L`Intermède
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TOUT COMMENCE comme n'importe quelle journée dans un fast food de l'Ohio. Les employés se préparent à servir, la manager rappelle les dernières consignes. Et la machine est lancée. Mais lorsqu'un policier appelle pour annoncer qu'une des caissières a volé de l'argent dans le sac d'une cliente, une autre machine, infernale, se met en route. Inspiré d'un fait réel,
 Compliance, le second film de Craig Zobel, met à nu des mécanismes, sans chercher nécessairement à les expliquer, pour interroger notre rapport à l'autorité ainsi que la question du libre arbitre et de la responsabilité.

Par Claire Cornillon
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SI L'ON FILME en très gros plans un ustensile, un meuble, ou un steak haché, soudain le quotidien et le banal se voient transfigurés. La texture de ces objets devient presque abstraite quand elle s'étale sur le grand écran, et les sensations qui y sont associés se modifient. Le plan de travail banal d'un fast food se transforme en un monde inquiétant, presque digne des films d'horreur. C'est ainsi que Craig Zobel ouvre le bal, filmant au plus près le décor de l'ensemble du film. Quand le banal et le quotidien virent-ils au cauchemar ? Que se cache-t-il sous le vernis du jeu social auquel chacun se livre tous les jours ? De quoi chacun de nous est-il capable ?


Inspiré de faits réels

À CHAQUE FOIS, la scène se répète. Au cours des décennies 1990-2000, aux Etats-Unis, un homme appelle régulièrement des managers, généralement de fast food, en se faisant passer pour un officier de police. Il accuse un ou une employée de vol, et propose une alternative au responsable : soit il doit conduire au poste l'employé qui sera mis en prison, soit il peut s'occuper lui-même de le fouiller pour retrouver l'argent volé. Certains managers n'entrent pas dans ce jeu, mais 70 d'entre eux vont coopérer, obéissant au policier fictif, appliquant ses ordres même les plus ridicules, humiliant l'employé, pratiquant une fouille au corps, et allant jusqu'à l'agresser sexuellement. Pendant dix ans, l'homme sévit ainsi dans différents états, avant d'être enfin identifié en 2004. C'est cette mécanique que Craig Zobel filme.


CE FAIT DIVERS, le réalisateur en prend connaissance en se documentant sur l'expérience controversée menée dans les années 1960 par le psychologue Stanley Milgram sur la question de l'obéissance de l'individu face à une figure d'autorité, ainsi que sur d'autres expériences du même type comme celle de Stanford menée par Philip Zimbardo en 1971 autour de la situation carcérale. Le film naît alors de son interrogation personnelle sur cette question de l'obéissance. Comment expliquer de tels événements ? De fait, tout au long compliance, craig zobel, craig, zobel, film, critique, analyse, interview, photo, photos, photographie, photographies, stanley, milgram, psychologie, autorité, obéissance, festival, deauville, foodde Compliance, pour qui ne connaît pas les événements réels qui se sont produits, la question est de savoir où se trouve la limite. Et, par projection, jusqu'où serions-nous capables d'aller nous-même ?


Huis clos

NON SEULEMENT LE FILM se déroule dans des espaces clos et avec un nombre restreint de personnages, mais il est pour une grande part composé de scènes d'échanges téléphoniques. De toute évidence, un défi en termes de mise en scène mais aussi de performances d'acteur. Pour obtenir davantage de réalisme et de réactivité des comédiens, Craig Zobel décide que Pat Healy, qui interprète le faux policier, sera réellement au téléphone avec ses interlocuteurs. "Je savais que je voulais tourner les dialogues au téléphone en direct. Cela devait être l'acteur au bout du fil et non pas un assistant," explique-t-il, lors d'un entretien qu'il nous a accordé à l'occasion du festival. En situant le décor de son appartement juste au-dessus du décor du fast food, il s'octroie la possibilité de tourner les deux faces d'une même scène en même temps. "Je me suis rendu compte très vite que ce qui était important, c'était de filmer les personnages en train d'écouter et de prendre des décisions, le jeu des acteurs entre les phrases de dialogue, ajoute-t-il. Et c'est devenu particulièrement important au montage." Les personnages de Compliance sont d'ailleurs filmés presque toujours en gros plan, accentuant ainsi l'effet de huis clos et ne laissant aucune place pour une quelconque respiration. Cette mise en scène anxiogène abandonne les personnages à leur propre choix : il n'existe que leur visage dans le cadre, que cet individu là à ce moment précis et la décision qu'il prend.

