TATOUAGES DE ROCKER et veste en cuir d'un côté, lunettes d'écrivain timide de l'autre, deux nouvelles métamorphoses qui s'ajoutent à la galerie de portraits que l'acteur de 28 ans possède déjà à son actif. Paul Dano, c'est bien sûr l’adolescent mutique de Little Miss Sunshine et l'inquiétant révérend de There will be blood, mais c'est surtout une étoile montante du cinéma américain, dans son versant indépendant autant que dans les grosses productions hollywoodiennes. Le Festival de Deauville 2012, au cours duquel il présentait deux films - For Ellen de So Yong Kim, dans lequel il interprète un musicien immature en plein divorce qui rencontre sa petite fille, et Elle s'appelle Ruby, de Jonathan Dayton et Valerie Faris, écrit par sa compagne Zoe Kazan, où il incarne un écrivain qui, tel Pygmalion, donne naissance par son écriture à une femme qui devient sa petite amie -, lui a décerné d'ailleurs le prix Nouvel Hollywood, destiné à des stars prometteuses et qui avait été remis à Ryan Gosling l'année dernière. L'occasion de rencontrer ce comédien réfléchi et passionné et d'en savoir un peu plus sur son approche du métier. – Par Claire Cornillon
DANS FOR ELLEN, IL EST DE TOUS LES PLANS. Filmé le plus souvent de très près, presque toujours seul dans le cadre, Paul Dano porte le film sur ses épaules. On le découvre, dans ce rôle de Joby Taylor, rocker égoïste, la nuit, conduisant sa voiture, allumant une cigarette et chantant en playback. Cheveux longs, vernis à ongle noir, veste en cuir, bijoux, tatouages, Joby est un personnage en représentation, excessif, égocentré. Et pourtant, c'est dans cette théâtralité même que réside son honnêteté, une forme de sincérité, qui déjoue son côté antipathique. Cette complexité, c'est ce qui plaît à Paul Dano et qui lui fait choisir les rôles qu'il va incarner : "Plus les personnages sont en conflit, se cherchent, plus cela m'intéresse, en tant qu'acteur mais aussi en tant que personne."
– Curiosité
DANS LITTLE MISS SUNSHINE, There will be blood, ou même lorsqu'il apparaît dans Fast Food Nation de Richard Linklater, il impose son ambiguité, comme si chaque personnage n'était jamais d'un bloc, mais se révèlait par couches successives. De ces rôles, Paul Dano parle d'ailleurs comme de personnes : "On veut avoir l'impression d'avoir une vraie personne avec soi, qui vit et respire. Et quand on connait suffisamment cette personne, et qu'elle devient une partie de soi, on peut être instinctif." Entre préparation et instinct, il compare son travail à celui d'un musicien de jazz qui connaît la structure qui va fonder son jeu mais improvise en montant sur la scène.
COMME CALVIN, SON PERSONNAGE dans Elle s'appelle Ruby, Paul Dano a commencé sa carrière très tôt. Il débute à Broadway à l'âge de 12 ans et tourne son premier film cinq ans plus tard : Long Island Expressway de Michaeal Cuesta. Depuis, il interprète des rôles très variés dans des films indépendants mais aussi dans des blockbusters telles que Night and Day de James Mangold ou Cowboys et Envahisseurs de Jon Favreau . "Tant qu'il y a quelque chose d'excitant sur la plan créatif", tous les films l'intéressent. Bientôt un Paul Dano héros de film d'action ? A l'entendre, pourquoi pas, puisqu'il n'est fermé à aucun genre. Réfléchi, analysant sa pratique et son approche du métier et des films, d'une voix posée et basse, il démontre aussi une énergie, une curiosité et une audace très nettes. Cet acteur, grand et mince, aux traits singuliers, dont le charisme se mêle étrangement à une réelle discrétion, semble avant tout vouloir apprendre et évoluer dans son métier. "Devenir un meilleur acteur", une phrase qu'il répète tout au long de l'entretien. Pour cela, il souhaite sortir des cadres et "aller là où il n'est pas à l'aise". De fait, les deux films qu'il présentait à Deauville représentent chacun un défi, qu'il relève avec brio.
