L`Intermède
Série TV : Borgia de Tom Fontana, diffusée sur Canal+ en octobre 2011.

IL NE SERA PAS NÉCESSAIRE de vivre de l'autre côté de l'Atlantique pour découvrir Borgia, la nouvelle création de Tom Fontana, puisque c'est Canal+ qui l'a co-produite, avec Atlantique et Lagardère, et la diffusera à la mi-octobre en France. Un événement qu'annonçait le Festival de Deauville lors de son premier week-end, dans le cadre de Deauville Saison 2 (voir notre résumé de la première saison), au cours duquel Tom Fontana a offert aux festivaliers une master class et la projection en avant première des premiers épisodes de la série. Rodrigo, Cesare et Lucrezia Borgia y incarnent une anti-Trinité, trash et iconoclaste, qui évolue dans un univers corrompu et violent au coeur d'un récit centré non pas réellement sur l'Histoire mais sur une famille, trouble et complexe.

Par Claire Cornillon

borgia, tom fontana, série, canal plus, italie, XVe siècle, vatican, rodrigo borgia, john doman, ceseare brogia, lucrezia borgia, télévisionCHEZ TOM FONTANA, on ne prend pas de pincettes, le sang coule et les vices abondent. Les âmes sensibles n'ont qu'à passer leur chemin. Déjà, Oz (1997-2003, HBO), série carcérale pionnière qui a élevé Tom Fontana au panthéon de la télévision câblée, fascinait par ses épisodes coup de poing, son travail de sape hyper-violent qui plongeait au coeur des contradictions de la société américaine. Augustus Hill, prisonnier noir en fauteuil roulant, y servait de choeur à la manière antique, racontant les déboires de ses compagnons de cellule au sein d'un cube de plexiglas, lieu à la fois séparé comme cette prison d'un nouveau genre appelée Emerald City, et en même temps reflet du monde qui l'entoure, rappelant des données chiffrées et des lois réelles.


Rodrigo

QUEL LIEN avec l'Italie du XVe siècle ? La nature humaine, pourrait-on répondre un peu facilement. Car les luttes de pouvoir et l'hypocrisie d'aujourd'hui n'ont rien à envier aux intrigues d'hier : il s'agit avant tout d'installer son emprise, de dominer, et qu'importe si les préceptes de la religion que l'on représente sont tous bafoués. Le cardinal Borgia a sept enfants ? Pas si grave, puisque le Pape lui-même a reconnu son batard. Et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, dans une accumulation presque absurde de documents falsifiés, de messages transmis en secret, de mensonges, de trahisons et de complots. Après tout, l'enjeu n'est pas des moindres : devenir Pape. "L'histoire de l'Eglise catholique romaine stimule l'imagination, justifie Tom Fontana. Ses chroniques re
gorgent d'anecdotes captivantes sur la vie, les souffrances, les extases et la mort d'innombrables saints, martyrs et vierges... Autant de récits épiques borgia, tom fontana, série, canal plus, italie, XVe siècle, vatican, rodrigo borgia, john doman, ceseare borgia, lucrezia borgia, télévisiondébordant de sexe et de violence, d'hommes et de femmes honnêtes ayant subi décapitations, tentatives de viol, infanticides, massacres, tortures (pardon, je devrais dire "techniques d'interrogation améliorées"), humiliations, séparations familiales, mort sur les bûchers et, à l'instar du charpentier de Galilée pour lequel leur sang a coulé, crucifixions."

RETOUR EN 1492, donc, au moment où Innocent VIII se meurt. A cette époque de transition entre le Moyen-Âge et la Renaissance, l'Europe connaît une ébullition artistique considérable. Mais Rome est délabrée et la ville est le théâtre de luttes intestines pour le pouvoir. La puissance de l'Eglise et du Vatican est considérable, et la position de Pape assure à celui qui l'obtient une richesse immense pour sa famille. Les familles les plus influentes de Rome - les Medicis, les Colonna et autres Orsini - se disputent le pouvoir. Parmi elles, l'étrangère, la famille Borgia qui, bien qu'elle vive à Rome depuis plusieurs dizaines d'années, reste désignée comme la catalane, tente de conserver ce qu'elle a acquis et surtout d'étendre sa domination. Rodrigo (John Doman), cardinal et Vice-Chancelier du Vatican, oeuvre pour renforcer son influence et, une fois le Pape décédé, pour prendre sa place, devenant ainsi le Pape Alexandre VI.



Cesare

DANS CETTE HISTOIRE DE FAMILLE, les deux fils illégitimes se disputent les faveurs du père. Juan, l'aîné, a sa préférence et Cesare (Mark Ryder) essaie désespérément de remonter dans son estime mais il est déchiré entre son désir de devenir un guerrier, un roi, d'agir sur le monde pour laisser sa trace, et la volonté de son père qu'il devienne membre du clergé. "C'est ta destinée et ma volonté", lui dit Rodrigo. Cesare incarne la contradiction : son fanatisme religieux n'est qu'une autre facette de la violence féroce qui l'habite. La série s'ouvre d'ailleurs sur un Christ sur la croix devant lequel Cesare se flagelle, le dos en
sang. A chaque crime qu'il commet, allant toujours plus loin dans l'abjection, il se complait ensuite dans la culpabilité et l'auto-flagellation. "Je suis un imposteur, comme tous les autres", confesse-t-il. Lui qui souhaiterait devenir un héros épique s'enferme dans la complexité de ses pulsions contradictoires et marque sa propre chair de ses doutes et ses élans extrêmes dans une forme d'intériorisation outrée.

