FRIVOLE, DÉPENSIÈRE, IMMATURE... Ce qu'il reste de l'image de Marie-Antoinette n'est pas des plus illustres. Mariée à quatorze ans, hissée sur le trône quatre ans plus tard aux côtés de Louis XVI, la reine d'origine autrichienne a d'abord séduit le peuple français, avant que celui-ci ne la condamne à mort. Pourtant, deux siècles plus tard, la dernière reine de France et de Navarre est célébrée pour son bon goût et son raffinement. Des multiples commandes de meubles, dont les coûts astronomiques étouffaient le peuple, il reste aujourd'hui un mobilier d'une grande délicatesse qui marque un tournant dans l'histoire des arts décoratifs. C'est à cet héritage-là que les nouvelles salles du département des objets d'arts du Louvre sont consacrées. – Amandine Duphil
DES YEUX D'UN BLEU PERCANT, une chevelure abondamment poudrée à la mode de l’époque et une peau semblable à de la porcelaine. Maria Antonia Josepha Johanna von Habsburg-Lothringen (1755-1793), de son nom de naissance, est une beauté de l’Est. Encore toute jeune adolescente lorsqu’elle arrive en France, sa délicatesse et sa fraîcheur lui attirent les bonnes grâces de la cour, notamment celle de son beau-père, Louis XV. Mais l’amitié paternelle ne fait pas tout. Au milieu d’une noblesse au protocole d’une rigueur réputée dans toute l’Europe, l’adaptation est difficile et, partout, la jeune dauphine reste une étrangère. C'est peut-être ce qui explique, dans ce dédale de bonnes manières, la nécessité de trouver un refuge. Si la musique, le théâtre et la danse sont chers à son coeur, c’est finalement dans les arts décoratifs que la jeune femme trouve le moyen de s'exprimer.
– Chinoiseries
DANS LA PETITE ALCÔVE, derrière son bouclier de verre, le petit meuble noir et or est une des pièces maîtresses de la section du Louvre. Ici, pas de fioriture ou de décor particulier ; sur le mur blanc, la table à pupitre se suffit à elle-même (Table à pupitre de la reine Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud, Paris, 1784). Sous l’éclairage blanc, les plaques d’acier poli et les incrustations de bronze doré étincellent, en contraste avec la laque noir du Japon recouvrant l’ossature de bois du meuble. Pas un centimètre n’est laissé pour compte. Sur la tablette, relevable pour une plus grande aisance à l’écriture, les paysages asiatiques sont un clin d’œil à l’engouement pour les chinoiseries. Au milieu des collines verdoyantes, les temples aux toits pagodes invitent alors aux rêveries d’univers lointains et merveilleux. Sur les pieds et les tiroirs, c'est un autre univers qui est convoqué, rappelant le grand retour du classicisme introduit par Louis XV et développé par sa belle-fille. Jaillissant de volutes fleuries, les cariatides soutiennent tant le meuble que le poids des mots qui sont écrits dessus. Sur le tiroir central, entre les guirlandes de fleurs, deux femmes sphinx entourent un médaillon de bronze cerné de perles. Sur la structure rectiligne, tout n’est que courbes et arabesques. Jamais le dessin ne s’arrête. Le métal poli se mêle aux autres matériaux précieux que sont la nacre et la laque pour former un ensemble lisse et uniforme.
SI ELLE A CERTAINEMENT ÉTÉ DESSINÉE pour le cabinet doré de Versailles, c’est finalement à Saint-Cloud que la souveraine place cette table à pupitre, au milieu des autres pièces de son mobilier en laque qu’elle affectionne tant. Car bien que Versailles soit la demeure des rois où la tradition prime sur tout le reste, Saint-Cloud est le domaine où le raffinement de la reine peut s’exprimer. Acheté spécialement pour elle en 1785 par son royal époux, le château est son repère. Là-bas, la tête couronnée asphyxiée par le carcan trop serré de la cour laisse place à une jeune femme plus libre et insouciante.
– Néoclassicisme
UN PEU PLUS LOIN, une pièce d’ambiance laisse deviner l’atmosphère qui règnait à Saint-Cloud. Au milieu des tapisseries et meubles en marqueterie, le tissu damassé bleu ciel attire l’œil, laissant rêver à sa douceur sous les doigts et le bruissement des robes soyeuses qui ont pu le côtoyer. À la lumière, les subtils dessins de fleurs se laissent deviner. Si la soie est lissée par le temps, l’éclat de sa couleur demeure intact. Situés dans le grand cabinet de la reine, les six fauteuils présentés au Louvre (Ensemble de trois chaises et trois fauteuils en demi-cabriolet du salon de la reine Marie-Antoinette au Château de Saint-Cloud, Paris, 1787) étaient placés dans un décor blanc et or, éclairé par quatre grandes fenêtres dont la lumière se reflétait dans les miroirs.
AUTANT DE TÉMOIGNAGES de l'importance du néoclassicisme dans les arts décoratifs de l'époque. Réalisé par Alexandre Régnier, Mathieu Guérin, Nicolas-François Valois et Jean-Baptiste-Claude Séné, l’ensemble de chaises, fauteuils et bergères commandé en octobre 1787 vient imposer un style "à l’antique" qui est repris quasi-aussitôt par les artisans contemporains. Décorés de spirales, formes géométriques et fleurs à la symétrie millimétrique, ces meubles d’assise allient simplicité et légèreté dans les décors tout en maintenant le raffinement luxueux digne de la royauté. Car si les décors de lances guerrières et l’opulence d’ornements, si abondants sous Louis XIV, sont remplacés par des guirlandes de fleurs au tracé plus sobre, l’utilisation de matériaux précieux n’est pas en reste. La somptuosité demeure, mais peu à peu les années Louis XIV et rocailles laissent la place à une décoration plus douce et délicate, à l’image de son égérie.
– Intime
DANS LA VAISSELLE AUSSI, les mœurs ornementales évoluent. Dans les salles du Louvre, un ensemble en particulier attire le regard. Dans son coffre d’acajou semblable à une valise, le nécessaire de voyage de Marie-Antoinette (Nécessaire de voyage de la reine Marie-Antoinette, Paris, 1787-1788) expose la reine dans sa plus grande intimité. Au total, 94 petits objets de la vie quotidienne, tous bien rangés dans leurs écrins de bois précieux. Flacons de cristal, miroir en argent ou encore ouvre-lettre en ivoire ; dans ce coffre en bois sombre, chaque objet est un trésor de richesse et de préciosité. Malgré tout, au milieu de cette opulence intimiste se dessine le souhait d’une plus grande sobriété. Sur la vaisselle en porcelaine fine, les couleurs vives ont laissé place à un décor blanc rehaussé de délicats liserés bleus et or où les initiales M.A. entrecroisées sont désormais la marque de fabrique d’une véritable passion pour celle que le peuple appelait "l’Autrichienne". C'est donc à grand regret qu'en 1971, alors que les années fastes ne sont déjà plus qu'un souvenir, la reine envoie son nécessaire de voyage à sa soeur, duchesse de Saxe-Teschen. Elle ne les reverra ni l’un, ni l’autre.
Salles d'objets d'art du Musée du Louvre, de Louis XIV à Louis XVI
Collection permanente Musée du Louvre Aile Sully, 1er étage 75058 Paris Rens : 01 40 20 53 17 Tlj 9h - 18h sauf le mardi Nocturnes jusqu'à 21h45 le mercredi et le vendredi Voir les tarifs