L`Intermède
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CHRONIQUE. "MAMIE MADONNA". Avec une extrême élégance, la presse n'a de cesse de nous rappeler son âge, au point que l'on finit par se demander si le 26 mars dernier n'était pas l'anniversaire de la chanteuse plutôt que la date de sortie de son nouvel album. Et que l'on se souvient mieux de ses 53 ans martelés dans tous les médias que du nom de son disque : MDNA.

Par Grégory Le Floc'h

madonna, mdna, disque, album, chronique, âge, critique, temps, temporalité, musique, chanteuse pop, artiste, pop music, pop, girls gone wild, give me all your lovin, superbowl, britney spearsLA SORTIE D'UN ALBUM de Madonna est toujours l'occasion de critiques de la part de la presse. Mais avec celui-ci, elles ont soudainement changé de nature. Auparavant attaquée sur le plan artistique ou pour ses frasques personnelles, elle est aujourd'hui systématiquement et avant toute chose condamnée pour son âge. Comme si les journalistes s'étaient passé le mot : pas un article sur MDNA dont les trois premières lignes ne soient consacrées à la cinquantaine bien frappée de la star. Quand 20minutes.fr titre "Madonna, la rance touch", le site de Libération légende l'une des photos sexy de l'album : "Dis Madonna, est-ce bien raisonnable de s'habiller ainsi à 53 ans ?" Le ton général de la critique est donné − condescendance et mépris. La Queen of Pop se fait tutoyer et rappeler à l'ordre comme une petite fille désobéissante qui n'a pas su rentrer à temps dans le rang. De la sénilité à la pré-adolescence, la boucle est bouclée − Madonna est aujourd'hui traitée avec la même suffisance que Justin Bieber : leur travail n'apparaît qu'à travers le filtre de l'âge qui semble autoriser les pires médisances. On précipite Madonna en maison de retraite, on la flanque d'un déambulateur tout en lui faisant gentiment la leçon : "Elle a dépassé la cinquantaine et semble être la dernière au courant ; et plutôt que de se réinventer, elle continue dans la veine du porno chic… à son âge, c'est pas très raisonnable", pouvait-on entendre en boucle sur BFM TV, le jour de la sortie de l’album. Soudainement bigote, la presse réclame pudeur et modération à celle qui depuis vingt ans n'existe qu’à travers la provocation. Pourtant, s'il existe une constance dans la carrière de cette reine de la réinvention, c'est bien son érotisme à tout-va piétinant allégrement le terrain de la vulgarité. Vouloir rhabiller Madonna, c'est en définitive la tuer.


And the beat goes on

SI LA CHANTEUSE a un jour été réellement provocante, c'est bien aujourd'hui, en affichant le corps quasi dénudé d'une femme de 53 ans. Il ne pouvait d'ailleurs en être autrement, connaissant le personnage que Madonna s'est forgé au fil des années. La femme forte, conquérante et insoumise, obsédée par la maîtrise et la perfection de son image, n'avait pas d’autre choix que d'assumer fièrement ce corps sculpté avec acharnement depuis des années, ultime objet de provocation au point d'éclipser madonna, mdna, disque, album, chronique, âge, critique, temps, temporalité, musique, chanteuse pop, artiste, pop music, pop, girls gone wild, give me all your lovin, superbowl, britney spearstotalement l’album. "Provocation dépassée" ? Au contraire. Mais celle-ci s'est complexifiée et a changé de terrain. Si, dans les années 1980, Madonna choquait sexuellement, aujourd'hui, le sexe n'est que le moyen pour bousculer un nouveau tabou, celui de l'âge et de ses représentations dans la société. Madonna n'a que faire aujourd'hui de la chose sexuelle, même si elle la chante, la mime voire la singe. Ce qui lui importe est une question bien plus existentielle : le temps. Et sa réponse est en rupture avec les attentes de la société.

ET SI L'
ÂGE DE MADONNA occupe tant la presse et semble perturber tant de journalistes, c'est bien parce qu'elle ne correspond pas à l'image traditionnelle qu'on se fait d'une quinquagénaire. Aussi s'amuse-t-elle en posant avec un T-shirt sur lequel est inscrit 35, soit son âge à l'envers, mais aussi l'âge qu'on lui donnerait volontiers sur la photo. En inversant ainsi la temporalité, Madonna crée définitivement une fissure sociale et dérange la hiérarchisation des générations sur laquelle repose sa stabilité : à l'âge de la ménopause, elle s'affiche poussette à la main et nourrisson au sein dans le clip de "Give me all your luvin". Certes, Madonna y aguiche et y danse langoureusement, mais c'est bien plus par habitude que par provocation. La véritable provocation − inédite celle-ci − réside dans le chaos générationnel et temporel qu'elle y sème. Photoshop ? Bien sûr. Chirurgie ? Evidemment. Et quand le New-York Magazine s'offre une couverture avec Madonna, il titre "The new new face", récapitulant les principales opérations de chirurgie esthétique qui ont fait, selon eux, du visage de la chanteuse un défi à la gravité et le prototype du visage du XXIe siècle. Madonna, à défaut de se réinventer musicalement, a réinventé la cinquantaine. Ses choix artistiques deviennent par la même le reflet de cette course contre le temps. Pom-pom girl enjôleuse dans le clip de "Give me all your luvin", teenager survoltée, presque agaçante, à son goûter d'anniversaire chantant sa "B-Day song" avec M.I.A, Madonna ressuscite dans MDNA une adolescence perdue qu'elle retrouve avec délices et frénésie, au risque du ridicule ou de l'agacement.