SI TOM FONTANA travaille autant la psychologie des personnes, c'est parce qu' "il n'y a pas réellement d'idées ou de situations dramatiques nouvelles et donc, ce qu'il nous reste, c'est de se concentrer sur les personnages et sur les thèmes". Et il ajoute : "Je commence tous mes projets en réfléchissant aux personnages et à trois éléments en particulier : d'abord, la tête - comment le personnage pense-t-
il ? Quel type d'éducation a-t-il ? - , puis le coeur  - En quoi  ce personnage croit -il ?  Qu'est-ce qui le fait rire ou pleurer ? - et enfin, un peu plus bas - avec qui le borgia, tom fontana, série, canal plus, italie, XVe siècle, vatican, rodrigo borgia, john doman, ceseare brogia, lucrezia borgia, télévisionpersonnage veut-il coucher ?". Ce sont ces dynamiques-là qui animent les épisodes de la série, bien plus que les faits ou les situations. A l'époque où Tom Fontana écrit Oz, le directeur de HBO lui indique : "Peu m'importe que les personnages ne soient pas sympathiques, du moment qu'ils sont intéressants." Cette phrase, d'apparence anodine, détonne pourtant dans la production d'alors, et ouvre une nouvelle ère dans l'appréhension des séries télévisées.

BORGIA PERS
ÉVÈRE DANS CETTE VOIE tout en puisant dans des modèles anciens que revendique son auteur. Si Augustus Hill sortait directement des théatres antiques, d'autres personnages de séries de Tom Fontana héritent des tragédies shakespeariennes. "Il est toujours bon de piller Shakespeare", dit cet ancien dramaturge avec le sourire. Il s'inquiète d'ailleurs qu'aujourd'hui, la nouvelle génération de scénaristes n'ait pour seule référence que la télévision, quand les auteurs de la sienne venaient souvent de la littérature ou du théâtre qui sont, pour lui, des mines d'inspiration, comme l'Irlandais Ryan O'Reilly dans Oz qui n'est autre que l'écho du Iago d'Othello. Pour Borgia, Tom Fontana avoue s'être davantage tourné vers le dramaturge Anton Tcheckhov, parce que "ses personnages sont tout aussi passionnés mais d'une manière beaucoup plus intime". C'est ainsi que se révèle, malgré l'extravagance des violences, la complexité de Cesare.


Lucrezia

"
IL Y A SUFFISAMMENT de télévision "prozac"  et je souhaite que les gens qui regardent mes séries soient amenés à réagir, ajoute-t-il. La chose la plus dangereuse pour un scénariste de télévision, c'est de s'installer dans le confort et de ne plus prendre de risques." De fait, Borgia ne se range pas dans une case dès la première image. Le souci de réalisme se mêle à la dramatisation des personnages et à une fictionnalisation exacerbée qui finalement, par retour, plonge dans les contradictions d'une époque qui voit des catholiques faire appel à des sorcières pour leur prédire l'avenir ou les guérir des maladies et où la frontière entre la foi et la superstition n'est pas si aisée à déterminer. Lucrezia (Isolda Dychauk), dans les premiers épisodes de la série, se situe à cette frontière, elle qui, emportée par une fièvre, se prend pour une sainte du passé dont la tête est conservée comme relique.

 
LUCREZIA EST SANS DOUTE le personnage le plus romanesque de cette trinité. Celle qui veut, au départ, croire en l'amour et que l'on utilise pourtant comme un objet de négociation ; celle qui fait le lien entre les autres membres de la famille, sans pour autant jamais pouvoir imposer sa volonté. Elle est manipulée par son père, par sa belle-mère, par son fiancé, et tous jouent sur ses sentiments et sa spontanéité quand eux ne vivent que par calcul et par intérêt. "Je suis un Borgia, dit Rodrigo, je ne laisse rien au hasard."

borgia, tom fontana, série, canal plus, italie, XVe siècle, vatican, rodrigo borgia, john doman, ceseare brogia, lucrezia borgia, télévisionCE QUI SE DESSINE, dès lors, est un monde d'images, dans tous les sens du terme. Le soin apporté aux décors et aux costumes nourrit une esthétique picturale aux jeux de lumière subtils qui contraste avec la violence de l'intrigue, comme l'apparat des personnages ne fait qu'habiller les passions et leur avidité. Aux grandes scènes de foule répondent les passages intimes à la lueur des bougies, telles les toiles de George de La Tour. Pour Tom Fontana, qui se promène sur la scène durant la masterclass, tel un professeur passionné, il s'agit avant tout de raconter une histoire. Et cette dramatisation de la série par l'image est peut-être une manière de prendre en compte la dimension légendaire des personnages, dans une vision colorée, excessive et flamboyante d'une époque pleine de bruit et de fureur.  "Je suis entouré de flammes", dit le Pape en mourant dans une ultime vision.
 
C.C.
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à Deauville, le 17/09/2011

Borgia, de Tom Fontana
12 épisodes de 52 minutes
Avec John Doman, Mark Ryder, Stanley Weber...
Diffusion en Octobre 2011 sur Canal+


Voir notre dossier spécial Deauville
 



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Crédits : Canal+