L`Intermède
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DES CISEAUX DANS UNE MAIN et des femmes dans l'autre, voilà Jean-Paul Goude qui s'expose sous la nef du musée des Arts Décoratifs de Paris dans une rétrospective haute en couleurs. De la hauteur, ses muses en prennent dans cette vaste installation qu'est Goudemalion, visible jusqu'au 18 mars 2012. Par la découpe et le (dé)collage, le créateur entend "corriger" la beauté féminine et sublimer le métissage. Bien que modifié, le naturel revient au galop, mais en pleine savane et talons aux pieds.

Par Julien Walterscheid-Finlay
 
MONTÉE SUR SON PIÉDESTAL, Laetitia sautille d'envie d'aller aux galeries. Vanessa se balance sous les yeux d'un chat tandis que Grace rugit de plaisir sur scène, toutes deux dans des cages. Trois images qui traduisent le parcours atypique d'un petit Français, voisin du zoo de Vincennes. Jean-Paul Goude lui-même admet que c'est en ce lieu que se trouve la source de son inspiration, sa fascination pour la faune africaine. Un monde que le maître de la french correction, comme il aime à se définir, peuple selon ses désirs par des créatures retouchées, corrigées. Un art au service de la beauté "idéale", quasi divine, grâce à cette technique particulière qui consiste à "améliorer les défauts morphologiques à l'aide de prothèses variées"... Un Edward aux mains d'argent qui touche aux supposés défauts de la nature en sculptant le corps, dans une logique fantasmatique presque morbide. Telle son premier cobaye, Sylvia, qui le quittera dans les années 1960, en refusant une rhinoplastie et qui amènera Edgar Morin, préfacier du catalogue, à inventer l'épithète dont l'exposition porte le nom : Goudemalion.


Modelé féminin


jean-paul goude, goude, jean-paul, jean, paul, jean paul, musée, arts décoratifs, exposition, rétrospective, interview, portrait, biographie, citation, photo, photos, mode, grace jones, grace, jonesCETTE MÉTHODE, qui lui colle à la peau, ne serait rien sans les femmes qui rythment ses pas. Elles sont le matériau et deviennent ses créations. Car après Sylvia, voici Radiah, Toukie ou encore Farrida, sublime algérienne rencontrée lors d'une soirée aux Bains Douches, et qui passe de la caisse au mannequinat. La voilà portant Azzedine Alaïa, dont elle va devenir l'égérie dans les années 1980. C'est bien une mythologie qu'écrit Goude, où les métamorphoses transforment les femmes qu'il veut toujours plus grandes et plus allongées... et dont les courbes vendent aussi bien du Chanel que des Citroën.

CERTES, SES PLUS GRANDES CRÉATIONS sont des commandes de marques. Mais par leur qualité et leur originalité, elles ont gagné leurs places dans un musée. De Lee Cooper à Kodak ou encore Perrier, ces "brefs métrages", comme décrits dans Le Monde par Pierre Georges, ont su marquer les esprits. On se souvient de ces trois Kodakettes bondissantes en rayures rouges et blanches, toujours à la recherche du meilleur cliché. Et à Rio de Janeiro, où une façade d'hôtel est entièrement construite en 1990, retentit le cri d' "égoïste !" lancé de chaque fenêtre, dans un spot en noir et blanc qui prend des couleurs à l'apparition du parfum.



Beauté sauvage


UN CRI D'ÉMANCIPATION. Les femmes de Jean-Paul Goude sont des amazones mondaines et exigeantes, des femmes félines. Paradoxalement, c'est en poussant à son paroxysme la correction des corps que le démiurge libère celles que la publicité a trop souvent pris pour de simples morceaux de viande. Il ne faut pas voir dans les œuvres de l'artiste le produit d'un fantasme masculin lubrique à la recherche de la femme parfaite. Il magnifie poétiquement le corps humain, en alliant le grotesque et la finesse classique. Sa meilleure "création" reste jean-paul goude, goude, jean-paul, jean, paul, jean paul, musée, arts décoratifs, exposition, rétrospective, interview, portrait, biographie, citation, photo, photos, mode, grace jones, grace, jonesbel et bien Grace Jones, œuvre cubiste et décalée où la chanteuse devient cette créature animale et androgyne. L'automate de sa tête miniaturisée se retrouve dans une des salles de l'exposition, après avoir servi à digérer une CX dans les années 1980. Grace Jones y conclue par un retentissant "la beauté sauvage", résumant l'oeuvre de Goude.


