L`Intermède
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LORSQU'IL ARRIVE dans un lycée de banlieue new-yorkaise pour quelques semaines, Henry Barthes n'y voit qu'une mission de remplacement comme une autre, un passage en coup de vent pendant lequel il appliquera ses méthodes éprouvées par l'expérience et qu'il traversera avec le calme froid qui le caractérise. C'est du moins ce qu'il croit. Avec Detachment, Tony Kaye renoue avec la veine politique et noire de son culte American History X. Le film a obtenu le prix de la critique internationale au dernier Festival de Deauville.

Par Claire Cornillon

S'IL NE PARVIENT à vivre dans le présent et refuse de construire un avenir, c'est d'abord parce que le passé hante Henry Barthes (Adrien Brody). Des bribes de souvenirs contaminent la narration, dans un éternel recommencement de la scène traumatique initiale : la mère d'Henry s'est suicidée lorsqu'il avait sept ans. Et puis il y a son grand-père, sénile, qui lui rappelle ce passé et qui détient peut-être des réponses qu'il ne veut pas donner, à l'image de ce cahier dont les feuilles restent désespérément blanches. A l'inverse, Henry, lui, écrit pour exorciser cette souffrance qui le consume et qu'il cache derrière un flegme impassible. Seul, renfermé, il arbore un masque pour ne pas s'exposer. Ce qui, pour un homme dont le métier est la transmission aux autres, créé une contradiction insoluble. 



Un "paysage d'émotions"

C'EST LA COMPLEXITÉ DE CE PERSONNAGE que Tony Kaye scrute, patiemment, dans Detachment. Davantage qu'une histoire, comme il le dit lui-même, son long métrage se veut être un "paysage d'émotions", une plongée minutieuse derrière cette façade stoïque. Il en dévoile les rouages, en expose les implications et les conséquences. Kaye alterne des séquences filmées au plus près des personnages, façon documentaire, avec des images métaphoriques ou des scènes particulièrement dramatisées Detachment, Tony Kaye, Adrien Brody, festival de Deauville, éducation, enseignement, prof remplaçant, american history x, cinéma, filmdans leur traitement visuel et musical. Le réalisateur, également documentariste et musicien, trace une route qui ne ressemble à aucune autre, syncopant Detachment d'extraits d'un entretien avec Adrien Brody en noir et blanc, qui ponctuent comme un métronome le film d'un témoignage énigmatique.

LORS DE LA PROJECTION OFFICIELLE du long métrage au festival de Deauville, Tony Kaye l'a présenté sans discours, préférant interpréter une chanson de sa composition, guitare à la main, pour évoquer l'état d'esprit du personnage au début du film : "I just don't care". C'est précisément parce qu'il a pour matériau de travail l'émotion brute que le réalisateur s'intéresse autant à la musique aujourd'hui ; c'est aussi pour cette raison qu'il met au défi ses acteurs. Car à l'instar d'Edward Norton et d'Edward Furlong dans American History X, dont les rôles de skinheads avaient marqué les esprits, Adrien Brody ne s'épargne rien. Kaye n'aime pas dire aux acteurs ce qu'ils doivent faire ; il veut du "vrai" et se confronte à eux : "Lorsque je tourne, la caméra, la lentille, c'est mon visage."

DÈS LORS, l'interview en noir et blanc et les souvenirs qui ponctuent  le film de façon répétitive ne sont que quelques-uns des procédés filmiques qui sondent l'expression intime du personnage. Le tableau noir de la classe devient bientôt le support qui matérialise, par des dessins, les pensées de Henry. Ailleurs, l'imagination se projette sur l'image, comme lorsque la salle de classe vide se retrouve dévastée, les meubles renversés, les feuilles volant de toutes parts. Et les excès en tout genre prennent le dessus, les personnages hurlant, jetant des objets, pleurant couchés contre le sol. Une outrance qui, loin de casser l'ambition de vérité, la sublime, comme à travers un prisme qui serait précisément celui du cinéma. A l'image du travail artistique du personnage de Meredith dans le film, l'art n'est plus, ici,
qu'une médiation pour manifester l'émotion afin de la communiquer à autrui. Partant, Detachment Detachment, Tony Kaye, Adrien Brody, festival de Deauville, éducation, enseignement, prof remplaçant, american history x, cinéma, filmfait le constat du sentiment d'impuissance de toute une communauté - professeurs, psychologues, proviseurs - qui lutte contre des forces qui semblent la dépasser : ils doivent transformer leur enseignement en art.


"Non-personne"

"J'AIME LES GRANDES QUESTIONS MORALES ET SOCIALES", reconnaît le cinéaste. Posant celle du racisme dans American History X, il soulève cette fois celle de la responsabilité individuelle et collective. Que peut faire et, surtout, que doit faire un professeur, aujourd'hui, qui doit gérer dans l'espace de la classe le reflet de la violence qui gangrène la société ? Le scénariste, Carl Lund, lui-même enseignant, énonce les termes du problème dans toute leur complexité, sans dicter de réponses. A la manière des soignants de l'hôpital qu'Henry accuse de délaisser son grand-père mais qu'on devine trop peu nombreux pour assurer toutes les tâches qui leur incombent, les personnels éducatifs sont dépassés par l'ampleur des problèmes qu'ils rencontrent. Parce que chaque élève est un individu qui a une histoire, une vie, des souffrances spécifiques, et qu'ils ne peuvent pas jouer le rôle de parent pour chacun d'eux. L'amertume prend le pas : "Tous les enseignants ont, à un moment, cru qu'ils pouvaient changer les choses, constate Barthes. Un jour, on se réveille et on réalise qu'on a échoué."

detachment, tony kaye, adrian brody, film, cinéma, deauville, festival, critique, analyse, interview, tony, kaye, portrait, professeurC'EST UNE UTOPIE, car l'enjeu n'est pas là. Si l'enseignant croit être une "non-personne", sa présence même au sein de la classe  est signifiante pour les élèves. Il se construit comme sujet dont chaque parole ou action, ou même l'absence d'action, peut avoir une conséquence. La plupart du temps minime, mais pas toujours. Peut-être ne peut-il pas changer le cours du monde, mais il ne peut pas en tout cas nier sa responsabilité et son impact. Et c'est en apprenant à s'inscrire à nouveau dans le réel et dans le présent,
et donc à retrouver un pouvoir d'action, quel qu'il soit, qu'Henry Barthes parvient dans un même élan à saisir l'ampleur de la tâche.

C. C.
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à Deauville, le 26/09/2011


Detachment
drame américain de Tony Kaye
Avec Adrien Brody, Marcia Gay Harden, James Caan...
1h40
Sortie le 1er février 2012

Dossier spécial : Deauville 2011

 



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