L`Intermède
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CE QUI FRAPPE dans les différents premiers films présentés au Festival de Deauville cette année, c'est la recherche d'un sujet. Loin du cliché de la première oeuvre autobiographique, ces jeunes cinéastes puisent dans le monde qui les entoure des histoires uniques qui existent pour être racontées. C'est le cas de cette communauté du sud de la Louisiane, dont la terre est envahie par les eaux et qui est en train de disparaître. Pour ces gens qui ne veulent pas partir de chez eux, la nature n'est pas un ailleurs, elle est l'essence même de leur vie, aussi fascinante que dangereuse. Benh Zeitlin, jeune réalisateur new-yorkais d'origine, qui est allé vivre à la rencontre de ces gens, les raconte dans Les Bêtes du Sud sauvage, un film flamboyant qui a remporté le Grand Prix ainsi que le prix de la révélation Cartier sous les ovations du public.


Par Claire Cornillon

TOUT COMMENCE dans la vie et dans la joie. Le bassin ("the bathtub"), comme l'appellent ceux qui y résident, vibre au son de la vitalité de ses habitants. Ils manifestent en faisant du bruit pour qu'on ne les expulse pas de leur terre. Ils font la fête, sous les lueurs des feux d'artifice. Ils travaillent, pêchent, instruisent leurs enfants, se déplacent en bateau sur le fleuve qui les nourrit. Mais la digue qui a été construite et qui les sépare du monde des villes et des usines doit provoquer l'engloutissement de leurs maisons sous l'eau. Alors ils résistent. Même lorsque les catastrophes les frappent, lorsque la tempête ravage leurs fragiles maisons, ils se débattent pour ne pas être placés par les autorités dans des centres de réfugiés. Ces gens luttent, à chaque seconde, pour exister, dans un environnement si hostile mais auquel ils sont pourtant terriblement attachés. C'est tout cela que Benh Zeitlin filme, au plus proche de la difficulté du réel mais aussi de la beauté qui s'en dégage.


Farouche

CET UNIVERS, le cinéaste l'a découvert en conduisant jusqu'au sud de la Louisiane, au bout d'une route, là où le fleuve et la terre se mêlent à la mer. Il s'y est installé, a commencé à écrire, au grand étonnement des habitants du coin qui ont fini par le questionner. Il a appris à les connaître, a écouté et transcrit leur manière de parler, s'est imprégné de leur culture, et a choisi parmi eux ceux qui deviendront les Benh Zeitlin, bêtes, sud, sauvage, les bêtes du sud sauvage, beasts of the wild south, beasts, wild, south, southern, louisiane, nouvelle orléans, orléans, nouvelle, film, deauville, analyse, critiqueprotagonistes de sa fiction sur grand écran, tous acteurs non-professionnels, qui irradient de force et de sincérité à l'écran. Ainsi, Dwight Henry est boulanger dans la vraie vie. Dans le film, il incarne le père de la petite Hushpuppy, dont on ignore pendant une bonne partie du film s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon.

CETTE GUERRIÈRE DU SUD SAUVAGE, au corps frêle et à la fière chevelure, est la voix du film de Zeitlin. C'est elle qui raconte son sud et ses bêtes sauvages. Elle qui, à 6 ans, n'a pas peur d'aller et venir seule, qui vit à la dure et qui alimente sa force en parlant à sa mère disparue. Elle, qui vit entourée d'animaux, les approche souvent de son oreille pour écouter le battement de leur coeur. "Le monde entier dépend du fait que chaque chose est à sa place", souligne-t-elle. C'est elle qui insuffle un élan poétique qui se surimprime sur la difficulté du réel. La lumière au bout du fleuve par exemple, qui va s'avèrer être l'enseigne d'un bar peuplée de prostituées, c'est pour elle un signe de sa mère qu'elle veut rejoindre. Ailleurs, Hushpuppy dessine sur le carton sous lequel elle se réfugie durant un incendie, comme pour transfigurer le réel moins que pour le nier. Elle redessine le monde, comme un théâtre grandiose où la magie est possible pourvu qu'on ait le courage de faire face. Le film prend parfois des accents apocalyptiques quand le fracas assourdissant de la tempête se fait entendre et que le vent et la pluie ravagent le monde. "Pour les animaux qu'un papa n'a pas mis dans un bateau, la fin du monde est déjà arrivée", dit-elle.

