L`Intermède
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UN COUP DE FUSIL et tout bascule. Alors qu'il chasse le cerf, John Moon tue accidentellement une jeune fille qui marchait dans la forêt. Paniqué, il cache le corps et, en suivant les traces de sa victime, trouve de l'argent. Criblé de dettes, il décide de piocher dans la réserve. Mais quelqu'un semble savoir ce qu'il a fait, car bientôt John reçoit des menaces... A single shot, réalisé par David M. Rosenthal, met en scène Sam Rockwell en braconnier désespéré
dans un "film noir rural", comme le qualifie le réalisateur, à l'ambiance oppressante. Le personnage y mène une quête entre la rédemption et le désespoir, dans une spirale tragique, sans issue. Présenté au festival de Deauville cette année, A single shot sortira bientôt sur les écrans français. 

Par Claire Cornillon

UNE FORÊT DANS LA NUIT. Non pas la beauté de la nature mais l'isolement et l'obscurité, la nature sauvage que l'homme traverse seulement sans pouvoir y règner. A l'aube, John Moon part avec son chien et son fusil chasser une proie qu'il n'a pas le droit d'abattre et qui lui échappe. C'est dans cette forêt qu'il tire par mégarde sur une jeune femme qu'il tue sur le coup. Dans A single shot, il n'y a jamais de grands espaces, jamais de nature sublime, jamais de perspective. Les plans sont rapprochés, à l'image de l'espace étriqué qu'offre la vie des personnages. La caméra est toujours au plus près de Sam Rockwell qui est de tous les plans. En un sens, elle le poursuit elle aussi, ne lui laissant aucun espace et aucun répit. Sa faute première le poursuivra dans une descente aux enfers qui s'ouvre par la mort et ne peut que se terminer avec elle.
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Film noir

POURTANT, CE N'EST PAS DU PARADIS que cet homme a été chassé. David M. Rosenthal signe ici un film particulièrement sombre où les personnages, plus paumés les uns que les autres, évoluent dans une atmosphère lourde. Bien sûr, l'intrigue de thriller, fondée sur le mystère autour de l'argent et de l'identité de la jeune femme et sur les menaces anonymes que reçoit John Moon, tient en haleine. Mais le film est aussi un portrait d'une Amérique miséreuse qui se débat dans un quotidien sordide. John Moon est un de ceux qui vivent à la marge de la société. Chassé de sa propre ferme, il rêve d'en retrouver une un jour. En attendant, il traîne sa vie de semaines en semaines. Il survit difficilement dans son mobil-home et braconne pour s'en sortir alors que son ex-femme ne veut plus entendre parler de lui. On est en plein dans l'Amérique white trash des diners glauques et des hommes à casquette et en treillis militaires. Sexe, drogues et armes à feu complètent un tableau des plus pathétiques. Les trafics et la violence ne sont plus cantonnés à la jungle urbaine : les bas-fonds sont ruraux dans ces films noir d'un nouveau genre auxquels appartient A single shot.

LE LONG MÉTRAGE DE DAVID M. ROSENTHAL ne raconte pas l'itinéraire d'un héros qui représenterait une position morale mais, au contraire, comme dans les films noirs, celui d'un homme complexe et ambigu, perdu, qui porte le poids de la culpabilité. John Moon n'a aucun système ou institution sur lesquels s'appuyer : il n'a pas de famille, et n'envisage pas un instant de faire appel à la police. Dans cet imaginaire américain de la wilderness, de la nature sauvage, l'individu est livré à lui-même, loin de tout cadre protecteur. Il est confronté à ses propres choix, à ses erreurs, à ses démons aussi, dans une quête qui pourrait amener à l'éveil mais qui peut tout aussi bien l'engloutir dans l'obscurité. John Moon est seul pour affronter ce qui lui est arrivé. Il fait face aux conséquences mais la quête de rédemption n'est pas aisée. Le corps de la jeune femme, trace indélébile de son crime, ne disparaît jamais du film. Il n'est pas enterré ; il demeure. Il ressurgit même lorsque John rentre chez lui et trouve le cadavre dans son lit. Et lorsqu'il voudra l'enterrer, le corps résistera et tentera de l'emporter avec lui sous terre.

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Culpabilité

PARTANT, LE DRAME est bien sûr celui de la victime qui s'était enfuie de la maison de son père adoptif parce qu'il buvait et était violent, mais il est aussi celui de l'homme qui l'a abattu. Personnage rude, John Moon est quelque part, aussi, attachant. Incarnant cet homme de peu de mots, Sam Rockwell livre ici une performance physique où la présence, la démarche et les gestes comptent tout autant que le dialogue. John Moon ne se laisse pas impressionner et n'hésite pas, lorsqu'un intrus vient abattre son chien, à sortir immédiatement à découvert et à hurler qu'il est ici, les bras grand ouverts. Il ne se met pas à l'abri mais au contraire avance vers le danger.

L'EPREUVE QU'IL DOIT AFFRONTER n'est pourtant pas seulement de cet ordre, et sa force et sa dureté ne suffisent pas à l'en épargner. Le harcèlement qu'il subit de la part de cet inconnu qui sait qu'il a tué la jeune femme n'est qu'une extériorisation de son propre conflit intérieur. On retrouve encore ici Jason Isaacs, méchant psychopathe de Shérif Jackson, qui joue à nouveau un personnage inquiétant, rôdant constamment dans la ville. On ne sait au départ rien de lui, si ce n'est qu'il semble être partout et qu'il n'est pas là par hasard. Très vite, sa présence menaçante laisse supposer qu'il sait ce que John Moon a fait et qu'il en a après lui. Le suivant comme une ombre, il est à la fois l'écho de son crime et la menace des conséquences à venir de cet acte. Face à ce méchant de thriller, presque stéréotypé, John Moon semble d'autant plus être un type normal, pris dans un engrenage qui le dépasse.
Sa vie, déjà particulièrement difficile, tourne au véritable cauchemar, tourbillon de violence, à partir du moment où il commet l'irréparable.
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PERSONNAGE ÉNIGMATIQUE, John Moon existe en premier lieu à l'écran uniquement par son crime, alors que l'on ne découvre son visage qu'à la fin de la première séquence du film. Il est d'abord cet acte auquel il ne va plus pouvoir désormais échapper. Cette vie qu'il a volée par erreur déborde sur la sienne. Ainsi, les cauchemars du protagoniste, dans lesquels apparaît la jeune fille qu'il a tuée, sont introduits dans le film sans rupture entre le rêve et la réalité, comme si l'un et l'autre se contaminaient, laissant à l'angoisse le soin de s'infilter partout. Le film entier est contenu dans ce coup de feu isolé qui lui donne son titre. Dès lors, il n'y a plus d'avant et il n'y a plus d'après possible. Seulement cette balle perdue qui ouvre sur un abyme.
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C. C. 
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à Deauville, septembre 2013

A single shot, drame de David M. Rosenthal
Avec Sam Rockwell, Kelly Reilly, Jason Isaacs…
Durée : 1h56
Date de sortie inconnue

Compétition officielle, Festival de Deauville 2013


Cet article fait partie du dossier Deauville 2013
 
 




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