Time goes by…

IL EXISTE UNE CONTRADICTION fondamentale chez Madonna. Celle qui a rompu avec une temporalité linéaire, celle des hommes, s'évertue, malgré tout, à paraître la plus temporelle possible en s'ancrant dans un présent de plus en plus insaisissable et fugace. Cherchant pourtant à immobiliser voire à remonter le temps, elle s'approprie la tendance la plus actuelle, quitte à paraître démodée quelques mois voire quelques semaines seulement plus tard. Chanter au Superbowl avec LMFAO l'inscrit par exemple dans la parfaite tendance du début de l’année 2012, mais qu'en sera-t-il passé le mois de juillet ? En embrassant la mode la plus fuyante, n'est-elle pas condamnée, au crépuscule de ladite mode, à madonna, mdna, disque, album, chronique, âge, critique, temps, temporalité, musique, chanteuse pop, artiste, pop music, pop, girls gone wild, give me all your lovin, superbowl, britney spearsaccuser un coup de vieux des plus violents ? La question du temps est une problématique à laquelle doit faire face toute chanteuse Pop dont les trente premiers printemps sont révolus. Toutes cherchent l'hyper-actualité, toutes désirent être présentes sur les écrans et dans les esprits, sans pour autant périr avec ce présent qui, dès qu'il est, n'est plus et devient passé. C'est donc vers un présent en perpétuels mouvement et régénération, un présent né d'un incessant rebond vers l'avenir, fuyant le gouffre du passé, qu'elles s'élancent avidement.

N'EXISTANT QU'UN INSTANT INFIME, ne vivant que sur une arête menacée par les abîmes, elles en deviennent irréelles, étranges et impalpables. Aussi chaque apparition de Madonna est-elle une renaissance au présent, qu'il faudra ensuite parvenir à faire oublier pour réapparaître, quelques jours plus tard, vierge de toute souillure du temps. C'est pourquoi l'hommage ou la célébration d'une chanteuse Pop toujours en exercice équivaut à la tuer. Quand Lady GaGa clame à longueur d'interviews son admiration pour Madonna et explique combien elle l'a inspirée, elle la présente comme son aînée et procède ainsi à son enterrement en bonne et due forme. Rien de pire pour une chanteuse Pop que de rappeler son passé glorieux. On n'en retient que sa longévité et le poids des ans. Une femme sans passé, une femme occupant un perpétuel présent mouvant, bondissant et cahotant, c'est ainsi que Madonna tente de se présenter au monde depuis quelques années − depuis que le tic-tac de l'horloge est devenu une ritournelle obsédante dans ses chansons, qu'il soit chanté dans "4 minutes" ou "Get stupid" ou bien que l’on entende ses rouages mécaniques ou sa sonnerie stridente dans "Hung up" ou "Get together".



... so slowly

MAIS AVEC MADONNA, le passé ne doit pas seulement être oublié : il faut l'anéantir. C'est le sens de cette étonnante mise en scène à laquelle s'est livrée la chanteuse dans le Sticky and Sweet Tour, en inhumant les fantômes de ses vies passées − de la Material Girl en passant par la Madone créée par Jean-Paul Gautier − afin de mieux les chasser et les exorciser. Chaque danseuse représentant une période musicale révolue de sa carrière se voyait alors malmenée voire même étranglée par une Madonna survoltée chantant significativement She's not me. Même exercice de sorcellerie pour Britney Spears dans le clip de Hold it against me : alors que des dizaines d’écrans projettent les images de son passé étincelant mais bien encombrant, Britney les macule de peinture dans une tentative pathétique de ne plus voir celle qu'elle était. Parallèlement, elle se livre à un corps à corps musclé avec madonna, mdna, disque, album, chronique, âge, critique, temps, temporalité, musique, chanteuse pop, artiste, pop music, pop, girls gone wild, give me all your lovin, superbowl, britney spearsson double. Le message est clair : le souvenir radieux de son image quelques années plus tôt représente le pire ennemi d'une chanteuse Pop.

IL EXISTE POURTANT UNE DIFFÉRENCE entre Madonna et toutes ses plus jeunes condisciples. Si une chanteuse dans le monde de la Pop n'est rien d'autre qu'un produit de consommation jetable et remplaçable une fois venue la date de péremption, Madonna a quant à elle décidé de passer outre et d'inventer une nouvelle voie, que d'aucuns trouveront pathétique ou ridicule, mais indéniablement animée par une puissante énergie, peut-être celle du désespoir. Chez celle qui aujourd'hui ressemble à un androïde gigotant et mécanique naît paradoxalement une fragilité, une faille, une émotion. Madonna est presque humaine.

G. Le F.
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à Paris, le
06/04/2012

MDNA
Nouvel album de Madonna
Sorti le 26 mars 2012
Interscope Records


 




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