L`Intermède
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DES VAMPIRES, on en a vus. Des méchants, des gentils, des effrayants, des beaux, des hideux. Mais des aussi rock'n'roll que Tilda Swinton et Tom Hiddleston, peut-être pas. Jim Jarmusch, avec Only lovers left alive, présenté en compétition au Festival de Cannes, investit le film de genre sans se laisser écraser par le poids de ceux qui l'ont précédé. Sans ironie mais avec humour, l'air de rien, il croit suffisamment à ses personnages pour leur offrir le charisme qu'ils méritent. Il a fallu sept ans pour qu'il parvienne à trouver les fonds pour monter ce projet auquel Tilda Swinton et John Hurt étaient attachés depuis le début. Histoire d'amour avant tout, Only lovers left alive dépeint une brève tranche de vie de deux immortels hauts en couleurs dans le monde contemporain.


Par Claire Cornillon


Only lovers left alive, Jim Jarmusch, film, cinéma, festival de cannes, vampires, musique, Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Adam, Eve, Christopher Marlowe, John Hurt, amourIL EST LE YIN, elle est le yang. Ou l'inverse. D'un côté, Adam (Tom Hiddleston), musicien aux longs cheveux noirs et aux vêtements sombres, volontiers suicidaire comme ses héros romantiques, vivant dans une maison isolée dans la ville industrielle de Detroit. De l'autre, Eve (Tilda Swinton), aux longs cheveux presque blancs, vêtue de couleurs claires, qui parcourt, tel un fantôme, les rues nocturnes de Tanger. Elle dévore les livres, dans toutes les langues qu'elle maîtrise. Il collectionne les instruments de musique anciens. Elle est centrée, déterminée. Il est dépressif et solitaire. Ils sont immortels, ont tout vu et tout connu, et ils s'aiment pour l'éternité. Chacun vit dans sa ville mais lorsqu'ils se retrouvent, rien ne peut les séparer ; leurs corps sont toujours en contact, une tête posée sur l'épaule de l'un, une main autour de la taille de l'autre. Et lorsqu'ils se réveillent, ils ne sont pas simplement l'un à côté de l'autre mais toujours entrelacés, comme dans cette image saisissante où les jambes d'Eve sont posés sur le dos d'Adam alors qu'il tient le mollet de sa bien-aimée dans la main. Ils opposent leur érotisme tendre aux clichés d'une sexualité vampirique violente et perverse.


Rock'n'roll

LES VAMPIRES, dans Only lovers left alive, n'en perdent pas pour autant leur puissance de fascination. Bien au contraire, ils retrouvent leur capacité à créer le trouble, à étonner. Ils sont tout sauf banals,
restent mystérieux et nous échappent, inéluctablement. Ils sont d'un autre monde, même s'ils errent dans celui que nous croyons être le nôtre. Il faut dire que la simple présence d'Eve et d'Adam à l'écran est éminemment cinématographique. Jarmusch joue sur le contraste des couleurs de leurs vêtements mais aussi sur les lieux, les décors de leurs maisons tout autant que les extérieurs à Detroit et à Tanger. Aux grandes routes bordées d'immeubles typiques des périphéries des grandes villes américaines au charisme Only lovers left alive, Jim Jarmusch, film, cinéma, festival de cannes, vampires, musique, Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Adam, Eve, Christopher Marlowe, John Hurt, amourpost-industriel auquel Jarmusch est attaché s'opposent les ruelles si pittoresques de Tanger que le couple arpente à pied. Chaque image de ce duo contrasté semble dès lors exister pour devenir une pochette de disque. La musique est d'ailleurs, dans Only lovers left alive, plus qu'un accompagnement. Plus qu'un thème même du film, elle en donne le ton. Elle y est un mode de vie. On retrouve partout l'univers culturel ou plutôt contre-culturel de Jarmusch, jusque dans le nom du café de Tanger qui fait écho à celui de Brion Gysin, artiste britannique inventeur du cut-up et proche de William Burroughs.

MALGRÉ CETTE AURA TRÈS ROCK'N'ROLL qui entoure les personnages, Jarmusch n'hésite pas à jouer sur l'humour sans jamais tomber dans la parodie. Les lettres du générique donnent le ton dès les premières minutes en se détachant en rouge dans une typographie gothique qui rappelle les vieux films d'horreur. Le réalisateur de Dead Man puise dans les références sans en avoir l'air, avec une légèreté qui lui permet tous les décalages. Avouant ne pas avoir vu la vague récente des films de vampires, Jarmusch, venu à Cannes pour présenter son film, a dévoilé au cours du festival son attachement aux histoires originelles de vampires, et notamment celle de Byron et Polidori. Les références sont bien là, et pourtant le réalisateur réinvestit d'une nouvelle fraîcheur le mythe que l'on croyait dissout dans la production pléthorique contemporaine.


