L`Intermède
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AU GRAND BAL de l'Europe, le royaume du Danemark fait figure d'invité d'honneur en 2012. Marguerite II célèbre cette année ses quarante ans d'accession au trône, et le pays vient de prendre pour six mois la présidence du Conseil de l'Union Européenne. L'occasion de fêter nos voisins du Nord et leurs talents d'artistes en visitant le Statens Museum for Kunst, qui abrite les plus belles peintures de l'art nordique des XVIIIe et XIXe siècle.


Par Camille Brunet 


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CIEL D'AUTOMNE sur Copenhague. L'année nouvelle est pourtant bien entamée. Le temps maussade se prête à la visite d'un musée. Pas n'importe lequel : au cœur de la ville, le Statens Museum for Kunst, le musée d'art national, est un bâtiment hybride : à l'ancienne galerie, construite à la fin du XIXe siècle, s'est ajoutée en 1998 une extension, grande verrière qui fait office de salle de concert et autour de laquelle les habitants de Copenhague aiment piquer-niquer à la belle saison. Le musée regroupe une impressionnante collection de tableaux, dont la plupart étaient des cadeaux faits à la famille royale. Un département entier du bâtiment est consacré à la peinture française, un autre à l'art européen dans son sens le plus large. Nous ne ferons que les entrevoir, pressés de rejoindre l'aile de la galerie qui nous intéresse aujourd'hui, celle de la peinture danoise et nordique de 1750 à 1900. Les œuvres sont agencées de façon chronologique, depuis la naissance de la peinture danoise jusqu'à son âge d'or et aux prémices du modernisme. Traverser l'une après l'autre les salles du musée, c'est parcourir en même temps un manuel d'histoire qui nous plonge dans la nation danoise, son passé, ses spécificités, son sentiment national.


"L'attitude danoise"
 
C'EST UN PORTRAIT en pied de Frédéric V qui frappe tout d'abord l'œil. Roi de Danemark et de Norvège vers 1750, il symbolise le triomphe de la monarchie absolue. Il faut bien, en ce temps-là, un artiste attitré à la Cour pour exalter la gloire des rois. Et c'est le Suédois Carl Gustav Pilo qui s'en charge en Scandinavie. Peintre inlassable des têtes couronnées, il laissera derrière lui un grand nombre de tableaux, dont plusieurs sont exposés au Statens Museum : rois et reines vêtus d'étoffes légères et vaporeuses, flottant au milieu des nuages, bien au-dessus des préoccupations matérielles de leurs sujets. Car, au Danemark comme ailleurs en Europe, le peuple se soulève. Certes, le pays évitera le bain de sang d'une Révolution à la française ; mais, à partir de 1800, les classes moyennes acquièrent une influence grandissante, tant politiquement que culturellement. Au même moment, la peinture danoise développe une dimension plus réaliste : finis les univers éthérés de Pilo, désormais les tableaux auront souvent pour sujet la vie quotidienne.

LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE marque l'âge d’or de la peinture danoise ; Copenhague est alors un haut lieu de l'art nordique, et même allemand. Le Statens Museum fait la part belle aux œuvres de Christoffer Wilhelm Eckersberg et Christen Købke. Le premier ne cessera d'inspirer les générations de peintres qui lui succèderont. Un voyage à Paris puis un autre à Rome apportent à Eckersberg une maturité artistique et l'éloignent de l'inspiration romantique vers laquelle il s'était d’abord tourné. Au Statens Museum se trouvent nombre de ses toiles représentant la vie quotidienne des Danois, à l'instar de la Famille Nathanson (1818). Les classes moyennes protestantes sont le sujet de prédilection du peintre, de même que les marines – il sera d'ailleurs l'un des premiers Danois à introduire le paysage de plein-air dans ses tableaux, annonçant ainsi l'école de Skagen, les impressionnistes du Nord.


