
l'homme doit compter. Les monstres, dans l'univers archétypal de Spielberg, viennent d'en-bas. Et ce n'est pas un hasard si les tripodes angoissants des extra-terrestres de La Guerre des Mondes ne viennent pas du ciel, comme dans le roman de H.G. Wells, mais émergent des entrailles de la terre. A l'inverse, E.T ou le vaisseau musical et lumineux de Rencontres du Troisième type dessinent un lien amical entre l'homme et le ciel.
niveaux de l'intrigue nourrit cette dimension en intégrant à cette lutte pour la survie un contexte social réaliste qui analyse les dynamiques politiques de cette petite communauté vivant du tourisme, un arrière-plan familial représenté notamment par les liens entre le père et son fils - un thème fondamental du cinéma de Spielberg -, mais aussi une dimension historique portée par le fameux récit de Quint (Robert Shaw) à propos de la seconde guerre mondiale.
PAR CETTE MULTIPLICITÉ DES APPROCHES, l'intrigue passe du statut d'anecdote à celui de grand récit. Car tout autant que la présence physique du monstre, c'est bien aussi sa dimension imaginaire qui compte. C'est l'idée du requin plus que le requin lui-même qui fait d'abord son chemin dans le film. "On ne sait pas combien de temps vivent les requins", dit le héros, Brody (Roy Scheider), en se renseignant sur ces créatures. Le requin se mue ainsi en mystère, en créature inconnue, peut-être mythologique, qui vient menacer de briser le vernis du quotidien. D'autant que l'animal n'est pas un requin mais le requin : un requin blanc, immense monstre des mers qui ne devrait pas se trouver là. Dans un premier temps, seule son image existe : les seules représentations du requin sont d'abord dans les livres, et c'est ce qu'on raconte de lui qui porte sa présence, le discours mystérieux du pêcheur Quint ou celui scientifique, mais tout aussi mystérieux - le nom de l'espèce en latin - de Matt Hooper (Richard Dreyfuss). Il est même de l'ordre de la trace, celle de ses dents par exemple sur la coque du bateau. Le monstre qui relève du présent et du passé, de la présence et de l'absence.
prendre lui-même au sérieux, canalisant les réactions du spectateur entre des moments de tension et des séquences de détente, entre des scènes d'intimité et de calme et d'autres de panique et de mouvement. Il joue sur l'imaginaire du spectateur, sur les peurs ancestrales, tout en travaillant une tradition cinématographique. La mise en scène de Spielberg est organique, souvent millimétrée mais discrète, virtuose mais au service de l'histoire. Dans Les Dents de la Mer, la puissance qui rôde est tout autant le requin que la caméra qui, cette fois, trouve souvent une place centrale, visible, comme pour nous emmener de manière plus forte dans ce cinéma de divertissement qui est bien plus que cela.


