L`Intermède
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CE N'EST PAS UN HASARD si tous les longs métrages de Joe Wright sont inspirés de grands romans. Le cinéaste britannique y trouve la matière pour tisser les portraits de personnages féminins aux accents mélodramatiques, à l'instar d'Elizabeth, dans son adaptation d'Orgueil et Préjugés de Jane Austen, ou de Briony Tallis dans Atonement, tiré du roman homonyme d'Ian McEwan. C'est à un nouveau monstre sacré de l'histoire littéraire qu'il s'attaque avec son nouveau film : rien moins qu'Anna Karénine de Léon Tolstoï, à qui son actrice fétiche, Keira Knightley, prête ses traits. Le réalisateur embrasse avec audace ce classique de la littérature russe pour exhiber en toute conscience la virtuosité esthétique qui est la sienne, non pas un formalisme mais une sophistication extrême qui rend au récit sa véritable nature de légende tragique.

Par Claire Cornillon

COMME LE CAROSSE D'OR DE RENOIR, ressorti récemment sur les écrans, Anna Karenine s'ouvre sur le rideau rouge qui tombe sur la scène avant qu'il ne se lève au début de la pièce. Les deux films mêlent savamment le théâtre et le cinéma, transformant régulièrement la perception du spectateur par un anna, karenine, anna karenine, keira, knightley, joe, wright, film, analyse, critique, image, photo, photos, affiche, poster, biographie, tolstoi, roman, adaptation, film, jude, law, leon, russiechangement d'angle ou dans l'ellipse du montage. Les décors sont changés devant la caméra, des musiciens n'hésitent pas à se mêler aux acteurs, et les personnages esquissent des pas de danse (sur une chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui) au beau milieu de l'action. Les maquettes de train deviennent des locomotives fumantes filant dans la brume de l'hiver russe, et les mouvements mécaniques des employés de bureaux créent un rythme digne d'un orchestre de percussions.

ANNA KARÉNINE A LA GRANDEUR des opéras et la virtuosité millimétré des ballets. Les personnages y évoluent dans un monde factice et frénétique, où le manège de la comédie sociale tient le devant de la scène. Anna est mariée à l'austère Karénine (Jude Law), dont elle a eu un fils. Mais lorsque son chemin croise celui du Comte Vronski (Aaron Taylor-Johnson), sa vie bascule et sombre dans une passion impossible. Ce trio fatal entre le mari, la femme et l'amant n'est bien sûr pas de bon ton dans la société russe de 1874. Si l'artificialité revendiquée dénonce l'hypocrise et la représentation sociale de la bonne société dans laquelle se déroule l'histoire, si elle insère les personnages dans une mécanique tragique implacable, elle joue aussi du rapport à la fiction et à la légende.



Tréfonds de l'âme

ANNA KARÉNINE EST DE CES GRANDS PERSONNAGES dont on connait le destin avant même d'avoir lu une ligne de l'oeuvre qui en est l'écrin originel. Elle n'appartient pas seulement au roman de Tolstoï, mais au personnel de l'imaginaire collectif, au théâtre, à l'opéra, à la peinture. Et au cinéma. La virtuosité esthétique de Joe Wright n'est pas nouvelle mais elle atteint dans ce film un sommet qui l'empêche dès anna, karenine, anna karenine, keira, knightley, joe, wright, film, analyse, critique, image, photo, photos, affiche, poster, biographie, tolstoi, roman, adaptation, film, jude, law, leon, russielors de sombrer dans la naïveté d'une relecture de l'histoire légendaire qui se vivrait comme si elle était la première. Nous connaissons la fin de l'histoire. Ce sont alors les détails des expressions des visages, les geste infimes qui retiennent notre attention, les regards qui trahissent les tréfonds de l'âme. Puisque nous savons ce qui va se passer, ce sont les rouages qui vont nous intéresser, la manière dont chaque élément conduit inéluctablement à l'issue finale.

