespérément vide. Gallotta dit à propos de Bashung, quand il enregistrait l'album : "
Il était encore avec sa voix, en pleine puissance, en pleine intériorité". A la fin du spectacle, le chorégraphe monte sur scène, salue l'assemblée, et salue les grands absents, Gainsbourg et Bashung, en baissant les bras vers la chaise, puis en les levant vers le plafond. Il sourit, et découvre ses grandes oreilles décollées, magnifiques.