CÉLÉBRER LA FEMME, voilà paradoxalement le travail de l'artiste. Son image de la beauté semble figée dans le temps et ses canons féminins ne jamais évoluer. Les courbes allongées, la peau brune, le caractère féroce. Goude entouré de femmes à l'état brut, que lui seul parvient à dompter - à mettre en cage - tel un Fellini dans sa Cité des femmes peuplée de beautés sculpturales ou dans Amarcord où un fou ne s'arrête pas de crier : "Voglio una donna ! Voglio una donna !" ("Je veux une femme ! Je veux une femme !") Tous deux ont besoin de ce matériau pour créer, pour modeler. A première vue, le prétexte artistique semble fonder une certaine misogynie et une instrumentalisation du corps de la femme. Mais en ralité, Goude pousse à son extrême une dynamique déjà présente. Il pousse le regard là où il n'a pas l'habitude d'aller. Là où il n'aime pas être. Alors on crie au manipulateur, à l'imposteur, au fou. Iconoclaste, Goude taille un modèle féroce et bestial - dès lors plus charnel et sensuel - qui passe de l'ivoire blanc à la couleur, permettant à ses baisers d'être rendus.


United Colors


DE LA COULEUR, il en met partout, jean-paul goude, goude, jean-paul, jean, paul, jean paul, musée, arts décoratifs, exposition, rétrospective, interview, portrait, biographie, citation, photo, photos, mode, grace jones, grace, jonesjouant avec les nuances, les peaux et le néon comme d'autres mélangent les gouaches et les pigments. Ses femmes ne sont que le début de ses créations, qui, via de multiples prothèses, deviennent des tableaux. Laetitia Casta n'est jamais réellement elle-même dans cette série d'aventures qui rythment le métro parisien ou les arrêts de bus depuis dix ans. Voilà finalement un Pygmalion moderne qui réifie ses muses au lieu de donner la vie aux statues. Peuplé de femmes et de teintes, l'univers de Goude est d'un glamour rayonnant qui transforme la réalité en une version plus édulcorée, où le dictateur Mao devient un inattendu baigneur jouant avec Donald Duck dans le Yang Tsé Kiang. Un réel travesti et déformé avec grâce, invitant à la légèreté comme le font les deux valseuses russes
qui défilent autour d'une imposante locomotive à vapeur, tout droit sortie de La Bête humaine.

CETTE LISON TRÔNE au cœur du musée, rappelant que pour Goude, la machine est au service d'une beauté que seuls la photographie et le scalpel permettent. Cette locomotive avait joué son premier grand rôle en 1989, conduite par un sosie de Jean Gabin, à l'occasion du défilé du bicentenaire de la Révolution française. Goude est alors mandaté par Frédéric Mitterrand et Jack Lang pour cet événement, et le voilà célébrant les Droits de l'Homme en mettant en scène les "grandes tribus planétaires". Des soldats révolutionnaires chinois dont le torse peint de kanjis signifiant "Liberté, égalité, fraternité" danseront avec des gardiens du mausolée de Lénine, alors que Jessye Norman chante La Marseillaise. À la place des habituels chars, Goude installe trente valseuses géantes qui tiennent dans leurs bras des enfants porte-drapeaux de tous les continents. L'une d'entre elles accueille le visiteur du haut de ses deux mètres et demi, symbole d'un rêve utopique de l'artiste qui s'est concrétisé.

jean-paul goude, goude, jean-paul, jean, paul, jean paul, musée, arts décoratifs, exposition, rétrospective, interview, portrait, biographie, citation, photo, photos, mode, grace jones, grace, jonesRêver de se voir exposer et de donner vie à ses créations, voilà ce à quoi parvient Goude en transfigurant la beauté en mythe grâce à une mise en scène picturale inépuisable, permettant un glissement des codes et des habitudes. Glissement que l'on retrouve lorsque la valseuse se meut autour du visiteur avant de s'installer dans une pièce sombre devant un miroir, déclamant des paroles lointaines. Un effet de lumière semble mettre feu à son corps, qui se voit là transformé et modifié. Il n'y a rien d'autre dans la pièce, à part l'habituelle notice "ne pas toucher les oeuvres".

J. W.-F.
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à Paris, le 23/01/2012

Goudemalion - Jean-Paul Goude
Jusqu'au 18 mars 2012
Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli 75001 Paris
Mar-Dim de 11h à 18h (nocturne le jeu 21h)
Tarif plein : 9 € / Tarif réduit : 7,5 €
Rens : 01 44 55 57 50

 



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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Carolina, New York, 1976. Photo peinte © Jean-Paul Goude
Photo 1 Les Galeries Lafayette : L’Homme, Paris, 2004. Collage © Jean-Paul Goude
Photo 2 Cry Now, laugh later, New York, 1982. Photo peinte, ruban adhésif et carton © Jean-Paul Goude

Photo 3 Grace revue et corrigée, New York, 1978. Ekta découpé © Jean-Paul Goude
Photo 4 Robe de maternité d’inspiration constructiviste, en collaboration avec Antonio Lopez, New York, 1980   © Jean-Paul Goude