HUSHPUPPY EST UN REGARD tout autant qu'une voix. Elle appartient à ce monde mais elle représente aussi l'avenir, quand il ne semble plus pouvoir exister qu'une nostalgie du passé. Au contraire, c'est la puissance des temps jadis qui se fait jour pour alimenter le présent dans Les Bêtes du Sud sauvage. Le film est parcouru par des images insolites d'aurochs venus du froid. Il construit une légende autour de ces 
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animaux préhistoriques, prisonniers des glaciers, que la fonte des glaces finit par libérer. Leur lente avancée entrecoupe les séquences comme une allégorie, en écho avec le tatouage de la maîtresse d'école telle une peinture rupestre. Une allégorie destinée à rejoindre le réel, comme pour lui insuffler un autre souffle.


Unique


AVANT TOUT, le long métrage est né d'une interrogation : pourquoi ces gens restent-ils ? "Quand on descend là-bas, on comprend immédiatement pourquoi, mais c'est quelque chose de difficile à expliquer", indiquait le réalisateur en conférence de presse. La culture de cette région de la Louisiane est très spécifique. Les habitants y parlent un mélange de français et d'anglais et racontent que les plantes qui poussent chez eux mourraient à Saint Louis. Une terre unique. Avec laquelle ils sont liés intimement. La cuisine, qui est au coeur de leur culture, vient directement de la nature : "On pêche, on place directement dans le plat et on mange", ajoute Benh Zeitlin. C'est à ce rapport organique que répond sa mise en scène. Le film tourné en 16 mm, est dépourvu d'effets numériques. "Un aspect fait maison" qu'il revendique. Une dimension organique qui se révèle aussi dans l'investissement personnel du réalisateur à tous les niveaux du projet. Il a écrit le film, l'a réalisé et en a composé la musique. Pour lui, ses fonctions ne se détachent pas l'une de l'autre. "Je n'ai pas fait d'école de cinéma et pour moi, faire un film, c'est comme lorsqu'on montait un spectacle de marionnettes avec ma soeur quand on était enfants : on faisait tout nous-mêmes". "La musique, ajoute-t-il, est partie prenante de l'écriture. Tellement de choses passent par elle. Il y a certaines scènes que je n'aurais pas su écrire si je n'avais pas écrit la musique."

Il Y A UNE URGENCE dans Les Bêtes du Sud sauvage, la nécessité de transmettre avant que ce monde ne disparaisse. Dans la difficulté même du tournage, que l'on imagine aisément, il y a cet effort de fixer un présent qui est presque déjà du passé. En aucun cas, souligne le réalisateur, ce film n'aurait pu se faire ailleurs que sur place, avec d'autres personnes que ces habitants. On sent un geste passionné de sa part, une nécessité qui s'est imposée à lui à la découverte de ce lieu et qui explose dans sa manière même d'approcher son film. Ce ne sont plus seulement les personnages qui sont attachés à cette terre, c'est bien Benh Zeitlin, bêtes, sud, sauvage, les bêtes du sud sauvage, beasts of the wild south, beasts, wild, south, southern, louisiane, nouvelle orléans, orléans, nouvelle, film, deauville, analyse, critiquele réalisateur lui-même, qui vit désormais à la Nouvelle Orléans. On ressent son besoin de dire cette histoire, de raconter ce lieu qui appartiendra bientôt à la légende. "Un jour, on dira qu'il y avait cet endroit, le sud de la Louisiane, mais il n'en restera rien. Juste de l'eau, et que les histoires."

C. C. 
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à Deauville, Septembre 2012

Les Bêtes du Sud sauvage
Drame américain de Benh Zeitlin
1h32
Avec Dwight Henry, Quvenzhané Wallis...
Sortie le 12 décembre 2012 en France

Festival de Deauville - Sélection officielle, en compétition
Grand Prix et Prix de la révélation Cartier


Cet article fait partie du dossier Deauville 2012


 




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