8. Tim Burton, président !
LE CINÉASTE A SNOBÉ le Carlton pour l'Hôtel Palais Stéphanie, à Cannes. Un cinq étoiles, c'est bien ce qu'il fallait pour le nouveau président du festival international de cinéma, qui a élu domicile à quelques dizaines de mètres du Palais des festivals et des congrès. Problème : l'oiseau de nuit a bien du mal à supporter le soleil, le sable et la chaleur de la cité méditerranéenne. Tim a donc réservé l'hôtel pour lui et ses proches, et demandé à changer la décoration pour recréer son intérieur londonien - ou presque. Dans les coulisses, morceaux choisis des premiers instants du cinéaste sur les lieux, à quelques heures du lever de rideau du festival de Cannes. –
Par Johan Delors
– 16h27
LES PALMIERS À L'ENTRÉE ont été effeuillés, les buissons taillés en forme de cerfs, et les grands miroirs du hall d'entrée fissurés. Burton arrive d'un instant à l'autre, mais tout le monde a été prévenu : le cinéaste ne supporte pas son reflet, pas plus que celui des autres, qu'il n'aime regarder que lorsqu'il porte ses lunettes teintées. Les hôtesses d'accueil doivent porter des robes rouges sang-de-boeuf ; les garçons d'étage, moins bien lotis, suivent un régime draconien pour garder leur emploi : ne pas s'être exposés au soleil depuis six mois, et dormir trois heures par nuit. C'est ainsi que le teint d'albâtre et les yeux cernés de noir, ils peuvent chatouiller avec douceur la vue sensible du réalisateur. Dans les cuisines, les menus ont été totalement révisés : tartines de rat grillé avec un verre de sang chaud pour le matin - on murmure qu'Isabelle Adjani se joindrait à la fête pour l'occasion -, poulet aux ronces pour le déjeuner, soupe à la citrouille le soir. Finis les oeufs de serpent, qu'il affectionne tant, et les langues de veau rissolées. Le cinéaste serait au régime, ordre de son aimée Helena.
– 16h53
HORREUR ET DAMNATION, les soixante-seize kilos de rideaux noirs commandés pour empêcher la lumière du jour de rentrer à l'intérieur de l'hôtel ne sont pas suffisants pour garnir toutes les baies vitrées. Une partie du bâtiment - celle où se trouvent les bonzaïs verdoyants et les roses blanches, que Tim exècre de toute façon - est placée en quarantaine.
– 17h14
LA LIMOUSINE NOIRE de la famille Burton arrive sur place. Le réalisateur sort en premier, accompagné de sa femme, leurs deux enfants et un chat noir, qui regarde avec concupiscence la souris blanche posée sur l'épaule d'Helena. Affublés de chapeaux en formes de paraboles, ils courent tous vers le tambour de l'entrée, ne laissant pas tomber la moindre perle de sueur sur le sol. Helena et les enfants s'engouffrent dans l'ascenseur climatisé à -16°C, direction la chambre n°13 du treizième étage, construite pour l'occasion, avec isolation thermique pour garder la chair fraîche. Tim reste au rez-de-chaussée, et fait un tour au bar, pour se gorger d'un jus de tomate. Au fond de la salle, Danny (Elfman) accorde ses triangles et xylophones. Les deux hommes se saluent en se caressant les cheveux.
– 17h33
C'EST L'HEURE DE LA POSE quotidienne de vernis pour Helena. La manucure, qui porte un sac en carton sur la tête sur lequel sont dessinées deux orbites démesurées de noir, s'approche de la femme de Tim, avant de se faire gifler. Après mûre réflexion, Helena n'apprécie pas le mélange de suc d'orties et de sueur d'une jeune fille vierge qu'elle lui a posée la veille sur les ongles d'orteils. Trop douceureux : "Je ne suis pas cette imbécile d'Alice", persifle celle qui n'a jamais compris la fascination du personnage pour les lapins blancs. Il lui faut aujourd'hui de l'essence de léopard et l'humeur aqueuse d'un poisson grillé au tapioca pour revigorer sa voute plantaire. L'esthéticienne, affolée, revient quelques instants plus tard avec la solution, prête à étaler les quelques millilitres de substance vaporeuse sur les pieds crochus d'Helena, évitant de justesse trois verrues. Au sommet du crâne, la coiffeuse particulière de la famille s'affaire à étaler jaunes d'oeuf et cire d'abeille dans sa tignâsse sombre, utilisant branches de sépia et pattes de sauterelles pour structurer ce qui, au bout d'1h27, atteindra vingt-cinq centimètres de hauteur - et tout autant en largeur.
– 18h12
HELENA HURLE des "Tiiim" à la mort, à la recherche de son mari, perdu. Il devrait être revenu depuis une demi-heure de sa partie de lancer d'oursins à laquelle l'ont convié ses deux bambins, mais aucune trace d'épines nulle part. "A moins qu'il ne soit en train de jouer une quelconque marche funèbre sur son nouvel orgue électrique ?", s'interroge l'assistante des Burton, Wilhemina Carter. Rien de tout cela : Tim est dans les caves de l'hôtel, un fusain à la main, en train de poursuivre le story-board de son prochain film, qui devrait marquer le renouveau de son cinéma - une histoire d'enfant qui rencontre un monstre étrange le soir d'Halloween et tombe amoureux d'une morte. L'heure tardive ne semble pas déranger le cinéaste, qui n'a de toute façon pas envie de s'habiller"comme un pingouin" pour la cérémonie d'ouverture. Helena s'y résigne, il portera sa chemise hawaïenne à fleurs bleu turquoise, spécialement repassée pour l'occasion, et ses Doc Martens violettes. Un point c'est tout.
– 18h55
TIM SE FAIT ENGUIRLANDER par Gilles Jacob, qui tient à ce qu'il arbore le noeud papillon hypnotique à bordures en dents de scie, envoyé spécialement par Lady GaGa depuis Los Angeles. Helena n'est pas en reste : la chanteuse lui a fait parvenir le clavier d'un téléphone fin-de-siècle pour qu'elle l'attache dans ses cheveux. Côte à côte, le couple Burton se scrute dans le reflet d'un verre tainté, à la lueur des torches qui ont remplacé les lustres. Difficile de dire s'ils apprécient le geste.
– 19h26
LE KLAXON DE LA LIMOUSINE, spécialement programmé par Danny pour sonner comme un carillon, appelle les Burton. Une chorale d'enfants albinos entonne la partition d'Edward aux mains d'argent pour accompagner leur sortie. Le président et la première dame sont attendus sur le tapis rouge dans quatre minutes, mais Helena n'a pas encore fini d'agrafer le bas de sa robe à son poignet. Tim jette sa quatrième paire de lunettes de soleil de la journée, et cale un monocle au verre fumé entre l'arcade sourcillière et sa pommette droite. Il brosse le haut de sa veste, encore tâchée par les excréments du corbeau qui dort dans leur chambre. Mais le festival se fait attendre, et Tim a promis d'être à l'heure, pour une fois. En voiture, Burton.