DEPUIS SA NAISSANCE EN 2010, l’association InC France-Mexique s’engage à promouvoir la culture mexicaine sous toutes ses formes, notamment par la mise en place de projets collaboratifs aptes à valoriser aussi bien le patrimoine traditionnel que les créations d'artistes et artisans émergeants. C'est dans le cadre de ses activités que Viva Mexico a vu le jour. Festival de cinéma et lieu de rencontre entre le public et les principaux acteurs de la scène contemporaine, cet évènement – qui s'est déroulé cette année à Paris du 8 au 13 octobre – a été l’occasion de découvrir en avant-première un nombre considérables de travaux qui ont su se distinguer tant par l'intérêt porté à la composition que par les thèmes abordés. Souvent liés à l'actualité d’un pays qui renvoie, par synecdoque, à l'actualité tout court, ces derniers couvrent, entre autres, la question de l'immigration clandestine, le rapport de l'individu au corps en tant que "corps social" dans un contexte déchiré par les conflits identitaires, l'acceptation de soi et le problème de l'intégration au sein d'une communauté qui ne nous correspond pas toujours. Dans cette perspective, deux films ont retenu notre attention : Workers de José Luis Valle et Halley de Sebastián Hofmann. –
Par Guido Furci et Marion Duvernois
NÉ AU SALVADOR puis naturalisé mexicain, José Luis Valle a écrit des livres pours enfants avant de passer derrière la caméra. À son actif, quelques courts-métrages, un documentaire (El Milagro del Papa, 2009) et sa première œuvre de fiction, Workers. Tourné avec peu de moyens, ce film raconte l’histoire d’un couple qui se sépare suite à la mort de leur enfant. Rafael est balayeur dans une fabrique d’ampoules électriques et Lidia assiste à domicile une femme richissime qui lègue, à sa mort, l’ensemble de sa fortune à son chien. Leurs vies ne sont pas destinées à se recroiser, sinon au moyen d’un montage qui opère des rapprochements implicites et fait dialoguer leurs quotidiens, comme s’il s’agissait non seulement de mettre en évidence les analogies, mais aussi d'en mêler les trajectoires pour qu’elles ne fassent qu’une. Ainsi, entrecoupée par des visions surgies du passé, l’histoire avance, mais dans l’espoir de revenir en arrière, à cette époque où la seule frontière perçue comme telle était le rempart, tangible, séparant le Mexique des États-Unis. Accompagnées d’une bande son minimaliste, les images se succèdent de manière suffisamment elliptique pour que le spectateur se demande à quel point la chronologie des évènements est véritablement respectée. Tout dans ce film se joue en effet sur le plan temporel, et ce qui importe est moins de connaître les faits que les circonstances dans lesquelles ils ont eu lieu.
– Détournement du réel
C'EST PROBABLEMENT POUR CETTE RAISON que la mise en scène confie au public le soin de déchiffrer ses intentions. Les décors dans lesquels les personnages évoluent portent la trace de leurs blessures secrètes et semblent refléter, de manière complémentaire, leurs états d’âmes. Il en va de même des tâches journalières que Rafael et Lidia accomplissent et qui consistent essentiellement à nettoyer et faire le tri chez les autres, pour ne plus être obligés de le faire dans leurs propres existences. Dès lors, la répétition des gestes contribue elle aussi à une meilleure lisibilité de la trame : la routine est sans doute rassurante, mais elle limite le champ d’action et contraint tout le monde à réinterpréter sans cesse une seule et même chorégraphie.
SI CELLE-CI EST PRÉVISIBLE, elle est néanmoins ponctuée d’accents ironiques : une façon de nous rappeler que, malgré la souffrance, une issue reste possible, ne serait-ce qu’avec un brin de fantaisie. Peu importent les modalités par lesquelles elle fait surface, cette sorte de détournement du réel s’avère indispensable et pour s’évader l’espace d’un instant, et pour prendre une revanche – aussi infime soit-elle – sur son propre destin. Au fond, s’il est vrai que nous ne pouvons pas le changer pour de vrai, nous pouvons au moins modifier la perception que l’on en a, autrement dit les catégories dont on se sert pour tenter de le définir. Sur ce point, le réalisateur Sebastián Hofmann a également son mot à dire.
