IL Y A DE BIEN JOLIES petites rues à Ménilmontant, dans le XXe arrondissement de Paris. La rue de l'Ermitage, qui dévoile ses maisons verdoyantes au cœur de la ville, par exemple ; mais aussi celle des Cascades, qui semble faire indéfiniment tourner en rond le flâneur, avant de se décider enfin à le relâcher près de la rue de la Mare, avec son ancienne voie ferrée et son épilogue derrière l'imposante église Notre-Dame-de-la-Croix. Deux-trois tables et quelques chaises ; en contrebas de l'agitation de la rue de Ménilmontant, un bout de terrasse est le bienvenu. Il ne s'agit pas, ici, d'un café : la promenade débouche sur une librairie-galerie à la façade sage, mais aux rayonnages explorateurs. Le Monte-en-l'air emmène les curieux dans une autre balade, à mi-chemin entre les livres d'images, les sciences humaines et les oeuvres d'art.
– Par Marie Denoan
LE MONTE-EN-L'AIR, première mouture, ne bénéficiait pas d'un tel emplacement. Il fallait le dénicher rue des Panoyaux, à quelques centaines de mètres du nouveau lieu. Il n'avait alors rien d'une librairie généraliste : destiné à un public assez spécialisé, le fonds se composait essentiellement de bandes dessinées d'auteurs, de livres de photographie et de graphisme, de fanzines et de sérigraphies. Le maître des lieux, Guillaume Dumora, est un ancien de l'édition et connaît bien ce qui se fait dans le monde de l'image : après avoir travaillé un temps au bureau de presse du festival d'Angoulême, il rejoint l'aventure de L'Association, maison d'édition de la bande dessinée alternative, alors qu'elle en est encore à ses débuts et participe à la création du Comptoir des indépendants, une structure de diffusion-distribution d'éditeurs indépendants.
– "On ne va pas s'embêter avec les mauvais livres"
GUILLAUME DUMORA SE LANCE en 2005 sur la base d'un constat simple : "Il manquait une librairie telle que j'en voulais." Il ouvre alors sa boutique en disposant de l'exhaustivité du catalogue du Comptoir des indépendants en dépôt. Le ton est donné : le Monte-en-l'air ne désire pas se plier aux exigences de l'édition à grand tirage. Les sites internet et les grandes surfaces font cela très bien. Inutile d'aller rivaliser sur un terrain perdu d'avance et qui ne correspond pas à la conception du métier de libraire que se fait Dumora. Si son fonds s'ouvre peu à peu à d'autres domaines que celui de l'image, ses choix restent très ciblés : les références de La Fabrique et Allia, deux éditeurs engagés, entrent dans son catalogue.
LA FIN DE LA CONVENTION d'occupation des lieux en 2010 sonne l'heure de l'agrandissement : le nouveau local est trois fois plus grand que l'ancien. Guillaume Dumora s'associe alors à Fabrice Cysique et tapisse avec lui les murs de livres, du sol au plafond. "Une aberration en termes de marketing puisque certains sont inaccessibles si on ne va pas les chercher pour les gens." Mais un régal pour les yeux. Le déménagement ne modifie pas la politique de sélection des titres : les critères sont esthétiques, éthiques, évidemment subjectifs, mais parfaitement assumés. Peu importe de savoir ce qui se vend. La librairie met en valeur ce qu'elle a apprécié, souvent chez de petits éditeurs, mais également chez les plus gros si la qualité le justifie. "Il est déjà difficile de mettre en avant les bons livres, alors on ne va pas s'embêter avec de mauvais."
– "Nous sommes peut-être les seuls en France à proposer un tel choix"
LE COROLLAIRE DE CE PARTI-PRIS, c'est d'avoir du fonds : "Une librairie de quartier classique a 6000 à 8000 références. Nous en avons environ 20000, et nous continuons d'en acquérir. Pour cela, nous acceptons le principe de la rotation lente des livres." Le Monte-en-l'air dispose ainsi d'un stock important d'ouvrages qui ne se vendront pas nécessairement tout de suite : "Nous prenons le contre-pied de ce que conseillerait un contrôleur de gestion. Mais nous donnons rendez-vous dans dix ans pour voir qui avait raison." En gagnant de l'espace, le Monte-en-l'air a pu s'ouvrir à une littérature plus généraliste, tout en conservant son statut de librairie spécialisée dans l'image. On y trouve désormais un nombre important de romans, d'ouvrages de poésie et de sciences humaines. Ces dernières sont à l'honneur avec un large choix en philosophie et sciences sociales. Mais la littérature n'est pas en reste, qu'elle soit française, allemande, proche-orientale ou encore japonaise.
