MALCOM ET SOFIA taguent les murs de New York. Leur dernière oeuvre a été recouverte par les tracés d'un groupe rival. Pour se faire enfin remarquer et frapper un grand coup, ils voudraient bomber la pomme des Mets pour y voir leur nom quand elle apparaîtra lors du prochain match. Mais pour cela, il leur faut trouver 500 dollars, afin d'entrer dans le stade la nuit. S'ensuivent deux journées de combines et une succession de déconfitures pour parvenir à trouver cette fameuse somme d'argent. Gimme The Loot, d'Adam Leon, était présenté au dernier festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. – Par Claire Cornillon
TOUT REPOSE SUR CE DUO aussi attachant que dynamique. Lui (Ty Hickson), éternel looser, qui traîne en chaussettes dans les rues de New York après avoir oublié ses chaussures chez une fille. Elle (Tashiana Washington), constamment révoltée, orgueilleuse et volontaire. Amis de toujours, duo inséparable, partenaires de crimes, ils feraient un couple parfait. Ce que tout le monde leur suggère d'ailleurs. Mais rien n'y fait, ils restent amis. La caméra d'Adam Leon, qui réalise ici son premier long métrage, capte tous les petits moments qui reflètent leur relation avec subtilité : une mimique, une ébauche de geste, une expression du visage. La finesse de l'écriture des situations et des dialogues et le naturel du jeu des deux acteurs insufflent de toute évidence de la vie à ce qui pourrait être une simple comédie sans prétention. Les aventures se succèdent, des plus inattendues aux plus loufoques. Et la clef de leur réussite possible finit par être incarnée par une clef, précisément, attachée au coup d'une jeune fille, et qui ouvre une boîte à bijoux, un véritable trésor pour ce prince pas si charmant. Alors même que l'on entre dans cet univers comme si l'on y habitait soi-même, cette dimension de conte apporte une légèreté qui transfigure le parcours des deux amis.
– Insouciance
GIMME THE LOOT DÉJOUE LES ATTENTES, tout comme le dernier film de Ken Loach (lire notre article), en adoptant une forme de légèreté et d'optimisme alors même que les personnages évoluent dans un milieu particulièrement difficile. C'est l'insouciance de la jeunesse et la joie sur lesquelles se concentrent le metteur en scène. Et les combines, quand bien même elles impliquent du marché noir (pour récupérer des bombes de peintures) ou des trafics en tous genres, ne sont jamais traitées avec une lourdeur tragique, ce qui n'empêche pas de constater la rudesse de l'univers dans lequel évoluent les deux compères. Ils ne se laissent pas abattre et fondent leur force sur l'humour et l'amitié. Leur odyssée dans les rues du Bronx les amènent à croiser une galerie de personnages aux individualités tout aussi fortes que la leur, et au langage également savoureux, une source inépuisable de scènes comiques. On se débrouille comme on peut dans ce Bronx où les jeunes se baignent sur les toits dans les réservoirs d'eau - la piscine du pauvre, selon leurs termes. La bande originale du film, particulièrement rétro, contribue nettement à cette atmosphère avec ses classiques qui déjouent l'attente du hip hop habituel des films urbains. Il y a quelque chose d'atemporel dans Gimme the loot, pour lequel on sent bien que le réalisateur a puisé dans le répertoire cinématographique américain qu'il mélange habilement avec l'univers le plus contemporain. On retrouve notamment dans ce film la fraîcheur du cinéma des années 1970 qui, soit dans son versant engagé et social, soit dans sa veine plus légère, sort des studios, descend dans la rue et filme des gens ordinaires. Adam Leon revendique d'ailleurs comme source d'inspiration les comédies interprétées par Sidney Poitier et Bill Cosby à cette époque.
APRÈS TOUT, C'EST LE RÊVE qui porte l'énergie des personnages, celui de faire quelque chose de leur vie. Pas un rêve grandiose, pas un rêve de richesse et de célébrité, mais simplement celui d'avoir son moment à soi, sa victoire. Les deux héros cherchent à trouver leur place, voltigeant au cours de ces journées-marathon entre des groupes qui ne les intègrent que provisoirement. Ils n'appartiennent à aucun d'entre eux. Et la jolie blonde, si amicale lorsqu'elle était seule, redevient la jeune fille bourgeoise distante lorsque ses amies sont là. Un univers qui n'est pas celui de Malcolm. Mais il n'est pas non plus chez lui avec le groupe des dealers qui ne lui font pas confiance. Il s'agit donc d'apposer sa marque et d'essayer d'exister en tant qu'individu dans ce réseau d'intrigues. C'est aussi le cas de Sofia, dont la tâche est encore compliquée par le fait qu'elle est une jeune femme. Et si elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, sa colère perpétuelle découle peut-être de la frustration à laquelle elle est confrontée : de fait, il n'est pas évident d'être une femme dans cet univers, et sa relation amicale rassurante avec Malcolm reste pour elle un pilier sur laquelle elle peut s'appuyer.
– New York
POUR APPOSER SA MARQUE, il faudrait accomplir cet acte mythique que personne n'a réalisé auparavant. Adam Leon construit son histoire sur une forme de mythologie new-yorkaise - notamment cette fameuse pomme des Mets - qu'il combine avec la dimension anecdotique du récit. L'enjeu est anodin, et pourtant le projet devient une quête. Et c'est la raison pour laquelle les personnages parlent à tous et à chacun. Gimme the loot s'ancre dans une réalité spécifique très fortement marquée : New York, la ville du réalisateur, celle de tous les mythes et de tous les fantasmes, cinématographiques ou non, mais qui est filmée ici avec un naturel déroutant, comme une véritable ville, comme un lieu de vie, comme un espace où se croise des quotidiens. Le Bronx et pas Manhattan, précisément. Le film, comme l'a souligné Adam Leon, devient une succession de moments fugitifs tournés dans les rues du Bronx, parfois de manière sauvage. "Capturer New York était une des clefs du projet", déclare-t-il dans sa note d'intention. Or c'est par là-même que la ville retrouve paradoxalement son potentiel mythique : dans les rues, dans ce qui fait sa singularité, dans sa culture, ses habitants, ses petits détails que seuls les new-yorkais connaissent et dont il nous semble possible l'espace d'un film de saisir quelques étincelles.