L`Intermède
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7. Le crayon trempé dans l'acide
SI C'EST D'ABORD L'IMAGE d'un Tim Burton réalisateur qui vient à l'esprit, c'est qu'on oublie souvent ses talents de dessinateur et même d'écrivain qui s'illustrent entre autres dans un recueil de poèmes datant de 1997. The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories, publié chez Faber and Faber et dédié à sa compagne d'alors, Lisa Marie, égraine vingt-trois histoires comme des comptines, drôles mais tragiques, souvent macabres, accompagnées d'illustrations de l'auteur. En écho à l'anthologie The Art of Tim Burton, de Derek Frey, Leah Gallo et Holly C. Kempf, paru en novembre dernier chez Steeles Publishing, et qui rassemble les centaines de croquis du maître, se dessine un monde à l'image de son oeuvre cinématographique, détraquant les codes de la littérature enfantine à coup de contes cruels. 

Par Anaïs Tharaud

SOUS LE VERNIS NOIR, l'humain. Chacun des textes du recueil The Melancoly Death... doit son titre au nom du personnage qui est au centre de l'histoire - à l'instar de la plupart des films burtoniens, dont Edward aux mains d'argent, Ed Wood ou Sweeney Todd. Leur souffrance, leurs difficultés à s'intégrer, la cruauté des autres reviennent comme un leitmotiv dans presque chaque histoire. Telle celle de Mummy Boy, le garçon momie, transformé par la malédiction d'un pharaon, rejeté par tous, qui finit roué de coups par des enfants qui prennent sa tête pour une piñata. Ces êtres singuliers peuplent aussi les dessins qui accompagnent les poèmes, émergeant souvent du blanc de la page sans autre décor que le vide autour d'eux. Ainsi, l'histoire de Sue, celle qui aime sniffer de la glue, est-elle représentée en trois volets, trois portraits de la jeune fille sans aucun autre élément dessiné. Aux textes, courts, répondent ainsi les images vignettes aux situations souvent cocasses ou dérangeantes. L'imagination de Burton se focalise sur ces créatures, des monstres en tout genre, sans se soucier de les placer dans un contexte ou de construire une image complète. Comme si le dessin, l'image fixe, devait se concentrer sur l'essentiel, le personnage, à rebours du travail cinématographique, plus foisonnant, qui se doit de rendre  compte de l'univers dans lequel évoluent ces êtres.

TIM BURTON CRAYONNE ICI, comme dans le reste de son oeuvre, des figures de monstres et de chimères. "Les monstres occupent une résidence permanente dans le cerveau de Tim Burton", peut-on lire au début du chapitre "Monstres incompris" du livre d'art The Art of Tim Burton. Et The Melancholy Death of Oyster Boy abonde en effet de créatures hybrides, mi-hommes mi-huître, mi-fromage ou mi-pingouin, et de personnages étranges dont les yeux peuvent sortir des orbites. Chaque poème devient l'occasion d'imaginer une nouvelle créature. Junk Girl, Robot Boy ou Stain Boy, autant de patronymes qui semblent calqués sur ceux des super-héros dans une version plutôt iconoclaste : ces êtres là n'ont aucun superpouvoirs, si ce n'est celui de faire fuir les autres ou d'attirer leur méchanceté.

A CONTRE-COURANT d'une certaine tradition où le monstre représente le mal et l'inhumanité - dans la pensée grecque ancienne, les notions de beau et de bien sont connexes, de même, dans les récits médiévaux, la difformité physique ou même la laideur sont des signes du vice, des marques du malin - Tim Burton est plutôt inspiré par les films qui l'ont marqué dans son enfance, la lignée de monstres plus humains que les humains comme King Kong ou la créature de Frankenstein. Dans un renversement de perspective, l'apparence ici n'est plus révélatrice de l'âme du personnage. L'histoire qui donne son titre au recueil, celle du garçon-huître, en est un parfait exemple. Les horribles parents ne sont jamais représentés dans les vignettes si ce n'est dans l'ombre ou le visage en dehors du cadre, et l'image est toujours centrée sur l'enfant, comme si les adultes étaient des ombres malveillantes et que le fait de les représenter avec leur apparence d'humain serait sacrifier au mensonge. Seul l'enfant, pourtant monstrueux à l'extérieur, peut faire valoir son humanité intérieure.

L'ASPECT BRUT DU TRAIT de Tim Burton et la simplicité de son dessin font penser à des esquisses, comme si les illustrations n'étaient pas tout à fait achevées ; la beauté et l'harmonie se dessinent, paradoxalement, dans l'irrégulier et l'imperfection. En quelques coups de crayons, l'artiste capte une expression et crée une ambiance par la simple force de la personnalité du personnage. Les yeux exorbités, ces êtres observent un monde auquel ils ne semblent pas appartenir. Burton joue aussi parfois de la répétition d'un même dessin avec une modification à chaque page comme si, en feuilletant rapidement le livre, ils pouvaient prendre vie. L'animation n'est jamais loin.