LE FILM EST À L'IMAGE des demeures des deux vampires, accumulations d'objets qui tirent leur beauté insolite de la manière dont elles sont habitées par une personnalité qui imprègne chacun des éléments qui les composent. Jarmusch joue sur l'iconique : ici des gants, là des lunettes noires, ailleurs un violon, mais toujours avec un léger second degré qui lui permet de toucher au mythique sans lourdeur. Lorsqu'Adam va chercher du sang dans un hôpital auprès d'un médecin à qui il l'achète, il se déguise ainsi lui-même en chirurgien, son visage à demi-caché par un masque et... par des lunettes noires. "Dr. Faust" indique son badge. Tout est dit.


Dandys

Only lovers left alive, Jim Jarmusch, film, cinéma, festival de cannes, vampires, musique, Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Adam, Eve, Christopher Marlowe, John Hurt, amourLES VAMPIRES de Jarmusch vivent de sang qu'ils consomment dans des verres à pied, comme une drogue subtile qui les transporte pendant un instant avant de les abandonner à une rechute vers le quotidien. Marginaux sophistiqués, ils choisissent de ne pas faire de vague pour coexister avec les humains dans le monde contemporain. Adam méprise les mortels, ceux qu'il appelle les zombies. Mais en apparence seulement, car il en a admiré plus d'un, dont les portraits s'affichent sur les murs de sa maison : Poe, Byron, Baudelaire, Kafka, Neil Young. Scientifiques et artistes constituent son panthéon, à lui qui consacre sa vie à la musique et à concevoir des inventions à ses heures perdues.
Adam, explique Tom Hiddleston, lui aussi venu défendre le film à Cannes aux côtés de Tilda Swinton et de John Hurt, "incarne un romantisme et une mélancolie mais continue à être mu par la curiosité envers les choses qu'il aime. Il est passionné par les particules qui vibrent, qu'elles soient des instruments à cordes ou qu'elles soient des étoiles. Il est à la fois brillant musicien et brillant ingénieur." Au-delà même de la construction du personnage, on sent bien que Jarmusch investit chaque livre, chaque vinyle qui tourne sur une platine, chaque portrait d'écrivain ou de musicien d'une portée personnelle et intime.

LES DEUX VAMPIRES de Jarmusch sont des êtres raffinés et immensément cultivés. Eve s'émerveille devant chaque espèce de plante qu'elle rencontre, en donnant au passage son nom en latin. Adam déplore les bricolages primaires des installations électriques mises en place par les zombies. De tout cela ils peuvent discuter avec leur comparse, le légendaire poète Christopher Marlowe, interprété par John Hurt, lui aussi un vampire. En écho aux hypothèses qui ont couru sur l'identité de l'auteur des oeuvres de Shakespeare, Marlowe est bien ici celui qui a écrit les pièces du plus illustre des dramaturges britanniques. Laisser une oeuvre, même si elle ne porte pas notre signature, est un thème qui irrigue l'ensemble du film. Adam dit ainsi avoir donné un adagio à Schubert.

LE FILM ENTIER repose sur cet à-côté, cette vie construite parallèlement à celle des humains, non pas dans la confrontation ni la communication, mais dans une espèce de rapport complexe d'admiration et de frustration. C'est ainsi que le film se vit à la fois comme un moment éphémère et en même temps comme une somme, un présent et un passé. Car l'ensemble du passé est présent pour ces êtres qui touchent à l'éternité. Chaque objet est porteur de son histoire et Eve peut ainsi déterminer son âge simplement en le touchant.
La bande originale du film, qui oscille entre des instruments traditionnels, de l'acoustique et un Only lovers left alive, Jim Jarmusch, film, cinéma, festival de cannes, vampires, musique, Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Adam, Eve, Christopher Marlowe, John Hurt, amourtraitement électrique, joue pour beaucoup dans cette atmosphère à la fois contemporaine et chargée du poids d'une histoire, sublime et dérisoire. Car c'est avant tout la simplicité de moments d'intimité que l'on retient du film, cette authenticité inattendue avec laquelle Eve et Adam se mettent à danser tendrement dans leur maison de Detroit.

C. C. 
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à Paris, le 29/05/13

Only Lovers Left Alive, film fantastique de Jim Jarmusch
Avec Tilda Swinton, Tom Hiddleston, John Hurt...
2h03
Date de sortie inconnue

Festival de Cannes (Sélection officielle - En compétition)

Cet article fait partie du dossier Cannes 2013

 
 


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