
CE DOIT ÊTRE UN COMBLE, mais aucun des grands cinéastes ne semble aimer ses grands films. "Je ne l'aime pas particulièrement, mais je veux bien en parler", déclare ainsi Billy Wilder à propos d'Avanti!. "C'était à l’origine une pièce de Samuel Taylor, dont j'avais déjà adapté Sabrina (…) Je n'en ai rien utilisé, si ce n'est la situation de base : un Américain et une Anglaise se retrouvent en Italie pour récupérer les corps de leurs parents, le père du garçon et la mère de la fille, tués dans un accident d'automobile." Wendell Ambruster Junior, incarné par Jack Lemmon, le "Monsieur Tout-le-monde" de Wilder, est cet Américain sur le déclin qui a hérité de la fortune et de la société de son père et qui à présent hérite de son cadavre, sans beaucoup plus d'émotion. L'homme d'affaires se rend immédiatement en Italie pour "récupérer le corps". Pressé, il enchaîne en quelques rapides séquences l'avion, le train, le bateau, puis la voiture, pour finalement arriver dans le lieu central du film : l'hôtel Excelsior, tout en couleur et en fioritures, à des kilomètres de la grisaille américaine. Deux lieux aux rythmes que tout oppose : l'Italie, avec ses retards administratifs, ses pauses-déjeuner et ses tranquilles habitants, oblige le grincheux Wendell à différer son départ de deux jours. Deux jours durant lesquels il va changer du tout au tout.
traditionnel dîner du soir, accompagnés par l'orchestre à la terrasse de l'hôtel, jusqu'à leurs mémorables bains du matin, dans le vaste océan bordant la baie. Wendell, peu à peu, oublie sa femme acariâtre laissée dans la grise Baltimore pour l'extravagante Pamela Piggott.
ainsi y avoir deux théâtres au sein d'Avanti! : le bon théâtre, celui de l'Italie, de comédiens qui se savent cabotins au possible, qui serait ici opposé au mauvais théâtre, celui de l'Amérique, figuré par le Wendell du début du film, ou par le dénommé J.J. Blodget, l'empressé représentant du ministère, venu rechercher Ambruster junior "de toute urgence".
situations vouées au cliché en petits coups de génies. Un exemple : il fait très beau, le soleil se lève, les deux amoureux nagent nus dans l'eau, et vont tous deux s’allonger sur un rocher. Mais voilà, premier détail : Jack Lemmon a gardé ses chaussettes noires, qui lui remontent jusqu'aux genoux. Second détail : Bruno, l'ancien mafioso expulsé des Etats-Unis, sort son polaroïd et se met à prendre les deux nudistes en photos, afin de faire chanter une fois de plus le richissime Wendell. Et enfin, pour couronner le tout, à la vue de la jeune femme nue sur le rocher, une bande de marins obsédés sexuels mettent les voiles sur eux en hurlant de joie. Trois trajectoires viennent ainsi contrecarrer l'histoire d’amour, ou plutôt gâcher le cliché. Toute la structure du film fonctionne exactement de la même manière : l'intrigue principale semble sans cesse s'envelopper d'histoires parallèles, qui cachent à Wendell son propre changement. Loin des lignes droites de Baltimore, Wilder emprunte les virages décousus de la petite Italie. Il en résulte un film au charme étrange, "avec une odeur de l'Italie où il a été tourné", comme le dit Wilder lui-même, où l'amour et la mort se mêlent au milieu des plaisanteries, jusqu'à ce que Wendell et Pamela puissent enfin mettre leurs parents en terre, côte à côte. Ultime moment d'émotion, et ultime gag : il faut changer le cercueil du défunt père de place, pour le mettre à droite de feu Madame Piggott. "C'est crucial, explique Wendell junior. C'était sa bonne oreille."


