L`Intermède
Robert Capa, le vagabond dans l’Histoire
Près d'un siècle après sa naissance à Budapest, la ville rend homme au photographe de guerre.

Partout dans la capitale hongroise, un jeune homme sur de grandes affiches. Endre Friedmann nous sourit en noir et blanc derrière quelques verres vides et un paquet de Chesterfield. Du 3 juillet au 11 octobre, il semble impossible d’échapper à son regard gentiment inquisiteur, qui mène au Musée Ludwig d’Art Contemporain de Budapest (LUMÚ), à l'un des plus grands événements culturels de l’année : l’exposition consacrée à Robert Capa (1913-1954), correspondant de guerre mondialement connu, mais aussi vagabond, joueur, aventurier et émigré de la Hongrie.

Robert Capa au LUMU, musée d`art contemporain de Budapest en HongrieL’exposition se fonde sur la fameuse "collection définitive" comptant 937 œuvres de la période 1932-1954, choisies par Cornell Capa et Richard Whelan, dont la troisième série a été achetée par l’Etat en 2008. C’est la première fois que le public hongrois a la possibilité de voir cette impressionnante collection. Avec la participation du Musée National, le don de l'ICP (International Center of Photography – NYC) et certains documents authentiques, le visiteur de LUMÚ peut contempler plus de mille instantanés de Capa. Les étapes importantes de son œuvre et les photographies les plus connues ("La mort du militaire", la série de ”D-day”) sont également accrochées : l’ampleur et la complexité de l’exposition sont incontestables. Sur ses photos, Capa fait vivre la grande Histoire à travers la perspective des petites gens ordinaires. Même aujourd’hui, après 60 ou 70 ans, le spectateur du XXIe siècle ne peut être que touché par ces témoignages visuels, et  par la personnalité légendaire de leur auteur. En outre, les photographies de Capa ont déjà été intériorisées dans notre culture visuelle,  et son apport dans notre vision de l'Histoire des guerres est incontestable. Durant toute sa vie, il s’est considéré comme un journaliste-photographe, pas comme un artiste. Et sa carrière est un exemple de transgression de cette frontière.

La réception de l'oeuvre de Robert Capa est à la mesure de sa mythologie, et l’exposition actuelle suit donc aussi le fil biographique. Il était l'un des plus grands errants du monde, sa curiosité passionnée l’a mené sur quatre continents, dans vinqt-trois pays. Fondateur de Magnum, il était le pionnier du genre du reportage de guerre. Robert Capa au LUMU, musée d`art contemporain de Budapest en HongrieDans les salles du LUMÚ, le public est invité à accompagner le photographe pendant ses voyages sur les champs de batailles. D’une manière assez traditionnelle, la commissaire Lívia Páldi a créé des unités chronologiques et topographiques, et une salle sur les amis et célébrités qui faisaient du Capa héroïque un personnage également médiatique.

Comme Capa était toujours au centre des événements importants, l’exposition peut se lire comme les pages d’un manuel d’histoire. Mais c’est justement cet angle qu’on néglige souvent dans le discours historique : le point de vue des simples soldats dans les fossés, des réfugiés avec les fardeaux insupportables, des enfants en larmes, des occupés-occupants, et des morts qui ne laissent que du silence. La photographie de Capa est essentiellement pénétrée par la mort, les corps déjà froids sur les clichés, et sa propre mort tragique dans un convoi en Indochine. Les "protagonistes" en noir et blanc ne vivent plus, et ainsi ses images deviennent des témoignages du "défunt vivant", fonction principale de toute photographie selon Roland Barthes.

Si l'on abandonne la chronologie des salles et que l’on se promène parmi les divers espaces, on se rend compte qu’au fond il s'agit toujours de la même guerre qui ne finit jamais. Et l'on comprend à quel point Capa aurait été heureux s’il n’avait pas eu de travail, comme il le dit dans le documentaire projeté. Sans vouloir être artiste, il a inventé l'esthétique de la guerre, avec des images aussi magnifiques qu'affreuses. Peut-être voudrait-on ne pas croire nos yeux et juste regarder…mais Capa ne nous offre pas de regard insouciant.

Agnes Iván, à Budapest
Le 12/08/09

Robert Capa au LUMU, musée d`art contemporain de Budapest en Hongrie

Robert Capa, jusqu'au 11 octobre
LUMU - Musée Ludwig d'Art Contemporain de Budapest
Palais des Arts-MÜPA, BP 1095, Komor Marcell u.1.

Mar-Dim 10h-20h tel: 0036-1-555--3444
Visites guidées gratuites: anglais à 11h, hongrois à 13h tous les jours

Bus gratuit de la place Deák au LUMÚ du 1er août au 11 octobre, départ à 10h, 11h, 12h, 14h,15h, 16h sauf le lundi.

Programmes liés: Musée Ludwig au Festival de Sziget – 12-17 août, Projet pédagogique "Viens plus près.” – 8 sept - 11 oct, Matinée familiale – 10h30-12h30 le samedi à partir du 12 septembre, Journée pour les professionnels – 14h-17h le 8 septembre, LUMI Mini – visite pour les parents et les enfants, 10h-13h le mercredi à partir du 2 septembre





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Crédits et légendes photographiques
Photo 1Femme française, mère d'un enfant issu d'un soldat allemand, accompagnée par une foule enragée, Chartres, 18 août 1944

Photo 2 Première vague des troupes américaines dans le débarquement en Normandie. 6 juin 1944. Normandie, près de Colleville-sur-Mer (Omaha Beach), Photo de  Robert Capa © International Center of Photography, New York. Collection du Musée National de la Hongrie.
Photo 3 Affiche : Ruth Orkin, 1951, Paris, Robert Capa