ÉGALEMENT PROFESSEUR à l'Académie Royale des beaux-arts danoise, Eckersberg compte parmi ses élèves Christen Købke. Une salle entière du musée est consacrée à ses œuvres, lui qui a pourtant connu une vie modeste. Manifestant une maîtrise certaine de l'observation et un sens aigu de la couleur et de la composition, Købke fait preuve, dans ses tableaux, d'une approche plus intuitive que celle de son maître. Auteur de scènes monumentales décrivant la vie de la famille royale dans son imposante demeure de Frederiksborg, il excelle également dans l'art du détail, comme en témoigne la série de toiles exposées au Statens Museum dans lesquelles Købke peint l'escalier qui mène à son atelier. C'est la vie rurale qui l'intéresse, celle d'un peuple de marchands et de pêcheurs pragmatiques ; une vie simple, bientôt vue comme l'essence même de  l'"attitude danoise", dépourvue de prétention et spontanée. Ainsi l'art danois est-il plutôt orienté vers la sobriété et la rationalité. Cela n'empêche pas certains peintres d'avoir été fortement influencés par le romantisme ; c'est ainsi qu’au détour d'une salle s'alignent certaines œuvres de Casper David Friedrich. La présence au Statens Museum de cet artiste allemand n'est pas incongrue, Friedrich ayant séjourné à Copenhague durant plusieurs années et noué de forts liens d'amitié avec le peintre norvégien Christian Dahl.


Grandeur antique

MAIS LA VISITE ne s'arrête pas là ; à l'image du bâtiment lui-même, protéiforme, la galerie d'art danois et nordique a été entièrement repensée il y a trois ans. Karsten Ohrt, conservateur du musée, explique ainsi que "la visite chronologique constitue la route principale, pourrait-on dire ; mais nous avons également aménagé des chemins de traverse plus surprenants, par exemple les salles thématiques, qui laissent place à l'imprévu. En d'autres termes, nous associons anciennes et nouvelles interprétations." Parmi les thèmes retenus, Le corps dans l'art ou encore Dialogue avec l’Europe.

LE PREMIER EST L'OCCASION de contempler certaines peintures du Norvégien Edvard Munch : visages déformés, corps distendus, ses silhouettes torturées sont mises en perspective avec les corps harmonieux sculptés par Bertel Thorvaldsen – autre figure emblématique de l'âge d’or de l'art danois –, et leur font écho. Le deuxième thème donne à voir les liens que les artistes nordiques ont tissés avec leurs cousins européens. Les influences sont nombreuses et se ressentent dans les tableaux exposés : effets théâtraux, scènes orientales, préférence marquée pour les couleurs brunes. Mais il est aussi amusant de voir que certains artistes scandinaves, qui se considéraient comme des "anti-touristes", ont, à travers leurs peintures, précisément décrit un voyage touristique. Plutôt que de voir l'Europe comme un territoire en plein changement, ils l'ont dépeinte – et ceci est surtout valable pour l'Italie – comme un sanctuaire préservé, où fleurissent partout des traces de la grandeur antique.

L'ANECDOTE ILLUSTRE LES CONTRADICTIONS que les artistes danois, et plus généralement tout le peuple, portent en eux : une capacité à combiner antiquités et innovations, un mode de vie simple et pragmatique qui ne s'étonne pas pour autant des fastes de la dynastie, la volonté farouche de se démarquer des autres pays scandinaves tout en entretenant d'étroites relations avec eux. Ou, comme le déclarait en 1863 l'historien de l'art Niels Lauritz Høyen, illustrant ainsi le sentiment de toute une nation : "Croyez-moi ! La façon la plus sûre et la plus rapide de nous rapprocher encore davantage de nos frères suédois et norvégiens est de nous affirmer nous-mêmes en tant que Danois, y compris dans notre art ; de revendiquer notre nationalité, notre pays, notre mythologie ; de montrer que nous n'avons besoin d'emprunter à personne les plumes de notre parure."


C. B.
Illustration BIM Studio

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à Copenhague, le 05/02/2012

Statens Museum for Kunst 
48-50 Sølvgade
DK-1307 Copenhagen K 
Tlj (sf lun) : 10h-17h
Nocturne le mercredi (20h)
Tarif plein : 95DKK 
Etudiants et  - de 25 ans : 65DKK
Mineurs : entrée gratuite
Rens. : +45 3374 8494


 



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