– Physicalité
LUI QUE L'ON A CONNU dans des rôles parfois sombres prouve ainsi, dans Elle s'appelle Ruby, son aptitude au genre comique. Acteur chez qui l'aspect physique de la performance compte pour beaucoup, dont la posture, la démarche et la gestuelle contribuent grandement à la construction de son personnage, il va ici plus loin encore et pratique un jeu légèrement exagéré qui rappelle l'univers du dessin animé ou du cinéma muet : une gestuelle, des expressions du visage, et des gags visuels proches de l'esthétique du slapstick. Il s'avoue d'ailleurs très influencé par le cinéma muet, "notamment par Buster Keaton", précise-t-il, heureux de se voir associé à ce cinéma qu'il admire.
CALVIN, 29 ANS, qui n'a rien écrit depuis son premier roman, un best-seller publié dix ans plus tôt, est soudain pris d'un élan inspiré et écrit sur la femme de ses rêves, Ruby. "C'est comme si j'écrivais pour être avec elle", avoue-t-il à son psychiatre, joué par Elliott Gould. Mais des objets commencent à apparaître chez lui : un soutien-gorge, une petite culotte. Comme si une femme vivait dans sa maison. Un jour, Ruby apparaît dans sa cuisine. Cette première apparition est l'occasion pour Paul Dano d'utiliser "le décor comme un terrain de jeu", selon ses propres termes, dans une séquence tout à fait burlesque où Calvin part en courant dans les escaliers, sort la tête discrètement pour observer la jeune femme, va se cacher sous son bureau. On ne s'étonnera pas d'apprendre que le comédien admire Playtime de Jacques Tati. Grand amateur de cinéma français, il cite aussi parmi ses cinéastes préférés Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard ou Louis Malle.
– Ambiguité
DANS FOR ELLEN, DRAME INTIMISTE, il explore un personnage dont la dimension physique est aussi essentielle. Les vêtements et les tatouages lui ont permis d'entrer plus facilement dans son personnage. Alors qu'il travaille souvent à partir de la psychologie des personnages, ici il a pris le chemin inverse, "de l'extérieur vers l'intérieur". Zoe Kazan déclarait d'ailleurs, lors de la conférence de presse, qu'il ne s'était réellement départi de son personnage que lorsque ses faux tatouages s'étaient entièrement effacés. De fait, on ne sait rien de ce qu'il s'est passé entre le personnage interprété par Paul Dano et son ex-femme, rien de ce qui les a conduit au divorce. On n'en sait pas plus sur ce qu'il se passera ensuite. Le film est entièrement ancré dans un présent, pourtant chargé de toute la complexité du passé. Joby rencontre sa fille et essaie de profiter de ce court moment avec elle. En quelques heures se révèle une émotion qu'il n'avait pas anticipé.
CE PRÉSENT EST AUSSI INCARNÉ par une scène, particulièrement intense, dans laquelle Joby entend une chanson dans un bar et se met à vivre littéralement ce morceau, dansant et tombant au sol, presque dans une transe. C'est la première chose dont Paul Dano a parlée à So Yong Kim : il voulait que cette scène soit chorégraphiée. Cela n'a finalement pas pu se faire et il a appris quelle allait être la chanson la veille du tournage seulement, ce qui lui laissait peu de temps pour se préparer. Mais ce qui se révèle dans cette scène, c'est précisément l'intensité de Joby : bien sûr, il est un rocker qui vit comme s'il était sur une scène prêt à être acclamé par un public, mais il est aussi sincèrement engagé dans ce qu'il fait et dans le moment présent. C'est cette dualité et cette complexité que Paul Dano transmet en un regard, une attitude, un geste.