À BIEN Y REGARDER, son long métrage Halley pousse à l’extrême l’analyse que l’on peut produire de ce qui arrive autour de nous et, plus particulièrement, de ce qui nous arrive, y compris lorsque cela dépasse les limites de l’entendement. Dans ce film de genre qui évoque tantôt l’univers de Cronenberg tantôt celui de Kafka – à la croisée entre La mouche et La métamorphose –, il est question d’un homme dont le corps est en train de pourrir, alors que son esprit demeure vif, lucide, terriblement conscient. Alberto travaille comme gardien de nuit dans une salle de musculation ouverte 24 heures sur 24. Entouré de corps sculptés et brillants de sueur, il lutte désespérément contre la décomposition de sa propre chair, atteinte d’une maladie dont on ignore la teneur. Malgré tous ses efforts pour continuer à se montrer en public – dissimulant sa condition de mort-vivant sous du maquillage, du parfum et autres pansements de fortune –, il arrive difficilement à surmonter son mal et à entretenir des relations sociales.
SEULE EXCEPTION, SILVIA, la gérante du gymnase, femme solitaire et désemparée, assez haute en couleurs pour prendre la puanteur de cadavre qui émane d’Alberto pour l’odeur de quelqu’un qui est en train de vieillir avant l’heure. Certes, ses efforts pour bâtir une amitié quand rien ne peut plus être pensé dans la durée ne sauveront personne ; et pourtant, c’est peut-être grâce à cet élan de solidarité qu’Alberto connaîtra quelques moments de joie ou, du moins, de soulagement, avant de disparaître pour toujours dans un paysage arctique. Difficile de savoir si sa fuite est la sublimation d’un désir qui reste à l’état de fantasme ou alors la tentative ultime de se conserver dans un lieu où la température est aussi basse que celle d’une chambre froide. Une chose est certaine : c’est face à une mer parsemée d’icebergs qu’il semble trouver cet apaisement des sens qu’il n’aurait probablement jamais connu – même s’il avait été en parfaite santé – dans un monde sans doute civilisé mais trop peu soucieux de ceux qui l’habitent.
– Méditation sur le récit
SI LE RÉALISATEUR TIENT à souligner qu’il n’a pas essayé d’aborder des questions explicitement sociologiques, Halley n’en est cependant pas dépourvu. L’esthétique faussement documentaire n’en est pas la raison principale ; le jeu d’acteur peut-être en partie, mais plus encore le choix des comédiens dont les visages évoquent une multitude d’histoires qui, parce qu’elles ne trouvent pas de place au sein de la diégèse, chargent le hors-champ d’une polysémie manifeste. Trop introspective pour développer ce genre de propos, la narration privilégie en revanche l’expression des émotions, leur faculté de survivre au sujet, leur capacité de marquer la réalité environnante au point d’y laisser leur empreinte.
C'EST LÀ UN AUTRE ASPECT COMMUN avec Workers, où l’objectif tend à s’attarder sur les choses inanimées afin de mieux en mettre en évidence les détails et la portée symbolique. José Luis Valle préfère construire des tableaux où la fixité de la caméra nous invite à parcourir les prises de vue comme autant de toiles accrochées dans un musée ; Sebastián Hofmann quant à lui aime filmer de près, se servir de gros plans et, en l’occurrence, du ralenti, dans le but de capter ce que l’œil ne serait pas en mesure de percevoir.
Workers, une comédie dramatique mexicaine de José Luis Valle
Avec : Jesus Padilla, Susana Salazar, Barbara Perrin Rivemar...
Durée : 2h02
Sorti le 30 octobre 2013
Halley, un film d'horreur mexicain de Sebastián Hofmann
Avec : Alberto Trujillo, Hugo Albores, Luly Trueba...
Durée : 1h24
Date de sortie inconnue