VING-TROIS PO
ÈMES, donc, qui reprennent des formes de la littérature enfantine, comme la comptine, des phrases aux rimes et aux rythmes agréables à l'oreille, se promenant l'air de rien sur les pages du livre en petit format, à la couverture bleu nuit. Mais sous ces dehors innocents se révélent des histoires saturées de ténèbres, de tristesse et de cruauté, qui se terminent trop souvent sur une mort tragique. Le garçon-huître finit dévoré par son père, le garçon-robot sert de poubelle et Melonhead, l'être à la tête de melon, se fait écraser. Partout règne la violence. "James" se compose ainsi de cette seule phrase: "Unwisely, Santa offered a teddy bear to James, unaware that he had been mauled by a grizzly earlier that year".(1)  Tim Burton retrouve ici la noirceur de certains contes pour enfants traditionnels ; mais ce qui les distingue et les rend plus insupportables encore, c'est leur dimension ironique et leur humour noir. Le propos est souvent cynique, et la violence, sans issue, comme dans ce laconique "Jimmy The hideous penguin boy", qui n'est pas sans rappeler le monstre de Batman Le Défi :
 
"My name is Jimmy,
but my friends just call me
'The hideous penguin boy
'" (2)

L'ILLUSTRATION, de même, n'est qu'un constat tragique du rejet. Les rayures rouge sur le mur accentuent la violence de la scène et écrasent le petit garçon, assis dans le coin. Quelques pages plus loin, un autre enfant, qui a des clous plantés dans les yeux et donc ne peut pas voir le sapin qu'il est en train de décorer, éloigne définitivement l'oeuvre de tout univers édulcoré pour glisser dans un monde en mutation permanente, où la vie se nourrit de la mort.
 





 
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A. T.
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à Paris, le 25/03/10

The melancholy Death of Oyster Boy & Other Stories
de Tim Burton
Faber and Faber
1997


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Pour aller plus loin :
The Art of Tim Burton Derek Frey, Leah Gallo et Holly C. Kempf
Steeles publishing
2009






Tous les articles du dossier

Chapitre 1 : Les génériques des films de Tim BurtonTim Burton au MoMA de New York, jusqu`au 26 avril 2010Chapitre 3 : Alice au pays des merveilles sur grand écran le 24
marsChapitre 4 : Les entretiens de Tim Burton avec Mark Salisbury













Chapitre 5 : la `Dream Tim`, avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter et Danny ElfmanChapitre 6 : Radiographie du cinéma burtonien au travers de la
figure de l`enfantChapitre 7 : Les dessins et écrits de Tim Burton, au gré d`un recueil d`un contes et d`une anthologie de ses croquis.Chapitre 8 : Tim Burton, président du festival de Cannes 2010









 



Notes:
1 "Imprudemment, le père Noël offrit un ours en peluche à James, ne sachant pas qu'il avait été défiguré par un grizzly un peu plus tôt dans l'année."
2 "Je m'appelle Jimmy, / Mais mes amis m'appellent/ L'horrible garçon pingouin."

Crédits et légendes images
Image 1 Untitled (The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories). 1982–1984. Pen and ink, marker, and colored pencil on paper, 10 x 9" (25.4 x 22.9 cm). Private Collection. © 2009 Tim Burton
Image 2 Untitled (Creature Series). 1992. Acrylic on canvas 7 x 5" (17.8 x 12.7 cm). Private collection. © 2009 Tim Burton
Image 3 Untitled (Black Cauldron). 1983. Pen and ink, marker, and watercolor wash on paper 11 x 15" (27.9 x 38.1 cm). Private Collection. © 2009 Tim Burton
Image 4 Untitled (The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories). 1998. Pen and ink, watercolor on paper Overall: 11 x 14" (27.9 x 35.6 cm) Private collection. © 2009 Tim Burton
Image 5 Untitled (The World of Stainboy). 2000. Pen and ink, watercolor wash and colored pencil on paper Overall: 9 x 12" (22.9 x 30.5 cm). Private collection. © 2009 Tim Burton
Image 6 Untitled (Mars Attacks!). 1995 Watercolor and pastel on paper, 17 x 14" (43.2 x 35.6 cm). Private Collection. Mars Attacks © Warner Bros. © 2009 Tim Burton
Image 7 Tim Burton's The Nightmare Before Christmas storyboard. 1993. Pen and ink, marker, and colored pencil on paper, 5 x 7" (12.7 x 17.8 cm). Private Collection. © 2009 Tim Burton
Image 8 Untitled (Trick or Treat). 1980 Pen and ink, marker, and collage elements on board, 15 x 15" (38.1 x 38.1 cm). Private Collection. © 2009 Tim Burton
Image 9 Blue Girl with Wine. c. 1997. Oil on canvas, 28 x 22" (71.1 x 55.9 cm). Private Collection. © 2009 Tim Burton
Photo 10 Couverture originale de The Melancholy Death of Oyster Boy and other stories
Photo 11 Couverture originale de The Art of Tim Burton