LE FILM INSTAURE aussi des effets de contrastes binaires entre le fast food et la maison du faux policier, mais aussi entre la salle du restaurant et l'arrière-boutique. Si le lieutenant Daniels se prépare tranquillement un sandwich chez lui tandis qu'il donne ses ordres au téléphone, les clients, eux, mangent leur hamburgers, compliance, craig zobel, craig, zobel, film, critique, analyse, interview, photo, photos, photographie, photographies, stanley, milgram, psychologie, autorité, obéissance, festival, deauville, foodinconscients de ce qui est en train de se jouer à quelques mètres. Le contraste entre ces espaces amène à regarder autrement ce qui paraîtrait banal : soudain, les clients du fast food dévorant leurs frites deviennent obscènes.

Responsabilité

LE RÉALISATEUR NE CHERCHE PAS à fournir de réponses aux interrogations que soulève ce fait divers. Il met en scène des personnages qui obéissent, comme l'ont fait bien des gens dans la réalité, mais aussi quelques cas de personnes qui se méfient et refusent d'accèder aux demandes du faux policier. Qu'est ce qui fait alors que certains ont réellement cru qu'un policier pouvait demander cela ? Certes, le faux lieutenant Daniels, pour sa part, applique des techniques qui sont celles des vrais policiers, envoyant des signaux contradictoires à ses interlocuteurs pour mieux les manipuler. Alternant agressivité et ton rassurant, il s'assure une maîtrise de l'individu en installant son autorité et en infantilisant l'autre. "Cette idée m'est venue en partie en regardant l'émission de télé-réalité Cops, explique le Craig Zobel. Les policiers font cela dans l'émission, ils affirment leur autorité et vous font peur. Et ensuite, ils vous rassurent en vous disant que tout ira bien tant que vous leur faites confiance. Mais je me suis aussi inspiré des méthodes de vente." Certes, quelques éléments de la psychologie des personnages indiquent des personnalités plutôt soumises à l'autorité - Sandra doit demander à son père l'autorisation de se fiancer, son petit ami lui demande l'autorisation de sortir avec ses amis. Mais cela n'explique pas tout.


COMPLIANCE INVITE EN PARTICULIER à interroger le rapport à l'autorité dans la société. Car si ces personnes obéissent, c'est bien parce que l'homme qu'elles ont au bout du fil dit représenter la loi et incarne donc l'autorité, qu'aucun d'eux ne questionnent jamais. Ils font ce qu'on leur dit de faire, sans se positionner de manière personnelle en termes éthiques et moraux. "J'ai fait ce que tout le monde aurait fait dans cette situation", déclare Sandra, la manager. C'est bien là la question. De fait, Compliance incite notamment à compliance, craig zobel, craig, zobel, film, critique, analyse, interview, photo, photos, photographie, photographies, stanley, milgram, psychologie, autorité, obéissance, festival, deauville, foodréfléchir à l'infantilisation constante des individus : "Il devient de plus en plus facile de ne pas prendre de décisions si l'on ne veut pas en prendre", souligne le réalisateur. Le conformisme, inscrit dans tous les gestes de la vie quotidienne, fait écho à ce constat d'une société où l'on fournit à chacun des recommandations, des usages, des normes sur ce qu'il faut manger, ce qu'il faut acheter, ce qu'il faut penser. Dans ce contexte, le fast food, paradis de l'uniformisation, n'est pas choisi par hasard : il est un espace extrêmement hiérarchisé et organisé, où chacun est à sa place et doit jouer son rôle.
 
C. C. 
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à Deauville, Septembre 2012

Compliance
Thriller américain de Craig Zobel
Avec Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy...
1h30
Sortie le 26 septembre 2012


Cet article fait partie du dossier Deauville 2012

 



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