L'OUVERTURE sur ce qui se fait à l'étranger est en effet l'un des principes moteurs du catalogue et contribue largement à la spécificité du lieu. Ce qui apparaît de manière flagrante dans son domaine de spécialité, l'image : "20 à 30% des bandes dessinées d'auteurs sont de l'import, que ce soit des Etats-Unis, de Finlande, du Mexique ou d'ailleurs." La richesse et la diversité de son stock en bande dessinée, en photographie, en graphisme, en street art ou en fanzines placent le Monte-en-l'air dans le groupe de tête des librairies françaises dans ce domaine : "Nous sommes peut-être les seuls en France à proposer un tel choix", se réjouit Guillaume Dumora. La librairie attire donc un public spécialisé, originaire du monde entier. Un lieu trois fois plus grand a également permis aux deux propriétaires de conserver et de développer une dimension qui était présente dès les débuts du projet, rue des Panoyaux : faire de la librairie un lieu d'événements.
– "Acheter un livre est un acte politique"
LE MONTE-EN-L'AIRE ASSUME un syndrome d'hyperactivité qui se manifeste par l'organisation de quatre à cinq événements par semaine en moyenne : lancements, dédicaces, rencontres, lectures, concerts, projections de courts-métrages et de films d'animation, conférences, débats. L'endroit se veut un lieu de découverte et de discussion. Il est ainsi possible d'y entendre des conférences sur les mouvements antifascistes en Russie ou sur l'histoire des cafétérias dans les musées occidentaux. Il faut dire que l'organisation des lieux se prête bien à l'accueil d'un public : entre la salle des rayonnages et le petit cabinet de littérature jeunesse se déploie un large espace d'exposition. Toutes les trois semaines, un nouvel accrochage permet de découvrir des dessins et des illustrations qui sont parfois également en vente. Dernièrement, c'est le dessinateur-scénariste Boulet qui, à l'occasion de la sortie du tome 5 de ses Notes, a présenté les aquarelles de son exposition Hypermnésie et s'est prêté pour un après-midi au jeu de la dédicace, nstallé sur la terrasse qu'un rayon de soleil rendait plutôt confortable. Pour accueillir tous ces événements, le Monte-en-l'air est ouvert tous les jours et jusqu'à 21 heures, avec des nocturnes certains soirs jusqu'à 23 heures.
AINSI S'ORGANISENT les "débuts" du nouveau Monte-en-l'air. D'autres projets sont déjà en cours ou à l'étude. Côté galerie, il est prévu d'accueillir bientôt en "résidence" l'équipe de Collection, une revue de dessins contemporains, qui organisera une partie des expositions pendant toute une année et travaillera avec des écoliers sur les thèmes du dessin et de la mémoire. Côté librairie, la vente en ligne est envisagée afin notamment de mettre en valeur le fonds sur l'image et de permettre partout un accès aisé à des ouvrages qu'il est souvent difficile de trouver ailleurs et dans des délais raisonnables. Ce même fonds qui, quant à lui, ne va cesser de grossir. Face à toutes les évolutions du livre - livre électronique, vente sur internet, baisse tendancielle des ventes, augmentation des parts de marché des grandes surfaces - le Monte-en-l'air fait le pari que seules les librairies qui auront su développer leurs spécificités pourront faire face. Le credo de Guillaume Dumora est clair : "Acheter un livre est un acte politique. Je le vivais comme ça en tant qu'acheteur avant d'être libraire. On choisit un auteur, un éditeur, un libraire, à qui l'on donne son argent. Il y a beaucoup de gens qui voient cela comme ça."
Le Monte-en-l'air, librairie-galerie
71 rue de Ménilmontant / 2 rue de la Mare
75020 Paris
Tlj 10h - 13h et 14h - 21h
Nocturnes vendredi et samedi (23h)
Rens. : 01 40 33 04 54
erdu d'avance et qui ne correspond pas à la conception du métier de libraire que se fait Dumora. Si son fonds s'ouvre peu à peu à d'autres domaines que celui de l'image, ses choix restent très ciblés : les références de La Fabrique et Allia, deux éditeurs engagés, entrent dans son catalogue.
Monte-en-l'air a pu s'ouvrir à une littérature plus généraliste, tout en conservant son statut de librairie spécialisée dans l'image. On y trouve désormais un nombre important de romans, d'ouvrages de poésie et de sciences humaines. Ces dernières sont à l'honneur avec un large choix en philosophie et sciences sociales. Mais la littérature n'est pas en reste, qu'elle soit française, allemande, proche-orientale ou encore japonaise.
Guillaume Dumora est clair : "Acheter un livre est un acte politique. Je le vivais comme ça en tant qu'acheteur avant d'être libraire. On choisit un auteur, un éditeur, un libraire, à qui l'on donne son argent. Il y a beaucoup de gens qui voient cela comme ça."