L'HISTOIRE ELLE-MÊME est troublée par ce traitement de l'espace et du temps pour mieux se concentrer sur le trio tragique qui en est l'objet, et leur pendant de lumière, Levine et Kitty : le couple qui apprend à s'aimer et se découvre un amour paisible et heureux. Il suffit d'un changement de costumes et d'accessoires pour qu'un bureau empli d'employés alignés se transforme en restaurant. Le chemin entre deux espaces s'y trouve nié par le plan-séquence qui suit le personnage et le fait revenir à son point de départ, ou par le montage. Les portes s'ouvrent et se ferment constamment, comme pour rappeler que l'on n'a précisément pas bougé. Les coulisses du théâtre servent même de lieu intermédiaire, de lieu de passage qui évite de sortir du théâtre de cette société étouffante. Les décors abîmés et la peinture effritée rappelle continuellement la décrépitude de cette société qui persiste dans son immobilité. Dès lors, le statut de ce que l'on voit n'est plus tant la question que sa dimension symbolique. Dans ces rouages en perpétuel mouvement, c'est la précision du montage qui construit la continuité. Comme dans le tour d'un illusionniste, on ne sait jamais réellement ce qui s'est passé mais l'on suit le mouvement général de l'action.

anna, karenine, anna karenine, keira, knightley, joe, wright, film, analyse, critique, image, photo, photos, affiche, poster, biographie, tolstoi, roman, adaptation, film, jude, law, leon, russieLA PORTE PEUT CEPENDANT s'ouvrir parfois sur l'extérieur et ses grands paysages de neige, à la fois grandioses et mélancoliques. Et rien d'étonnant à ce que l'amour simple et heureux s'épanouisse dans cette nature éloignée de la folie normatrice de la ville. Car si Anna et les deux hommes de sa vie tentent de lutter pour trouver un équilibre, c'est parce que la société ne peut accepter qu'ils sombrent dans le drame. Tout est question d'honneur. Anna essaie pourtant d'assumer le regard des autres, mais elle évolue au milieu d'un bal dont il faut exécuter la danse sans s'écarter d'un pas. "Elle n'a pas enfreint les lois, remarque un personnage, mais elle a enfreint les règles, ce qui est pire."



Héroïne tragique

JOE WRIGHT S'ÉTAIT DÉJÀ OFFERT une scène de bal remarquable dans Orgueil et Préjugés. Il réitère ici l'expérience en poussant la sophistication à l'extrême. Quand chaque personnage est figé dans son rôle social et sa chorégraphie, tous les regards convergent vers cette passion qui s'affiche avec audace au milieu de la foule, bouleverse les conventions et ose exister comme s'ils n'étaient pas là. Plus que les mots, ce sont les corps qui racontent cette histoire, les gestes et les regards qui campent les personnages. Anna est ainsi, au début du film, cette grande dame que l'on habille pendant qu'elle lit une lettre, esquissant des gestes de la main comme une ballerine. Et lorsque l'amour doit se dire, c'est par le biais de lettres formées par des cubes d'enfants et surtout par le regard qui le reconnaît pour ce qu'il est.

ANNA EST UNE HÉROÏNE TRAGIQUE, presque racinienne. Comme Phèdre, elle a osé aimer. Mais dès l'instant où elle croise le regard de Vronski, son destin est scellé par le bruit du train qui retentit. C'est aussi cela que la sophistication virtuose de la mise en scène infuse à l'histoire : cette mécanique implacable du tragique. L'anodin se trouve chargé du poids de la douleur, et le désespoir de la frustration et de l'isolement détruisent les personnages. Pas seulement Anna, mais les deux hommes de sa vie, qui se anna, karenine, anna karenine, keira, knightley, joe, wright, film, analyse, critique, image, photo, photos, affiche, poster, biographie, tolstoi, roman, adaptation, film, jude, law, leon, russieconsument eux aussi dans cette impossibilité. Anna est ce centre autour duquel tourne dès lors l'ensemble du manège : tour à tour adorée, admirée puis haïe et méprisée. Elle dérange, fascine, déplaît, par sa façon d'aller jusqu'au bout : figée dans ses principes au début et saisir par la suite jusqu'aux confins de la passion. Le mystère qu'elle représente est le centre de gravité du film et son ambiguité demeure jusqu'à la fin. Insaisissable.

C. C. 
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à Paris, le 4 décembre 2012

Anna Karénine, de Joe Wright
Drame britannique
Avec Keira Knightley, Jude Law, Aaron Taylor-Johnson...
2h11
Sortie le 5 décembre 2012


 



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