LOIN DU TUMULTE et du vacarme de Tokyo, dans la banlieue paisible de Mitaka, au détour d'une allée du parc national Inokashira surgit un bâtiment étrange. Courbes et arrondis, couleurs douces et pastel : d'emblée, l'architecture du musée Ghibli invite au rêve et à l'imagination. Conçu et dessiné par le réalisateur phare Hayao Miyazaki à l'aide d'un story-board, le musée du studio d'animation japonais a vu le jour en 2001. Visite guidée d'une caverne aux trésors.
FONDÉ EN 1985 par Hayao Miyazaki et Isao Takahata à la suite du retentissant Nausicää de la Vallée du Vent (1984), le studio Ghibli enchaîne rapidement les longs-métrages à succès, dans un paysage audiovisuel japonais tourné essentiellement vers les téléfilms et les anime (adaptation de mangas pour la télévision). Les valeurs prônées par le studio deviennent alors sa force : écologie, respect du travail humain, et qualité devant le duo infernal quantité-rentabilité. Lorsque Disney, distributeur des films Ghibli à l'étranger, émet l'idée de revoir le montage de Princesse Mononoke (1997) pour le rendre plus commercialisable, un des producteurs renvoie un katana (sabre japonais) avec le simple message : "No cuts" ("pas de scènes coupées").
– Morceaux de pellicule
FORT DE SES 700 000 VISITEURS par an, le musée Ghibli est en perpétuelle évolution, sur l'impulsion de Miyazaki qui, du haut de ses 71 ans, continue à s'investir personnellement dans les projets du musée et du studio. "Cette année, Miyazaki a participé à l'exposition temporaire The Gift of Illustrations [NDLR : malheureusement inaccessible pour tout non-japonophone], s'impliquant dans l'idée originale et dans l'organisation ainsi que la mise en place du projet", indique Chihiro Tsukue, chargée des relations presse du musée. En plus d'un investissement conséquent dans une nouvelle production des studios Ghibli.
AU GRÉ DES FILMS réalisés par le studio, un véritable univers a pris forme, unique et inimitable. Porteurs de thèmes universels, ils fascinent par le mélange harmonieux de poésie, d'humour et de profondeur que le studio réussit à créer. En parcourant les salles du musée, les moindres détails du décor sont autant d'allusions à cet univers, des vitraux à l'effigie des personnages aux robinets façon steampunk. Rien n'est laissé au hasard : le ticket d'entrée est imprimé sur un vrai morceau de pellicule 35mm issue de l'un des films du studio qui donne droit à une entrée au Saturn Theater pour visionner un court-métrage exclusif et inédit ; un robot soldat sorti tout droit du Château dans le ciel (1986) veille sur le musée du haut de ses cinq mètres ; une réplique à taille quasi réelle du Chat-Bus de Mon Voisin Totoro (1988) à bord duquel les enfants peuvent monter et jouer, entourés de Noiraudes, ferait presque regretter d’être adulte.
– Zootrope & stroboscope
PASSÉE LA MAGIE de retrouver les personnages et les décors en "chair et en os", une vraie réflexion sur le travail que de tels films d'animation implique se dessine. Car ce n'est pas un "musée du passé", comme l'explique Hayao Miyazaki lui-même sur le site officiel qui décrit les grands principes du musée : "Les expositions ne seront pas uniquement à l'avantage des personnes déjà fans du Studio Ghibli. Elles ne seront pas une série d'artwork des anciens films Ghibli. Elles seront le lieu où les visiteurs pourront aimer juste en regardant, pourront comprendre l'esprit des artistes et pourront se faire une nouvelle idée de l'animation."
PRÉLUDES AU TRAVAIL d'animateur en tant que tel, plusieurs techniques et principes d'animation sont ainsi décryptés, à l'instar du phénakistiscope, ancien procédé par lequel un carton tourne à une certaine vitesse créant l'illusion d'animation, ou encore du zootrope en trois dimensions dédié à Mon Voisin Totoro, où des figurines sur plateau tournant s'animent à la lumière d'un stroboscope, retraçant en quelque sorte l'histoire de l'animation. La dernière étape est représentée par une cabine de projection où la pellicule de quatre courts-métrages tourne en boucle. De petits écrans sont placés à plusieurs endroits de la pellicule avec loupe et lumière, ce qui permet de suivre le film à plusieurs endroits.
– Crayons & pinceaux
À L'ÉTAGE, le processus de création commence. Croquis, esquisses, livres, notes, schémas et crayons usés jusqu'à la gomme matérialisent la phase de pré-production au sein d'un petit atelier, le tout dans un joyeux désordre, comme si l'artiste dessinait encore à son bureau quelques minutes auparavant. L'abondance d'objets en tout genre marque l'importance et la diversité des sources d'inspiration nécessaires au travail d'animateur. Puis crayons et gommes laissent place aux pinceaux et peintures. Dédiée à la phase de production pure, les murs de la pièce suivante regorgent de celluloïds originaux peints à la main, représentant décors, personnages et accessoires issus des longs-métrages du studio, qui seront superposés pour donner de la profondeur puis filmés et montés pour former le long-métrage final.
À L'IMAGE DU SOUFFLE NOUVEAU qu'incarne le studio Ghibli depuis plusieurs années dans l'univers de l'animation, le musée ne répond à aucun des critères habituels d'une institution du genre. À commencer par son plan : ici, pas de "sens de la visite". Ni direction, ni parcours tracé. Chaque visiteur devient le personnage principal de sa propre histoire, de son film, et construit son itinéraire au gré de ses émotions et de ses envies. Passerelles, couloirs, portes dérobées et escaliers en colimaçon deviennent alors les instruments de cette création. "Allons jusqu'à nous égarer ensemble", comme l'encourage la brochure remise à l’accueil, oubliant ainsi les codes et les règles établies pour retrouver, le temps d'une visite, l'insouciance et la curiosité d'un enfant.
Ghibli Museum
1-1-83 Simorenjaku, Mitaka-shi
Tokyo 181-0013
Tlj (sf mar) 10h-18h
Tarif adulte : 1 000¥
Tarif enfant : 700¥, 400¥, 100¥
Attention : L’entrée du Musée Ghibli est strictement réservée aux possesseurs de billets achetés à l’avance, spécifiant une date et une heure précises. En savoir plus.