En attendant, on l'imagine
Depuis l'écriture de la pièce En attendant Godot par Samuel Beckett en 1948, le personnage du titre se fait toujours attendre. A Budapest, une cinquantaine d'artistes ont imaginé son visage.
Au coeur de Budapest, au premier étage d'un café-restaurant, se trouve une petite galerie au charme évident par son intimité naturelle et simple. Initiative aussi idéaliste que téméraire de trois jeunes gens indépendants, la Galerie Godot est devenue, en une décennie, l'une des institutions les plus notables de la scène contemporaine hongroise dans les arts plastiques. L'établissement fête aujourd'hui ses 10 ans d'existence : il était donc naturel que les organisateurs rendent hommage à l'auteur Samuel Beckett et son classique En attendant Godot, qui a donné son nom au lieu. Depuis le 3 septembre, et jusqu'à la fin du mois, la galerie accueille ainsi l'exposition Le visage de Godot : cinquante artistes, souvent des habitués des lieux, ont été invités à créer des œuvres avec pour thème... Godot lui-même, ce personnage absent de la pièce de théâtre qu'Estragon et Vladimir attendent, en vain.
Si l'exposition n'est pas grande, elle en est d'autant plus riche, nourrie par la multiplicité des approches artistiques. Tous les créateurs ne semblent en effet pas avoir pris la direction indiquée par les organisateurs, ce qui prouve que Godot reste un sujet énigmatique, et qu'il y a donc mille et une façons de s'approcher – parfois en s'éloignant – de ce personnage. Un certain nombre de "vrais portraits" sont accrochés, à l'instar de ce Godot sans visage, où Kriszta Nagy – connue aussi comme la provocatrice "femme artiste" Tereskova – représente le personnage en rock star séduisante au style pop, avec un coeur de pain d'épices. Szultán Bogdándy fabrique, quant à lui, un assemblage faisant écho aux arts premiers, et Amár László Varga ne fait que des contours de ce visage insaisissable.
Un peu plus loin, sur l'oeuvre de István Orosz, Godot est celui qui construit son propre cerveau. Et dans le Kaléidoscope de Dénes Wächter, il est formé des visages de "célébrités" comme Lenine, Einstein, Chaplin, Elvis… Godot est-il l'incarnation de ce mélange, ou au contraire est-il en chacun d'eux ? Est-il le reflet du Grand miroir, comme le titre de l'assemblage de Tamás Szikora l'indique? La peinture intitulée Peut-être Godot, de János Szurcsik, suggère clairement cette incertitude, montrant que la grande question – qui est Godot ? -, même dans les petites salles de cette galerie, reste la même que pour Estragon et Vladimir au fond du néant.
La diversité des supports, des styles et des artistes est privilégiée, comme c'est toujours le cas dans cet espace qui soutient un grand nombre de peintres, photographes, sculpteurs et plasticiens hongrois depuis plusieurs années. Dans ses photos-montages, József Baksai paraphrase La Main de Dieu de Rodin, le texte d’une prière obscure fusionnant avec une main. Avec son titre difficilement traduisible, "Autoportraitmoisissure" de Péter Kovács est à la base un (auto?)portrait classique couvert de gribouillages, comme un nouveau Chef-d'œuvre inconnu balzacien. Puis les barbouillages continuent chez drMáriás, au style "Godot loves you", parodiant les "God / Jesus loves you" en graffitis sur les murs de la ville. S'il y a un visage de Godot, c'est peut-être à la sortie de la galerie, où trois photographies de Gábor A. Nagy représentent Bálint Kaucsek, Gábor Kozák et Zoltán Sáfár, les fondateurs des lieux. Et donc, d’une certaine façon, le visage de ce petit Godot budapestois, plein de couleurs.
Le visage de Godot, jusqu'au 26 septembre 2009
Galerie Godot
Budapest 1075 Madách út 8
Mar-vend : 10h-18h
Sam : 10h-13h
Entrée libre
Catalogue 1999-2009 (anglais-allemand-hongrois)
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Crédits et légendes photos :
Vignette László feLugossy : ARCOD, mint két porcelán őzikéé ("Ton visage comme celui de deux petit chevreuils en porcelaine")
Photo 1 La galerie Godot
Photo 2 Kriszta Nagy x-T: Le visage de Godot
Photo 3 Tibor Palkó , Godot arca